Une politique de gauche de l’immigration s’énoncerait ainsi.
Ce qui suit est un condensé, chaque paragraphe est à
développer – pour débattre.
Préambule : De quoi sera faite la honte de demain
La mort des migrants – en mer ou en chemin – sera demain une honte comme l’esclavage ou l’holocauste. La mort n’arrête pas le migrant. Comment sortir, à gauche ou avec progressisme, du dilemme : fermeture/portes grandes ouvertes ?
Le monde est désormais un village. Lieu commun. Or, la
plupart ne jouissent pas d’un des droits de l’homme fondamentaux : la
liberté de circulation. Les pays riches se claquemurent, s’entourent de
palissades, de barrières. Empêchent l’entrée chez eux. Obtenir un visa est une
gageure. Alors on est prêt à tous les moyens, on risque sa vie, par dizaines de
milliers.
On cloue au pilori les esclavagistes, les collabos associés
aux rafles des Juifs, les organisateurs et spectateurs des expositions
coloniales. N’en doutons pas : le seront demain ceux qui seront associés
au rejet des migrants, causant ainsi les morts par centaines en mer, dans les
déserts, ailleurs encore.
On le voit. La mort ne décourage pas.
Les barrages sont vains, et les migrants seront toujours
plus nombreux à venir s’y fracasser. Pour se protéger des candidats à
l’immigration, on interdit la circulation à ceux qui veulent voir le monde, et
qui s’en trouvent meurtris. Faut-il s’entêter à espérer faire cesser ces
vagues ? Ou plutôt se demander : qu’est-ce qui pourrait permettre le
flux des populations mais tarir l’immigration clandestine ?
En clair : que peut être une politique de gauche des
migrations ?
Avant-propos : Faire des migrants des atouts pour le
pays.
D’abord, il est impératif de prendre en charge dignement les arrivants. Statuer rapidement sur leurs demandes et appliquer les décisions. Trouver la bonne manière de les accueillir, selon une hospitalité attentive et adaptée, avec un personnel formé à ces modalités. Faciliter leur insertion dans la vie de la société. Autant d’objectifs que pouvoirs publics et associations doivent se donner ensemble.
Il y a d’abord l’impératif premier : prendre en charge
dignement les arrivants. Qu’ils arrivent régulièrement ou en forçant la porte. Je
ne développerai pas ici ce que signifie prendre en charge, à l’arrivée avec
parfois des situations d’urgence, pendant le traitement de la situation en cas
de demande de titre de séjour (au titre de demandeur d’asile ou autre), pendant
une période d’adaptation dans tous les cas. Des mesures sont d’ores et déjà
prises, qui vont dans le bon sens, mais certainement pas assez loin. Sans
entrer dans le détail, quelques grandes lignes directrices, et plusieurs
points.
Le traitement des dossiers des nouveaux arrivés gagne à être
rapide. Faire perdurer des situations d’attente - dans bien des cas inutilement,
un premier examen (je n’ai pas peur du mot « tri ») pouvant déjà
permettre de décider de beaucoup de situations, tandis que d’autres peuvent
nécessiter plus de temps – faire perdurer donc crée tensions, frustrations,
confusion. Cela enkyste un état de fait, et brouille le message d’accueil
régulé. Certaines postures associatives, au juridisme pointilleux, sous
prétexte de défense des intéressés, ont des effets néfastes y compris pour ces
derniers.
Les migrants ne sont pas des criminels. Tout au plus sont-ils
en contravention avec les règles d’entrée et de séjour sur le territoire. Ce
qui est sanctionnable, notamment d’expulsion. Ce qui peut provoquer des
réactions de refus, parfois violentes des intéressés, qui peuvent chercher à
s’y soustraire. Il faut donc trouver la bonne mesure dans le comportement
d’accueil, la bonne façon de faire, éventuellement différenciée. Il n’est pas
sûr que le personnel de la police ou de l’Intérieur soit le mieux à même de
remplir cette tâche, ou soit doté des moyens nécessaires. D’où la proposition,
plus loin, d’une administration dédiée à cette question, devenue essentielle
pour le pays, et appelée à être durable.
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Pour illustrer ma pensée, cette lettre, restée morte, que j'avais envoyée à une édile des Alpes-de-Haute Provence |
Pendant la période d’attente qu’il soit statué, ou pendant
la période d’adaptation d’un nouvel arrivant régulier – et de sa famille – pour
lui permettre de s’insérer au mieux, il faut éviter la ghettoïsation, qui a
créé tant de difficultés que nous connaissons. La dispersion dans des petites
et moyennes agglomérations, voire dans des villages, est une voie à explorer
systématiquement.* Le laisser-faire actuel et depuis toujours est largement
responsable des regroupements communautaires nuisibles à l’intégration sous une
apparence de facilité.
L’objectif recherché est la régularisation rapide s’il y
a lieu (et sinon l’expulsion sans délai), et, dès après, l’insertion, avec un
accompagnement substantiel et adapté à chaque cas (appui linguistique et
culturel, voire enseignement de base si nécessaire, connaissance de
l’environnement français, formation ou mise à niveau professionnelle,
validation des acquis). Autant d’investissements indispensables pour une bonne
intégration dans le tissu social et économique.
L'accueil des migrants est largement traité par beaucoup
d’associations de très bonne volonté. Je me contenterai donc de souligner qu'il est de première importance pour la suite, pour une bonne intégration des arrivants et de la génération suivante, pour la cphésion sociale. Mon propos ici portera essentiellement
sur la question des flux migratoires.
*Cela est beaucoup pratiqué par certains de nos voisins européens, comme j'en ai eu par hasard le témoignage (lire ici la note
Kenya by train (4) Migrants).
Idée 1 : Barrage contre le Pacifique, rien n'empêche
La réponse de l’Europe : s’enfermer. On rejette ainsi les voyageurs de bonne foi. Cela n’empêche pas les entrées, qui forcent la porte par tous les moyens. La souffrance, le danger, la mort ne découragent pas.
L’Europe se protège derrière les limites de l’espace Schengen.
Elle affine, depuis des années, ses critères d’accès. Les mailles du tamis se
resserrent de plus en plus, selon la doctrine du « risque
migratoire ». Pour obtenir un visa, quand on est ressortissant d’un pays du Sud, c’est la croix et la
bannière. Vous êtes jeune, oubliez. Vous n’avez pas de compte en banque bien
rempli, oubliez. Vous n’avez pas … Comme rien ne distingue un candidat « à
risque » qui se dissimule d’un autre, on interdit tout ou presque.
Quantité d’individus qui ont seulement envie d’aller
découvrir le monde, de gens qui ont un peu réussi et veulent en profiter pour
sortir de chez eux, ou pour aller visiter des membres de leur famille – se
trouvent rejetés. Empêchés, car on ne sait jamais …
Ces mesures sont-elles pour autant efficaces ? A
l’évidence, non.
