La "chrétienté a laissé" à la France "un magnifique héritage de civilisation", vient-il de dire. On se récrie, on s’offusque à gauche. On applaudit à droite, on se hausse du col, on se drape, d’un geste ample, dans les plis de la République et de la laïcité, pensant avoir piégé les gardiens de ces temples.
Voilà une phrase qui ne me pose aucun problème, et j’y souscris volontiers.
De même pour «La France ne doit pas oublier ce qu'elle est et ce qu'elle fut parce que le monde change». Nihil obstat.
Pareil quand il dit que "Ces paysages qui nous entourent font partie de l'identité de la France ", selon ce que rapporte La Montagne , en poursuivant : "Aucune de nos villes ne seraient ce qu'elles sont [sic] sans ces cathédrales." çà, je ne sais pas si je l’aurais dit. Non que j’aurais forcément mieux accordé, mais c’est quand même un truisme, d’une banalité navrante.
Je le suis encore quand il cite Lévi-Strauss, en déclarant que : "L'identité n'(est) pas une pathologie".
Sarkozyste alors ? non, à cent lieues !
Car je voudrais revenir sur une autre phrase de Lévi-Strauss que je mentionnais dans mon blog le 6 octobre : « il s'agit de le prendre non pas pour une valeur mais pour une réalité » où « le » peut désigner un fait quelconque, finalement.
Oui, la chrétienté a été et demeure un élément constitutif de notre histoire, elle imprègne dans sa substance notre culture commune, qui a longtemps été construite par elle, ou contre elle, en tout cas par rapport à elle. C’est une réalité.
Et alors ?
Une chose est de la constater, une autre d’en faire une valeur en soi. Si l’identité n’est pas une pathologie, elle ne relève pas de l’ontologie.
Or, là est bien la question. Ces phrases présidentielles, en elles-mêmes, sont parfaitement défendables. Le contexte de leur énonciation, le moment choisi, le buzz médiatique qui est dans le fond de l’air du temps leur donnent une tout autre portée.
Sarkozy parle en termes de valeurs érigées en vérités éternelles et immuables.
C’est ce qu’on entend quand il poursuit :«Cet héritage nous oblige, cet héritage, c’est une chance, mais c’est d’abord un devoir, il nous oblige, nous devons le transmettre aux générations et nous devons l’assumer sans complexe et sans fausse pudeur» avant d’appeler à «conserver et restaurer» cet héritage chrétien.
Transmettre reste ambigu, l’association de restaurer à conserver éclaire l’ensemble. Sous-jacente (à peine) l’idée d’une identité close, figée, à préserver intacte, en butte aux attaques de l’extérieur. Une identité qui se définirait par rapport à ce qu’elle n’est pas, et que dès lors elle exclut. Conception qui induit la peur et le rejet.
Faut-il, pour rester dans SA logique, recourir à la parabole évangélique, qui recommande que cet héritage il faut le faire fructifier, et blâme le fils qui l’a conservé tel quel ?
Toute autre est la conception qui fait de l’identité le produit d’une histoire, une réalité qui se forge au fil du temps, redéfinissant incessamment les valeurs qui la charpentent.
Faut-il rappeler que celles de tolérance et de démocratie, qui nous soudent aujourd’hui, ne prévalaient pas au temps des cathédrales, et même qu’il a fallu combattre l’Eglise qui les avait construites pour qu’elles s’imposent ?
Cette réalité comme réalité historique, les générations actuelles peuvent légitimement en tirer gloire, ou en interroger des aspects, bref l’assumer dans sa complexité. Et puisqu’il s’agit d’héritage, elles ont à la fois devoir de transmission et droit d’inventaire.
Assumer : ce mot aussi est un enjeu, qu’il ne faut pas abandonner au discours réactionnaire. Sarkozy l’utilise, Laurent Wauquiez, aussi, lors de la même visite : "C'est parce qu'on assume notre histoire qu'on peut être tolérant et ouvert à la diversité. Et je crois que c'est quand on nie son identité que l'identité se venge et aboutit à l'intolérance."
Là encore, il parle d’or, mais ces mots de bon apôtre ne sont pas, dans la pratique, compatibles avec le cœur du discours présidentiel. Poudre aux yeux de prôner tolérance et ouverture, quand on tient sur le fond un propos identitaire défensif, qui fait perler la peur.
Il ne sert dès lors à rien de s’offusquer que la droite soit conservatrice, qu’elle nie l’histoire et campe sur les valeurs éternelles. C’est sa nature, depuis les Barrès et autres. Tout au plus pendant un certain temps avait-elle caché ces références sous le tapis.
Il ne faut surtout pas lui reprocher d’évoquer l’héritage chrétien. C’est une réalité qu’il faut aussi, à gauche, énoncer, et assumer.
Le nier serait absurde, inaudible et politiquement se tirer une balle dans le pied.
Mais il faut aussitôt – et c’est là le clivage – montrer que ce legs est une des facettes de la société française moderne, que les chrétiens eux-mêmes contribuent à la faire évoluer. Que la France d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier, qu’il est de l’intérêt de tous qu’elle évolue, bla bla bla.. Et surtout dénoncer et traquer dans tous ses interstices le discours de la peur, de la crainte de l’extérieur et de l’autre, de l’enfermement dans la forteresse que distillent à longueur de temps le pouvoir et ses hérauts.
Ce discours de la peur montre chez ceux qui le tiennent une perte de confiance, un comportement de faiblesse, l’idée inavouée que nous serions en danger, en perdition. En fait sans avenir que de préserver l’existant. C’est ça leur idée de la France ?
Je préfère suivre Dany Laferrière quand il dit (là encore, au risque de paraître outrecuidant, je renvoie à mon blog du 12 janvier 2011) que s’il y a « une culture forte », « on peut cumuler, additionner les cultures, rester ouvert au reste du monde et sans risque de perdre son essence ». Convainquons que cette force de culture, nous l’avons, à nous tous, contre les chantres du rabaissement.