vendredi 8 octobre 2010

Mario Vargas Llosa

Belle nouvelle, ce prix Nobel ! Décidément, déjà Le Clézio l’an dernier ;  nous partageons les mêmes préférences, avec ce jury !
Même si ses dernières œuvres n’étaient peut-être que ravissement – excusez moi du peu - Vargas m’a beaucoup apporté dans les années 80 quand avec Geneviève on a découvert et dévoré ses œuvres.
Tante Julia et le scribouillard d’abord, et on était déjà fan. Pas tout à fait remis des exercices formalistes telquéliens, j’ai été emballé par ce jeu des styles, cette alternance entre le récit des amours avec la tante, les épisodes des romans radiophoniques, le délire qui s’installe peu à peu et met de la folie dans ce jeu. Du pur plaisir, avec cet ineffable intérêt d’un livre où se sent l’âme de peuples, d’un continent inconnu, où on entrevoit des autres vivre, dans leur substance.
Ensuite, ce fut La Vie de Maïta. Dans la gueule de bois du post-68, après s’en être pris plein la gueule en Ouganda, les certitudes en miettes, les pratiques politiques en questionnement, ce trotskyste en mal de rupture résonnait tellement vrai, avec des échos profonds. L’engagement militant, être soi et la pression des autres, des camarades, …. Je ne l’ai plus jamais relu, j en’ai plus le livre (prêté je pense, sans retour – puisse-t-il avoir cheminé !). Seul un souvenir fort, d’un livre qui m’a profondément interpelé, ce type de livre qui vous transforme un peu.
Et puis il y a La Guerre de la fin du monde. On en parle très peu de ce bouquin-là, semble-t-il. Or faudrait le faire lire et lire encore.
Dans ce roman –  une fresque, du souffle, de la puissance –,  on voit s’agréger, émerger une secte. Le groupe se structure, chercher ses équilibres délirants, les sublimations des traumatismes et frustrations de chacun. La secte se développe, part dans l’inévitable dérive millénariste et se fait anéantir. La galerie de personnages offre une variété de parcours qui embrasse un réel divers, des destinées individuelles, mais qui convergent. Multiples déterminations complexes, mêmes réponses.
Pour moi, c’était aussi en Ouganda, début des années 80, je découvrais le phénomène des étudiants qui « disjonctaient » -  la meilleure image que j’avais trouvée. Ils étaient submergés de problèmes, ne s’en sortaient plus, matériellement et dans leur tête. La disparition des cadres organisés de la vie sociale, de tout repère connu les livrait à eux-mêmes, acculés à une pleine responsabilité de leur quotidien incertain, submergés par une liberté complète sans plus savoir où étaient le bien et le mal. Et les uns après les autres, nombreux dans mes classes ou sur le campus, ils tournaient Jésus, s’embarquaient dans une Eglise évangéliste ou une secte quelconque, totalement aliénés et obtus, voire obsessionnels et fanatiques, mais avec un cadre, un sens qui était donné à leur vie. Pas plus heureux, mais ils savaient pourquoi, et quoi faire même si ça ne changeait rien à la galère.
La Guerre de la fin du monde m’a permis de saisir mieux ces cheminements, de comprendre les mécanismes des chutes dans le fondamentalisme, les sectes.  Un livre phare, et les trente dernières années ne l’ont rendu que plus pertinent, avec la généralisation, largement, du phénomène.
Un grand Nobel, ce Vargas.

mercredi 6 octobre 2010

Quelques mots de Lévi-Strauss

Jean Daniel, dans son édito du Nouvel Obs du 30 septembre, rapporte des paroles de Claude Lévi-Strauss à propos du seuil de tolérance : "Ce seuil existe, disait-(il), il s'agit de le prendre non pas pour une valeur mais pour une réalité."
Cette phrase me semble singulièrement profonde et opératoire.
Dans bien des débats, sur bien des aspects, le discours politique - de gauche en particulier - refuse d'aborder certaines questions, reste dans l'incantatoire au lieu de faire face au problème.
C'est le cas ces jours-ci avec la polémique sur les travaux du sociologue Hugues Lagrange qui fait intervenir des notions de culture dans les comportements sociaux de jeunes d'origine étrangère.
C'est le cas pour l'interdiction des statistiques religieuses ou sur l'origine, ou appelons ça comme on veut.
Ou sur la sécurité, longtemps tabou à gauche dans les discours.
Ou, dans l'éducation, sur nombre d'aspects.
N'est-ce pas souvent justement parce que les gens érigent en valeur ce qui est seulement réalité ?
Comment articuler les deux ?
Je dois approfondir cette réflexion, j'ai la forte intuition qu'il y a beaucoup à y gagner. Flair ...

mardi 5 octobre 2010

Retour en arrière, pour prendre acte

Voilà quelques temps, dans un de ses Lundis du Nouvel Obs, Delfeil de Ton réagissait à tout le bruissement autour de la question de la burqua, de l’interdiction du port du voile, et tout ça.
Je veux en conserver ici un extrait, tant il me paraît profond.

«  La dignité de la femme ! Est-ce à dire que la femme portant le voile est atteinte dans sa dignité? Est-ce à dire que les millions de femmes de par le monde qui se voilent sont atteintes dans leur dignité ? Que des peuples entiers sont indignes ?
(…)
La vérité c'est que nous avons du mal à supporter le voisinage de ces femmes voilées, que les voir nous trouble, que nous avons des pulsions de rejet. Nous voudrions qu'elles n'existent pas, ou alors loin, très loin. Elles attentent à notre tranquillité d'esprit.
Ces mouvements d'humeur se contrôlent, il faut bien que nous les contrôlions puisque notre environnement social a beaucoup changé ces derniers temps, sans doute trop rapidement pour la plupart d'entre nous, mais il faut bien faire avec les gens qui sont là, tels qu'ils sont, ou alors il est inutile d'attendre d'eux qu'ils portent le moindre intérêt à ces notions dont nous nous gargarisons, de liberté, d'égalité, de fraternité.
Dans l'espoir d'être compris : il est souhaitable, bien évidemment, que toutes les femmes se libèrent ou soient libérées de pratiques archaïques ou outrancières, et il est infiniment respectable de vouloir les en libérer, mais ce n'est pas en lâchant sur elles les flics, suivis des juges, qu'il y aurait la moindre chance de voir cet heureux jour arriver. »
D. D. T.

En quelques phrases il a tout dit.
Certains des papiers que je pourrai faire ne diront pas autre chose au fond, broderont sur le thème.