D’une part, elles sont largement détournées. La corruption
existe (même si elle est marginale) et bien des témoignages montrent qu’on peut
acheter son visa, via des destinations détournées, mais les Consulats de France
ne sont pas à 100% exempts. L’enjeu est tel !! Qui n’y mettrait le prix ?!
Et une fois dans Schengen, on plonge dans la clandestinité. Mais il y a bien
d’autres moyens. On peut produire un dossier impeccable, avec des relevés
bancaires mirobolants – à Abidjan par exemple, mais certainement ailleurs,
beaucoup – qui sont d’authentiques supercheries. Idem pour d’autres
attestations nécessaires, exigées. La malice prend toujours les meilleurs
dispositifs en défaut.
D’autre part, quand on ne peut entrer, même frauduleusement,
par des voies légales, on force la porte. Franchissements clandestins de
frontières terrestres poreuses des marges de l’espace Schengen,. Aventures en
mer après de dramatiques traversées du Sahara : depuis le Maroc, la
Tunisie, la Lybie. Pour un migrant embarqué, combien attendent sur la
côte ? combien n’y sont même pas parvenus et sont restés en chemin ?
On colmate, on empêche, ça s’infiltre quand même, à gros bouillons. Impossible
tâche, qui ne peut aller que dans un crescendo dramatique, insupportable.
Idée 2 :
Une politique contre-productive
C’est inefficace et contre-productif. On rejette les « bien intentionnés », et les autres passent quand même. Cela crée du ressentiment chez tous, qui se sentent rejetés, victimes d’injustice. Cela crée de la haine, dans notre arrière-cour, et même chez nous. Cela favorise l’immigration clandestine : qui a la chance de passer reste, l’occasion ne se représentera plus. La politique actuelle est un échec complet. Que faire d’autre pour TARIR les flux ?
Toutes les mesures prises sont non seulement inefficaces (ou
insuffisamment, de manière non satisfaisante), mais elles sont surtout contre
productives.
Les candidats de bonne foi au voyage (sans intention de
rester, il y en a !!! ) se voient rejeter et le vivent comme injustice,
déni d’un droit simple. Les procédures de demande de visa sont exténuantes,
humiliantes, coûteuses, très souvent pour rien. Sans explication
compréhensible. Beaucoup d’ailleurs n’essaient même plus. La frustration est
immense, à la mesure du rejet. On crée le ressentiment, dans des populations
qui nous étaient favorables, avec qui nous avions tissé des liens historiques.
Tout un crédit de sympathie – qui se traduit aussi en termes d’échanges
économiques, de préférence d’investissements, de rayonnement culturel,
d’influence politique – se trouve gaspillé, anéanti. La haine n’est pas loin,
le terreau est fertile. C’est catastrophique à long terme.
En fait, cette pratique incite à l’immigration clandestine.
Pas seulement parce que l’interdiction du pot de confiture excite le désir.
Mais la difficulté d’obtenir un visa fait que, quand on en a un, quand on est
arrivé en Europe, c’est une chance à ne pas laisser passer, qui ne se reproduira
pas ! Notre politique fige les flux, décourage les retours.
On refuse le bon grain, et l’ivraie passe. Rien ne ressemble
plus à la vérité qu’un beau mensonge. Les demandeurs de visa de bonne foi ont
souvent des dossiers mal ficelés, il manque un truc. Blackboulés !! Les tricheurs
– dûment conseillés par de « bons offices » lourdement rétribués –
bénéficient du savoir-faire. Souvent,
ça échoue, parfois ça passe. Le Loto, oui. Mais combien de sans le sou jouent
tout ce qu’ils ont ? La chance est faible, mais il y a une chance de s’en
sortir, de SORTIR. Arrivent ceux qui trichent le mieux. On encourage les
trafiquants.
Idem pour les entrées illégales. Il y faut une grande dose
de motivation, de courage, de désespoir – n’avoir vraiment rien à perdre - pour
quitter le Sahel, le Golfe du Bénin, la Corne de l’Afrique, se lancer à travers
le Sahara, risquer tout des bandes qui y rôdent et qui pressurent, se risquer
vers les Canaries, l’Espagne, Malte ou les îles italiennes, après avoir payé
des sommes énormes à des passeurs sans scrupules pour embarquer dans des
esquifs trompe-la-mort. C’est folie, oui ! Mais on sait que tant et tant
sont prêts à tout risquer tant pour eux c’est NO FUTURE. Sont-ce les plus
qualifiés ? les plus aptes à s’intégrer en Europe ? vont-ils, après
ça, arriver chez nous en se sentant bienvenus, accueillis,
reconnaissants ? On ne contrôle en rien qui entre chez nous, on se prive
de sélectionner (oui, assumons !). On encourage les passeurs criminels et
on donne une prime au seul courage aveugle qui a la rage au cœur.
Quel est donc le résultat de la politique actuelle, à peine
caricaturé : on s’épuise à tamiser les entrées, à repêcher des naufragés
en perdition, en suscitant la haine de générations qui auraient pu être amies.
Pour autant persiste un afflux très important, grandissant, incompressible, de
migrants sélectionnés « naturellement » sur des critères de témérité
folle, de ruse et de tromperie, d’implication dans les trafics en tous genres.
Mauvais démarrage, quand il vaudrait mieux accueillir des migrants plus
qualifiés, plus intégrables, mieux disposés – qui n’aient pas fait l’expérience
que seul le détournement de la loi paie.
Idée 3 :
L’appel de « Là-bas »
On ne peut, d’évidence, accueillir tous les candidats à l’immigration. Ils sont millions. Le déséquilibre des niveaux de développement en est la cause. Mais en attendant que les pays du Sud émergent (il faut les y aider), il faut trouver des pis aller, des solutions transitoires, les moins injustes possibles, reposant sur des règles claires qui fassent la part à l’humain.
Il faut réécouter, encore, la chanson de Goldman. Tout y est
dit.
Pour qui a tourné en Afrique (je parle de ce que je connais
le mieux, j’imagine qu’il en va de même ailleurs), qui y fréquente des gens de
tous milieux, c’est l’évidence. Une très large proportion de la population, en
particulier chez les jeunes, est prête à partir vers les pays du Nord. Pour
beaucoup c’est la préoccupation permanente, à l’affût de la moindre
possibilité, de la moindre chance – et tous les moyens sont bons, la notion
d’honnêteté n’est pas pertinente. Pour d’autres l’urgence est moindre, l’idée
plus diffuse, mais si l’occasion se présentait … Cela varie selon les pays,
certains étant plus désespérants que d’autres pour leur jeunesse. Les
statistiques n’existent pas, j’ai l’intuition qu’elles feraient frémir, si les
réponses étaient sincères. Libérez les vannes, ce serait un tsunami.
