Bien plus crispé, cette fois, que la dernière. Sept
contrôles, au milieu de la nuit, entre l’aéroport et Deux Plateaux, le sixième
à l’entrée du pont Charles De Gaulle. Assez corrects, dans l’attitude, pas
d’agressivité inutile – pas débonnaires pour autant – et plusieurs fois,
clairement, demande d’argent. Notre refus a été sans conséquences, mais quand
même. Les attaques de commissariats par des
groupes pro-Gbagbo il y a quelques temps n’y sont pas pour rien.
J’avais été impressionné l’an dernier à la même époque, soit à peine plus de six
mois après le renversement de Gbagbo. Arrivé de la même façon en pleine nuit –
le charme des vols low cost -, sur le même long trajet qui traverse toute la
ville, pas l’ombre d’un uniforme, de la circulation, quelques rares promeneurs
attardés, retour de boîte sans doute.
Stupéfiant, pour moi qui ai vécu dans tant de pays compliqués, où les
barrages étaient légion, même des mois des années après la fin des troubles.
Autre signe, la carte SIM. Pour en acheter une et avoir une
ligne locale, il faut désormais être enregistré. Jusque là, rien que de normal.
Sécurité oblige. Mais la conséquence : cela exige 48 heures avant mise en
service par le réseau. Ca n’arrange pas pour les courts séjours. Rien de
grave pour autant : on peut se procurer au marché de Treichville des cartes préenregistrées,
mise en route immédiate, même pas plus chères. Le service Plus de l’informel.
Et voilà l’initiative de sécurité réduite à néant. La mesure n’emmerde que les
gogos, en toute inefficacité. Comme le plus souvent, on ne le dira jamais
assez.
Crispation, donc, ces temps-ci. En tout cas nocturne. Dans
la journée il n’y paraît pas. Hormis quelques paresseux véhicules de l’ONU qui
passent nonchalants.
Dérive aussi un peu. Ouattara, la « promesse d’un
avenir radieux ». Il revient très
souvent dans les programmes télé. Tantinet lourd. L’actualité liée au retour du
voyage au Vatican et à la crise ministérielle. Mais aussi la préparation d’un
voyage encore lointain en province. Ou d’autres sujets. Un discours pas malvenu
sur la réconciliation et le pays au travail, certes, mais ça me rappelle – ô
jeunesse ! – les télés d’un Eyadéma père, ou d’un Kenyatta, pour ne pas
parler de celle d’Idi Amin.
Beaucoup de Ouattara donc, mais aussi beaucoup, à peine
moins, de la Première Dame, Dominique Ouattara, qui se répand en fondations, actions
d’appui au développement, associations
caritatives, visites aux nécessiteux ou valeureux, initiatives
généreuses dont aucune n’échappe à la
sagacité des médias officiels, avant, pendant ou après. Très grande présence.
Jusque dans les prises de parole d’Alassane, le mari, qui la mentionne en
parlant de « la Première Dame, ma chérie ». Je crois avoir bien
entendu.
Quelque dérive, je crains. On la rend, à tort ou à raison,
responsable de la loi qu’ADO impose contre une levée de boucliers, la loi sur le
mariage qui stipule l’égalité de l’homme et de la femme. Loin de moi l’idée que
ce n’est pas une mesure juste. Mais j’ai eu de longues discussions avec mes
amis, pas des obtus, de l’Abidjanais modeste, sur ce qu’un corps social est capable
d’accepter en termes de changements,
les rythmes, la cadence. Cette idée d’égalité vient battre en brèche
des pratiques séculaires, une réalité plus que largement répandue, des représentations
tenaces. Mon mari reste mon mari,
j’entends dire. Même si on sait, au moins depuis Visages de Femmes, le
merveilleux film de Désiré Ecaré, qui date je crois des années 80, que quand
c’est la femme qui a réussi et fait fortune, comme c’est souvent le cas au
marché, la réalité du pouvoir dans la maison n’est pas celle qui est
officiellement affichée. Long débat.
Mais ce qui craint davantage : le rejet de la mesure s’accompagne de
l’incrimination de la responsable présumée, et arrive aussitôt l’image de
l’étrangère, la Blanche – Dominique Ouattara est d’origine française – celle
qui a mis le grappin sur son mari, qui prend le pouvoir, qui veut transformer
le pays à sa guise. Marie-Antoinette n’est pas loin.
Mon sentiment, celui d’une élite dirigeante qui veut
moderniser le pays, le remettre sur les rails de la croissance perdue –
hourra ! -, mais dont les références, la bulle où elle vit, appartiennent
à la globalisation. Une élite internationalisée, qui ne se préoccupe pas des
réalités quotidiennes des gens, qu’elle ignore certainement. Qui veut réformer
à marche forcée, rationnellement selon sa logique, et dont la pratique devient
autoritaire. Gare au Shah d’Iran.
Néanmoins , avant de terminer, si je parlais d’une présence
forte de Ouattara à la télé, il faut souligner
que continuent à pulluler aux étalages les journaux pro-Gbagbo, avec
leurs titres ravageurs, au style inimitable comme aux plus beaux jours, cette
capacité à tordre le langage pour affirmer avec la plus complète mauvaise foi que le
rouge est vert. Le Sophiste a trouvé son asile. Il faudra un jour qu’un
linguiste analyse les ressorts de cette rhétorique. Autre signe, la présence
aux devantures des librairies d’un Abobo
La guerre, épais ouvrage qui relit la crise postélectorale en plaidoyer
gbagboïste, dont la thèse ressassée est qu’en fait ce sont les forces françaises
qui ont enlevé Gbagbo, et installé Ouattara – usurpateur – au pouvoir. Les bras
continuent à m’en tomber. Quand les forces de Ouattara avaient réduit les positions de Gbagbo à quelques arpents
autour de la présidence et au quartier de Yopougon, une fois l’ensemble du pays
tombé comme un fruit mur entre leurs mains, sans intervention de l’ONU ni de la
France, quand la partie est ainsi jouée, hors la capacité du dernier carré à
tuer encore et détruire dans une résistance aveugle, le vainqueur est
établi, qu’importe alors qui donne l’estocade ou le coup de grâce ? Mais
revenons au propos : si la propagande du gouvernement est lourde,
l’opposition s’exprime, et bruyamment.
Abidjan demeure.