On retrouve ici Michel Rocard, et sa fameuse phrase qui
prend tout son sens : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère
du monde » qu’il ne faut pas oublier de poursuivre par « mais (la
France) doit en prendre fidèlement sa part. ». Qu’on le veuille ou non, il
faut bien admettre ce que Rocard a reconnu – dût-on s’en déchirer le cœur.
C’est une réalité, incontournable, « qu’il s’agit de prendre non pas pour
une valeur mais pour une réalité », pour reprendre la
distinction, très riche, de Claude Lévi-Strauss, à propos de seuil de tolérance
à l’immigration.
La situation est là. Une contradiction, ouverte, insoluble
en l’état. Des bataillons de candidats potentiels à l’immigration au Nord, et
une incapacité de celui-ci à répondre à cette demande, sauf à bouleverser les
équilibres sur lesquels reposent ses sociétés (niveau de vie, marché du
travail, protection sociale, etc.).
La situation n’est pas nouvelle. Les sociétés européennes
ont connu en leur temps le phénomène de l’exode rural, où les populations des
campagnes sont parties en masse rejoindre les centres industriels naissants.
Déjà on avait limité les déplacements, restreint les mouvements de main d’œuvre
(carnet de travail obligatoire). Mais cela se passait le plus souvent dans un
cadre national, il s’agissait de citoyens. Mais les pôles de développement
pouvaient absorber cette main d’œuvre nombreuse non qualifiée, l’intégrer, dans
le cadre de la révolution industrielle. La révolution numérique n’emploie pas
en masse, et réclame de la haute qualification.
La cause majeure est identifiée : le déséquilibre entre
les niveaux de développement. Les populations du Sud, beaucoup plus pauvres,
aux sociétés en pleins bouleversements, sont aimantées par la richesse du Nord
– fût-elle un miroir aux alouettes. Là encore rien de nouveau. Les immigrations
italienne, puis espagnole, portugaise vers la France ont cessé – voire se sont
inversées – quand le niveau des économies de ces pays s’est rapproché du nôtre.
Cela viendra pour l’Afrique aussi. Mais on n’en est pas encore là, et il faut
gérer l’actuel.
Nous sommes donc, inexorablement, dans une situation de
contradiction, de tension. On ne peut l’éluder. Comment dès lors la gérer au
mieux, à gauche ? Quel pis aller ? On peut se douter que cela doit
s’asseoir sur des valeurs comme l’exigence de justice, une réglementation
claire et intelligible, une mise en œuvre qui fasse la part de l’humain, avec
doigté. Que l’on énonce pourquoi tel est accueilli, et tel est refoulé. Afin
qu’il y ait compréhension, faute d’une impossible acceptation.
Mais sur quelle politique fonder ces règles et ces
pratiques ?
Idée 4 :
Régulariser ?
On se focalise sur le clandestin. Pour en faire une victime – ou un bouc émissaire. Mais c’est s’enfermer dans un dilemme insoluble. Etre clandestin est dur à vivre, dans la précarité permanente, mais c’est aussi s’être mis dans l’illégalité. Immigrer clandestinement n’est pas un crime – on ne peut en tenir rigueur moralement aux individus – mais une société doit faire respecter les lois qu’elle s’est données.
De plus, les clandestins posent des questions sociales, à leur corps défendant. Tantôt ils pèsent lourdement sur les réguliers qui les entretiennent, dont ils rendent difficile l’intégration. Tantôt ils sont mis en servitude par ces derniers, qui profitent de leur fragilité. Les deux situations sont inacceptables socialement et humainement. Contraire à des valeurs progressistes.
Le débat sur l’immigration s’est, depuis des années,
concentré sur le clandestin, devenu figure archétypale, juste bon à jeter à la
mer pour les uns, icône de l’exploité et dernier espoir de la révolution pour
d’autres. Si on dépassait ce dilemme ?
Attention, et comprenons nous bien. On parle ici de
politique, nous sommes dans la raison et non dans la sensibilité (ce qui
n’exclut pas l’humanité). Ce qui est dit concerne des phénomènes sociaux, et
non des individus qui, pris séparément, ont dans la plupart des cas droit à de
la compréhension, voire de la compassion. Soumis aux mêmes contraintes, qui
peut dire : « je n’aurais pas fait pareil » ? Il faut néanmoins
gouverner – ou définir des politiques.
On l’a vu plus haut, le clandestin est quelqu’un qui s’est
mis hors la loi. C’est dur, mais il faut le rappeler. On ne peut avoir de
cohésion sociale sans que soient respectées les règles que la société s’est
fixées. Il a pénétré dans un pays sans y être autorisé, par des moyens
interdits ou malhonnêtes, ou il y est resté au-delà du temps où il devait le
quitter, rompant ainsi l’engagement pris.
Il est très douloureux d’être clandestin. Insécurité,
précarité. Non accès à certains services sociaux – mais des avantages quand
même. Leur illégalité, le plus souvent, ne peut leur être, à titre individuel,
incriminée. Le plus souvent toujours, ils sont par ailleurs honnêtes, ne
demandent qu’à travailler, à s’intégrer, rendons leur cette justice. Cependant,
pour ne citer que ces points là :
Les clandestins sans emploi sont un fardeau pour les immigrés
en situation régulière. Quand ils débarquent, ils s’imposent à ceux qui sont
là. Les solidarités familiales ou communautaires sont incontournables. Ils
doivent être entièrement pris en charge, parfois pendant longtemps. Ils créent
une surpopulation des foyers, où on s’entasse dans les chambres à deux trois
fois la capacité, au détriment de l’hygiène, pour ne pas parler du confort. Le
travailleur, qui a déjà peine à vivre ici et à envoyer quelque argent au pays
se trouve étranglé par cette contrainte supplémentaire. Celui qui a sa vie de
famille, modestement logé, doit faire la part au(x) nouveau(x) venu(s), on se
serre, les enfants travaillent où ils peuvent, ils passent après les arrivants
qui sont leur aînés. L’intégration en souffre. Vous n’entendrez bien entendu
aucune déclaration publique de la part de réguliers pour se plaindre de
l’immigration clandestine. Cela ne saurait se dire. Mais fréquentez-en, vous
verrez combien cela est ressenti.
Les clandestins qui travaillent sont très souvent exploités
par des réguliers. Les patrons sont obligés par la loi de demander des papiers
à ‘embauche. Ils ne sont souvent pas très regardants, ne lisent pas de près,
chacun y trouve son compte. Très souvent, pour travailler, le clandestin doit
utiliser les papiers d’un autre, il est déclaré sous un autre nom. Son salaire
est versé sur le compte d’un autre. Là encore, pas d’illusions, l’homme est un
loup pour l’homme, et le discours sur la solidarité couvre des pratiques
souvent sauvages. Ces pratiques ne sont pas gratuites. L’utilisation d’une
autre identité n’est pas gratuite – même au sein de la même famille, entre
frères. Le salaire est ponctionné, diversement, cela peut aller jusqu’à la
moitié. Sans parler des cas – pas si rares – où un prête-nom en difficulté
s’arroge sans scrupule la totalité des gains du clandestin, qui n’a aucun
recours légal – tout au plus peut-il se retourner vers sa communauté pour
arbitrer, mais souvent en vain : l’argent est parti. Qui ne se souvient
des reportages sur les mouvements de clandestins qui réclament régularisation ?
Sachons voir, dans le discours d’appel aux autorités, l’enjeu majeur qui
souvent est d’enfin échapper à une exploitation éhontée venant d’une dépendance
à l’égard de l’autre immigré.
Ne généralisons pas, il y a comme partout de grandes âmes,
de vrais comportements solidaires entre immigrés – un communautarisme fort
aussi, mais qui fonctionne souvent autant comme une contrainte que comme un
appui.
Idée 5 :
D’une vraie solidarité
Si les clandestins peuvent mériter une bienveillance humaine à titre individuel, la solidarité à leur égard ne peut être érigée en politique, car elle est partielle, et inadéquate. (1) La clandestinité génère des situations inacceptables. (2) La régularisation massive ne fait pas cesser la clandestinité, elle constitue au contraire un encouragement à émigrer. (3) On a ses clandestins comme on avait ses pauvres : charité de dames-patronnesses. (4) On ne s’émeut que de ceux qui viennent mourir sous nos yeux : pure sensiblerie. (5) On donne la prime aux risque-tout et aux meilleurs tricheurs, ceux qui sont passés. (6) On ignore ceux qui voudraient venir, et qu’on rejette en masse. DONC, c’est le contraire d’une solidarité avec les populations du Sud.
Alors, soutenir les clandestins ? Avoir de la
bienveillance pour les entrées clandestines, s’opposer aux expulsions, réclamer
la régularisation générale par principe, sont-ce là des positions de gauche par
excellence ? De fait, au-delà de l’affectif et de la posture, non. Et pour
plusieurs raisons.
Ce n’est pas de gauche d’encourager, ou de fermer les yeux,
sur des pratiques d’exploitation subies par les plus précaires. Que
l’exploiteur soit le frère de condition et non seulement le patron (on doit
peut-être parler d’extorsion alors, ou d’imposition, plutôt que d’exploitation)
ne rend pas les pratiques défendables. La situation de clandestinité est
néfaste en elle-même, il convient de la dénoncer, en attaquant ses causes, pour
la faire cesser (tendre à son extinction, soyons modestes), plutôt que la
valoriser.
Or, lieu commun que d’aucuns s’acharnent à nier, les
régularisations massives ne font pas disparaître la clandestinité. Elles créent
un appel d’air pour plus de candidats, qui y voient la preuve qu’au final, ça
pourra s’arranger, que leur souffrance clandestine finira par se terminer, que
le grand voyage en vaut la peine. Cette idée, née de régularisations d’il y a
dix ou vingt ans déjà, reste dans les mémoires, nourrit l’ardeur à émigrer. Ce
n’est donc pas le bon combat.
Mais surtout, surtout : faire un axe de la défense des
clandestins, c’est le contraire de la solidarité avec les pays du Sud.
On s’apitoie sur ceux qu’on voit, sur ceux qui sont arrivés.
Sur ceux qui ont franchi tous les obstacles, par force ou par ruse. « On
achève bien les chevaux », version XXIème siècle. Ou Koh Lanta. A ceux qui
restent, toute notre sympathie. On vous soutient, on veut vous garder. Mais
pourquoi eux ?
Pourquoi AUCUNE solidarité avec tous les autres, tous les
laissés pour compte, ceux qui ne sont pas ici, qui n’ont pas pu venir, qu’on a
refusés, qui n’ont pas triché, qui n’ont pas forcé notre porte ? Tous
ceux-là qui voudraient aussi venir en France, pour rendre visite, ou pour
s’installer peut-être, travailler chez nous, mais qui sont refoulés ? Ils
méritent au moins autant notre attention, notre souci. Ils diffèrent simplement
des clandestins qu’ils n’ont pas enfreint nos lois. Nous les ignorons donc.
Je dirai presque la même chose des noyés de la Méditerranée.
On s’émeut, on s’horrifie (à juste titre) de ceux qui viennent s’échouer sur
nos plages, sous nos yeux. Sous nos caméras. Qu’on les repêche ! Qu’on
leur porte secours ! Et les passeurs d’en profiter, d’envoyer n’importe
quelle barcasse à la mer, pas d’obligation d’arriver au port. Mais on n’a pas
un mot, pas un souci, pour ceux que l’Atlantique engloutit hors de vue entre le
Sénégal et les Canaries, ou ceux, très nombreux, qui se perdent dans le désert,
ou meurent aux mains des seigneurs de guerre en Lybie, rançonnés par les bandes
du Sinaï, et autres.
On s’apitoie sur ceux qu’on voit, qu’on a sous les yeux, qui
mettent mal à l’aise. C’est l’attitude des dames patronnesses d’antan, qui
avaient leurs pauvres, bénéficiaires des œuvres charitables. C’est Cosette
jeune fille qui rend visite aux Thénardier et leur apporte soutien, sans les
reconnaître. Louable, peut-être. Mais une politique de gauche ne donne pas
là-dedans (que les individus s’en chargent). Elle n’a pas ses pauvres. Elle
définit une vraie solidarité, en identifiant les acteurs sociaux. En
l’occurrence, les populations en position de migration, qui font le choix
(réalisé, en cours ou en projet) de
venir s’établir chez nous. Tout en prenant en compte tous ceux qui souhaitent
visiter chez nous, dont il faut satisfaire le désir, permettre le voyage, se
faire des amis et des alliés dans des pays amis.
Cela dit, quid des clandestins présents ? Il faut aussi
savoir régler les problèmes existants avec humanité et intelligence.
Différencier les cas. Solder le passé dans la justice et la compréhension, qui
n’excluent pas la rigueur. D’une certaine façon, la pratique du gouvernement
actuel y tend. Mais après ?
Idée 6 :
L’Afrique, notre arrière-cour
L’Afrique n’est pas un continent étranger. Nous sommes inextricablement liés. A travers nos citoyens qui en sont originaires, à travers les immigrés en situation régulière qui résident chez nous, à travers les clandestins, à travers les populations qui l’habitent, dont les représentations, les imaginaires sont pétris, à notre égard, d’un affect complexe résultat d’une longue histoire. Il est très imprudent de se faire des ennemis. Les attentes à notre égard sont nombreuses, parfois faites d’illusions, ou fantasmatiques, impossibles, dans leur globalité, souvent, à satisfaire. Mais que la désillusion, inévitable, arrive avec un ressenti de mépris, d’indifférence, d’incompréhension, d’humiliation, alors l’hostilité, la haine surgissent naturellement. Or, notre politique migratoire actuelle est une machine à produire ce processus.
L’Afrique compte environ 1 milliard d’habitants, il est
prévu que sa population – jeune, dynamique – double d’ici peu de dizaines
d’années.
L’Afrique est la voisine immédiate de l’Europe. Elles ont un
passé de relations étroites, d’échanges, beaucoup en commun. En Afrique
résident de nombreux ressortissants français. Nos intérêts y sont importants.
Ils sont fragilisés par une concurrence nouvelle, par de nouvelles données
internationales qui rompent les schémas anciens. En Europe, en France
notamment, résident d’importantes communautés
africaines. Elles font partie intégrante désormais de notre société.
Beaucoup, installés depuis longtemps, sont devenus des citoyens français, ou
leurs enfants le sont.
Immigrés ou citoyens, ces hommes et femmes ont conservé des
liens étroits avec leurs pays d’origine. Liens familiaux, liens communautaires,
liens culturels et religieux. C’est une richesse pour eux, et pour notre
société. Ils sont informés de ce qui s’y passe, ils y sont partie prenante. Ils
sont concernés par les progrès, mais aussi par les troubles, les mouvements qui
agitent le continent. Ils en subissent es effets, souvent en termes de
pression. Demandes d’aide, de soutien, d’appui aux projets, y compris aux
projets migratoires. Les restrictions à la circulation des personnes les
affectent, pris qu’ils sont entre deux contraintes ou deux loyautés.
Bref, l’Afrique n’est pas un continent étranger. Nous lui sommes
inextricablement liés. A travers nos citoyens qui en sont originaires, à
travers les immigrés en situation régulière qui résident chez nous, à travers
les clandestins, à travers les populations qui l’habitent, dont les
représentations, les imaginaires sont pétris, à notre égard, d’un affect
complexe résultat d’une longue histoire.
De toutes ces populations avec lesquelles nous devons, quoi
qu’il en soit, et devrons vivre, il est très imprudent de se faire des ennemis.
Les attentes à notre égard sont nombreuses, parfois faites d’illusions, ou
fantasmatiques. Impossibles, dans leur globalité, souvent, à satisfaire. Mais
que la désillusion, inévitable, arrive avec un ressenti de mépris,
d’indifférence, d’incompréhension, d’humiliation, alors l’hostilité, la haine
surgissent naturellement. On en a déjà connu des flambées, dans des pays
réputés très amis. Or, notre politique migratoire actuelle est une machine à
produire ce processus. Chez des gens qui sont déjà chez nous, souvent.
S’aliéner des populations entières qui nous sont
indissociables, c’est aussi mettre en danger notre avenir, notre « vivre
ensemble » d’aujourd’hui déjà, et surtout de demain. C’est faciliter
l’installation des périls et terrorismes en tous genres au cœur de notre
société.
Idée 7 :
Accueillir largement
Quelle pire marque d’hostilité, quelle pire humiliation que de se faire fermer la porte par celui à qui on veut rendre visite, avec qui on se sent un rapport étroit ? Il faut ouvrir les portes, donner des visas, accueillir ceux qui veulent venir nous voir, voir à quoi ressemble l’Europe, ces nouvelles couches moyennes qui veulent dépenser et profiter. Ceux qui veulent visiter leur famille. Mais aussi attirer ceux qui veulent étudier, se former, si on veut avoir encore quelque rayonnement à l’avenir.
Quelle pire marque d’hostilité que de se faire fermer la
porte par celui à qui on veut rendre visite ? Quelle humiliante
frustration que de ne pouvoir, une fois qu’on en a rassemblé les moyens, aller
voir là bas où il y a les lumières, où la belle vie a lieu. Où on ne demande
qu’à aller dépenser son argent pour profiter un peu. Circulez les gueux, c’est
pas pour vous dit, le cerbère à l’entrée. Le droit seulement d’entendre la
musique quand le porte s’entrouvre, ou à la télé.
Il faut laisser voyager les demandeurs de courts séjours. Il
faut ouvrir les portes, accueillir ceux qui veulent rendre visite, venir voir, se
rendre compte. Le Nord est objet de désir, pourquoi en frustrer la
satisfaction ?
Combien vont faire leurs courses à Dubaï, qui viendraient
bien en France ou en Europe, non pour faire de meilleures affaires, mais parce
que c’est plus alléchant ? Ils vont ailleurs par défaut. A-t-on vraiment
les moyens de refuser leur commerce, de crainte qu’il n’y en ait parmi eux qui
en profitent et s’incrustent ? Les
flux d’échanges commerciaux se détournent, et on y contribue par mentalité de
forteresse.
Alors qu’il conviendrait de donner le désir de venir chez
nous à toute une classe moyenne émergente dans de nombreux pays d’Afrique qui
se portent assez bien, les obstacles que l’on érige, les difficultés que l’on
oppose créent la désaffection. Certes,
on sait faire exception pour une élite, on la laisse passer – même si parfois
la façon dont les demandeurs sont traités dans les Consulats la heurte et
l’humilie. Mais c’est bien au-delà qu’il faut se remettre à accueillir, en
particulier vers la jeunesse qui n’oubliera pas demain, quand elle sera cette
élite même qu’on courtise, le comportement qu’on a eu à son égard.
Il faut accueillir très largement ceux qui veulent venir se
former, étudier. Les restrictions à la circulation refoulent de nombreux
candidats qui souhaitent venir étudier chez nous. Parfois pour des raisons qui
tiennent (cette formation existe dans votre pays, revenez à un niveau plus avancé).
Mais cette admonestation vertueuse a surtout pour effet de détourner vers
d’autres lieux. Celui qui désire partir part, mais ailleurs. D’autres pays que
le nôtre deviennent des pôles attractifs. Le marché de l’éducation nous
échappe.
Certes, le problème est complexe (dans la mesure où nos
droits d’inscription sont très bas, puisque l’enseignement est fortement
subventionné, on ne peut non plus subventionner des étrangers sans compter).
Mais on sait l’importance capitale attachée au fait d’avoir formé des élites
pour créer des liens souvent indéfectibles, sur le très long terme.
Idée 8 :
Former les élites : la vie après les études
C’est un enjeu d’avenir majeur : former les élites des pays en développement. Pas seulement pour les études, mais aussi pour les débuts professionnels. L’avenir de l’Afrique se fera avec les Africains qui seront partis ailleurs, qui seront revenus avec de l’expérience, une connaissance du travail, du management, et de l’activité économique. Mais aussi avec des réseaux, des technicités, des attachements. Les laisser partir ailleurs, c’est se priver d’avenir. DONC (1), favoriser les visas d’étude, (2) favoriser les périodes de travail en entreprises, (3) favoriser les retours pour aller exercer au pays, avec la garantie de retour possible en cas de déboire.
J’ajouterai que la formation ne se limite pas aux études.
Or, très souvent, l’autorisation de séjour se termine sitôt le diplôme achevé.
Il faut aussi favoriser, en facilitant les séjours, l’entrée
dans la vie professionnelle, l’initiation au monde du travail, à son
fonctionnement, les premières expériences de la vie active. La formation inclut
aussi l’acquisition des savoir-faire liés à l’activité professionnelle, aux
responsabilités exercées dans l’entreprise et le monde du travail.
C’est d’une importance cruciale pour l’avenir.
Pendant très longtemps, avant et après l’indépendance, les
Africains venus étudier en Europe étaient des boursiers. Totalement pris en
charge, ils rentraient diplôme en poche au pays – ils étaient passés à côté du
monde du travail. Bombardés aussitôt à des postes élevés, ils ont (je
caricature, bien entendu), constitué une caste de bureaucrates qui n’ont pas peu
contribué à la crise où ont sombré les nouveaux Etats moins de vingt ans après
les Indépendances. En tout cas, disons qu’ils ont peu aidé à l’essor de
l’initiative privée, à l’émergence d’acteurs économiques autonomes – un monde
qui leur était étranger.
Les crises des années 80 et 90 ont précipité l’émigration de
couches éduquées, de cadres diplômés, vers les pays du Nord. D’autres sont
venus aussi faire leurs études, mais par leurs propres moyens, la manne
boursière s’étant tarie, ou devenue très sélective, ou discriminatoire. Tous
ceux-là se sont insérés dans le monde du travail en Europe, ils sont devenus
des travailleurs comme les autres. Ils ont vieilli, ont fait souche, leurs
enfants sont nés ici, ont étudié, travaillent. D’autres, très nombreux, ont
rejoint au cours des années.
Il y a là une immense ressource humaine qualifiée, rompue à
la modernité, qui sait comment ça marche, qui souvent a réussi. Qui,
contrairement aux précédents, connaît la vraie vie. Qui souvent aussi ne se
sent pas suffisamment reconnue, qui se sent injustement ralentie dans sa
progression, en butte à un plafond de verre. Qui se dit qu’avec son
savoir-faire, son expérience, elle pourrait réussir au pays, faire bien mieux
que dans ce vieux monde sclérosé où on ne lui donne pas sa chance. Si les
conditions étaient favorables …
Qu’une faible proportion (même un, deux, trois sur dix) de
ces immigrés qualifiés et expérimentés rentrent travailler en Afrique, sur dix
à vingt ans, cela pourrait grandement contribuer à changer la face du
continent. Un tel mouvement est enclenché. On le perçoit, encore timide, dans
quelques pays qui commencent à émerger, qui donnent confiance à leurs
ressortissants.
C’est un enjeu important pour les pays où est installée
cette ressource humaine. Les liens tissés, les réseaux, les méthodes acquises
seront un terreau fertile pour accompagner le décollage de ces économies, et
participer à leur croissance.
Une politique d’immigration doit favoriser la maturation de
ces cadres, ne pas entraver leurs premiers pas dans l’activité professionnelle
mais lui laisser libre cours, voire la favoriser.
Elle doit aussi favoriser, sinon inciter les retours au
pays. Non pas nécessairement en donnant des primes au départ. Elles sont
dérisoires, et forcément objet d’abus et de détournements. En œuvrant à la
stabilisation et à l’ouverture des pays d’origine, certes. Mais plus
concrètement, prosaïquement, en accompagnant la prise de risque qu’un tel
retour représente. En faisant savoir, par exemple, que le retour sera possible,
que ce n’est pas un saut dans l’inconnu. Fluidifier les situations, que la
situation actuelle enkyste.
Idée 9 :
Expulser résolument
Mais cet accueil, très large, doit être réglementé et contrôlé. Les autorisations de séjour sur le territoire sont limitées dans le temps, et cette limite doit être respectée. Tout dépassement doit être sanctionné par l’expulsion. Sans état d’âme. Cela doit être expliqué dès avant aux intéressés, ainsi qu’à l’opinion. L’objectif est (1) de faire respecter la loi – ce qui est une demande populaire forte, et (2) de rendre vaine l’immigration irrégulière, et ainsi en tarir le flux : on ne dépense pas des fortunes, on ne risque pas la mort pour un projet inutile.
Accueillir très largement, donc. Cela ne veut pas dire pour
autant ouvrir grandes les vannes, laisser entrer tous ceux qui se pressent
derrière les barrières. On en a parlé plus haut.
Le corollaire, c’est un contrôle rigoureux des flux de
population, et une action déterminée pour faire respecter la loi.
Dès lors qu’on empêche les gens de voyager, de se déplacer,
on peut s’attendre à ce qu’ils soient nombreux à essayer de passer outre. Dès
lors qu’on a permis à d’aucun de jouir de son droit, en en fixant la limite,
celui-ci n’est pas en position de se plaindre (ni d’être plaint) s’il est mis
en demeure de respecter ce à quoi il s’est engagé.
Ainsi, s’il convient d’accorder largement des visas de court
séjour, il faut expulser sans état d’âme quiconque serait pris sur le
territoire au-delà de la date permise de retour. Il doit en aller de même des
séjours plus longs, dès lors que des critères généreux mais clairs de
renouvellement ou de prolongation ont été énoncés.
Une bonne part de l’hostilité à l’égard de l’immigration
vient du fait que le loi n’est pas respectée, que l’autorité de l’Etat
(c’est-à-dire aussi des citoyens) est bafouée. Cela ne sert personne. Ni les
immigrés en situation régulière, sur qui pèse le soupçon, la méfiance, voire
l’hostilité. Ni les clandestins, qui vient dans la précarité, et l’incertitude
mais qui gardent l’espoir que, bon an mal an, ça peut toujours s’arranger. Ni
les forces de l’ordre qui désespèrent de l’utilité de leur tâche. Ni la
justice, débordée.
S’il s’avère, progressivement, - si le mot se répand, si la
rumeur enfle, grossie par l’expérience - qu’il ne sert à rien d’immigrer
clandestinement, puisqu’une telle situation aboutit bien plus souvent à
l’expulsion que l’inverse, qu’on a toutes les chances de se retrouver au pays,
alors, et alors seulement, le flux de clandestins pourra diminuer voire, à
force, se tarir.
Il faut parvenir à rendre vaine l’immigration clandestine,
pour que personne n’ait plus de raison de s’y risquer. Car on risque sa vie si
on a un espoir, si mince soit-il, que sa tentative a une chance d’aboutir. Il
faut décourager non le désir d’immigrer (le développement de perspectives
d’avenir au pays y contribuera), mais l’idée que le faire clandestinement
pourra être couronnée de succès.
Un projet vain ne vaut pas que l’on meure.
Idée 10 :
Une immigration choisie, et non subie
Les flux migratoires ne doivent plus être subis, mais acceptés et contrôlés. L’expression « immigration choisie » a été détournée, accolée à une mauvaise politique. Il faut lui redonner un contenu positif, fait de valeurs de solidarité, de légalité républicaine, de justice aussi en donnant leur chance aux gens de bonne foi, et non plus aux fraudeurs et risque-tout. Le clandestin ne doit plus être une victime, mais quelqu’un qui n’a pas tenu ses engagements.
Ce serait aussi, pleinement assumée, recherchée, la
conséquence d’une telle politique d’immigration qui serait de gauche.
Je reprends cette expression à dessein. Elle a été
galvaudée, détournée, par l’usage qui en a été fait sous la présidence de
Sarkozy, quand la seule répression tenait
lieu de politique, quand il s’agissait de faire du chiffre à seule fin
de communication, avec le nombre d’expulsions comme but en soi, quand les mêmes
revenaient peu après par la fenêtre qui avaient sous les caméras été mis à la
porte. Une formule donc honnie et diabolisée à gauche, pour ce qu’elle servait,
en effet, à nommer une politique détestable.
Mais l’expression n’est pas condamnable en soi, bien au
contraire. Il serait dommage de l’abandonner à la droite, voire à son extrême,
parce qu’elle aurait été utilisé par eux, souillée, comme le Yop dans lequel
l’autre a craché. Non, elle prend un tout autre sens dans le cadre d’une
politique de large accueil, généreuse, ouverte – mais rigoureuse, sincère, de
part et d’autre.
Qui niera qu’il est préférable d’accueillir – pour
travailler, ou s’installer – des candidats aptes à s’intégrer plus facilement,
sachant au moins lire et écrire par exemple. Car un vrai accueil, c’est celui
qui permet l’intégration à la société, pas celui qui envoie vivre dans des
ghettos où la loi règne à peine, à la merci de propagandistes du pire acabit.
Discrimination ? Cesseraient de venir les enfants
analphabètes de régions entières (je pense au fleuve Sénégal) qui vivent
d’eux ? Peut-être, mais ne serait-ce pas aussi leur envoyer le signal
salutaire : commencez par envoyer vos gamins à l’école.
Où est le mal si ce ne sont plus les risque-tout ou les plus
rusés qui aboutissent chez nous, mais d’honnêtes candidats au vu de leurs
qualités intrinsèques ?
Une telle politique, bien mise en œuvre, avec l’humanité qui
convient, pourrait trouver sinon soutien, du moins neutralité silencieuse, chez
les immigrés eux-mêmes, voire dans les pays. L’expulsé ne serait plus la
victime tombée au champ d’honneur mais le tricheur qui a essayé mais n’a pas
réussi.
Idée 11 :
Modalités pratiques : le coût
Expulser un clandestin coûte très cher. Pour
financer cette politique, il faut à la fois générer des moyens, et dissuader la
clandestinité. (1) Créer un fonds, alimenté par exemple par une augmentation
des visas, une taxe minime sur les billets d’avion, etc. (2) Exiger des
personnes constituant un « risque migratoire » (actuellement rejetés)
un dépôt de garantie, restitué lors du retour dans les temps.
Une telle politique, bien entendu, a un coût.
Expulser un clandestin coûterait jusqu’à 10 000 euros
(entre son billet, ceux aller-retour de l’escorte, la rémunération de celle-ci,
etc.). C’est bien entendu énorme. On ne peut - même avec l’espoir d’une baisse progressive,
avec les premiers effets – envisager de telles dépenses, sans les financer au
moins en partie.
Un fonds pour subvenir à ces dépenses pourrait être alimenté
de plusieurs manières. On peut penser à une augmentation du montant des visas,
au titre de la solidarité. Ou à celui du timbre fiscal à payer pour obtenir une
attestation d’hébergement, préalable à l’obtention d’un visa. Pourquoi pas
aussi une taxe supplémentaire sur les billets d’avion, minime, l’exemple
existe. En tout cas, financer.
Il faut aussi, surtout, dissuader les bénéficiaires de visa
de ne pas rentrer.
Pour cela, parmi d’autres idées possible, celle d’un dépôt
de garantie. Celui qui demande un visa atteste qu’il a déposé une somme,
importante, auprès d’un organisme ad hoc. Somme qui lui est restituée, dans son
intégralité, à son retour en temps voulu, qui est perdue sinon. Si cette somme
ne pourra couvrir l’intégralité des frais de rapatriement, elle doit en
constituer une bonne proportion. Cela pourrait être, à la louche, quelque chose
comme 3000€.
J’entends déjà les cris : discrimination !!!
sélection par l’argent !!! on refuse aux gens modestes le droit à voyager
!!! Oui, mais …
Ce mode de sélection est au moins admis, compris – même s’il
n’est pas désiré. Il repose sur un critère objectif, clair. On sait ce qu’il
est, on sait comment le satisfaire, même si c’est difficile. Rien à voir avec
les exigences actuelles, floues et confuses, léonines, qui reposent sur le
soupçon et la méfiance.
Plusieurs bémols à ces accusations. D’abord, ce montant est
bien moindre que ce que les migrants peuvent donner aux trafiquants et passeurs
de tout poil – sans espoir de restitution ! – et que pourtant ils
trouvent, même infiniment pauvres, parce que tout le village s’y est mis pour
envoyer au Nord celui qui après leur enverra ses gains, misérable à jamais.
Quelle situation préfère-t-on ? Ensuite, on peut emprunter cette somme, si
on est de confiance auprès de prêteurs. Banques, certes, ou parentèle,
voisinage, les possibilités sont multiples. Enfin, pour ceux qui restent
outrés, voilà une belle forme de solidarité qui leur est offerte :
contribuer à des fonds – sous forme d’ONG - qui justement financeraient les
sommes mises en gage par tel ou tel candidat au voyage.
Idée 12 :
Modalités pratiques : la mise en œuvre
La mise en œuvre de ces dispositions ne poserait
pas de problème particulier à nos Consulats. Le contrôle des
mouvements migratoires devrait être confié à un ministère spécifique :
leur bonne gestion n’est pas une affaire de police mais de gestion d’une ressource
pour le pays. Parallèlement, pour traiter rapidement les infractions au droit
de séjour, on pourrait créer des instances de jugement spécifiques, qui
déchargeraient les tribunaux et accéléreraient les expulsions.
A l’étranger, la mise en œuvre d’une telle politique ne pose
pas de problèmes spécifiques. Le travail des Consulats demeure identique, mais
le dépôt de garantie est exigé en sus des demandeurs de visa qualifiés
actuellement de « présentant un risque migratoire ». Cela n’inclut
pas de charge supplémentaire, la collecte, la conservation et la restitution
des dépôts de garantie pouvant être externalisés, au prix bien entendu d’un
strict contrôle.
La question mérite une attention plus particulière en
France.
Un des problèmes majeurs rencontrés par l’application de la
loi est la lenteur des procédures. Les clandestins interpelés et déférés
engorgent les tribunaux, encombrent les centres de rétention, se retrouvent
souvent élargis faute de savoir qu’en faire, découragent en fait les agents
chargés de faire respecter la réglementation.
Actuellement, la question des clandestins est traitée
judiciairement, par la police et la justice, dont ils surchargent les tâches,
et les empêche de se concentrer sur le cœur de leur métier, à savoir combattre
la criminalité. De plus la police a l’habitude d’avoir affaire à des
délinquants, alors qu’on ne peut assimiler les clandestins sous ce vocable.
Ne conviendrait-il pas de créer une administration
spécifique, un Ministère des Migrations ? Là encore, le fait que Sarkozy
ait utilisé cet outil ne doit pas détourner de la réflexion sur son usage. Tout
dépend du rôle qui serait assigné à cette administration, des missions qui lui
seraient confiées, des valeurs qui la guideraient. Elle pourrait d’ailleurs
trouver dans ses attributions à la fois (1) les dossiers des Français
expatriés, (2) la lourde question de faciliter la cohésion sociale en
favorisant l’intégration des immigrés réguliers ainsi que des Français nés de
parents migrants, et enfin (3) d’assurer le respect de la réglementation sur
les autorisations de séjour sur le territoire. Un ministère dont la tâche
majeure serait de faire des migrations un atout pour le pays.
Parallèlement, il convient que les dossiers des clandestins
interpellés soient traités avec célérité. Des semaines, des mois d’instruction
rendent l’action vaine : la situation des individus a changé, l’expulsion
devient de plus en plus difficile. Il faut que la décision, et son application
interviennent très rapidement.
Les procédures actuelles datent d’un temps où les quantités
de dossiers à traiter étaient bien moindre. Elles en sont plus adaptées à la
situation actuelle. De même, on le disait, il ne s’agit pas ici de délinquance,
mais de contravention à une réflexion.
Proposition à réfléchir : créer des tribunaux
spécialisés dans les affaires de droit de séjour, à l’instar des tribunaux de
prudhommes pour les affaires de droit du travail. Ils pourraient être composés
de représentants divers - jurés populaires, acteurs institutionnels et sociaux,
associations, y compris des représentants d’immigrés - et seraient dotés
d’instructions précises, claires et justes, grâce auxquelles pourrait être
examiné chaque cas.
La question des réfugiés
Idée 13 :
PREAMBULE
Poser des principes : lorsqu’une crise grave
éclate dans un pays (1) les populations victimes qui tentent de la fuir doivent
bénéficier de solidarité ; (2) elle ne doit pas être un fardeau pour les
pays limitrophes où les populations affluent ; (3) elle ne doit pas être
une aubaine pour une migration « rêvée ».
Tout ce qui précède vaut particulièrement pour les
migrations dites « économiques ». Ce qu’il est convenu d’appeler la
« crise des réfugiés » semble ne pas entrer dans ce cadre. Elle a
créé une situation d’urgence, un afflux massif, auquel il a fallu apporter une
réponse immédiate de solidarité puisqu’elle créait une question humanitaire
d’urgence.
Mais au-delà du traitement de la question à court terme, il
faut définir une politique générale qui traite là aussi de la situation avec
justice et humanité, mais raison.
Je propose deux points de départ à la réflexion :
Des principes : lorsqu’une crise grave éclate dans un
pays (1) les populations victimes qui tentent de la fuir doivent bénéficier de
solidarité ; (2) elle ne doit pas être un fardeau pour les pays
limitrophes où les populations affluent ; (3) elle ne doit pas être une
aubaine pour une migration « rêvée ». Cela impose un traitement
international.
A PROPOS DES PRINCIPES. L’opinion en Europe a été
bouleversée par l’afflux massif de populations arrivées du Proche-Orient,
fuyant la guerre en Syrie et en Irak. Des dizaines, voire des centaines de
milliers de personnes qui voulaient pénétrer en Europe. Mais des déplacements
de population comparables, voire plus importantes, existent ailleurs dans le
monde, mais ne nous affectent pas. Une bonne partie de la population
érythréenne a fui son pays. Les réfugiés de Somalie se comptent par millions,
notamment au Kenya. Sans parler des Sahraouis, ou des Palestiniens, pour
lesquels c’est une longue histoire.
Très souvent, ce sont les pays voisins qui doivent
accueillir ces masses de réfugiés, avec, souvent aussi, l’aide du UNHCR. Ainsi,
le Liban croule sous le nombre des réfugiés syriens et autres. Il a été
déstabilisé par celui des Palestiniens, jadis. La Turquie renâcle à garder sur
son sol les Syriens qui fuient la guerre, et fait un chantage à l’aide, en
compensation.
Les réfugiés ne doivent donc pas être un fardeau pour les
pays où ils affluent, pour une raison de simple justice, et parce que sinon,
s’ils se révèlent incapables de les accueillir, le problème peut se déplacer.
Par ailleurs, on l’a vu à l’occasion encore de la
« crise des migrants », le problème est particulièrement complexe. Le
flux, généré par la fuite de la guerre en Syrie, a drainé des migrants aux
origines et motivations très diverses. Afghans, Pakistanais, bien d’autres, et
même des Nord-Africains, voire des Africains du Sud du Sahara, bloqués de
l’autre côté de la Méditerranée, ont trouvé l’occasion de se mêler à l’afflux,
et de s’infiltrer là où ils ne le pouvaient précédemment. Même pour certaines
populations plus directement concernées par la guerre, on ne peut exclure
l’effet d’aubaine et l’occasion de gagner certains pays du Nord, jusque là
inaccessible.
Ainsi, autant il convient de traiter avec solidarité et
humanité des populations lancées sur les routes pour trouver refuge, autant il
faut avoir une politique au-delà de l’urgence, qui permette de faire face à ces
afflux dramatiques.
Idée 14 :
Distinguer :
exilé, réfugié, migrant
L’exilé est un individu qui ne peut rentrer dans
son pays car il y est personnellement menacé. Le réfugié a fui en masse une
situation de crise, en attendant qu’elle se résolve. Il est dans un groupe, il
est traité collectivement, souvent dans des camps organisés par des instances
internationales. S’il dépose, à titre d’individu, une demande d’asile et se
trouve alors accueilli dans un autre pays où il bénéficie du statut de réfugié.
Sa condition n’est alors pas différente de celle de l’exilé. Le migrant quitte
son pays sur décision individuelle sans menace autre que l’impossibilité
ressentie à s’y accomplir, ou à répondre aux attentes des siens.
Pour moi un exilé c’est
celui qui ne peut rentrer dans son propre pays car il y perdrait sa liberté,
voire sa vie, il y encourt arrestation, nommément. J’ai envie de prendre comme
exemple, puisqu’il est mort voilà très peu, Jean-Claude Duvallier, l’ancien
dictateur d’Haïti – parce que parmi les exilés, il n’y a pas que des gentils.
Ils trouvent un pays d’accueil, y obtiennent le statut de réfugié (attention à
l’ambiguïté des mots), ils ne peuvent rentrer chez eux. C’est le cas des
grandes figures de l’exil, dans le passé comme au présent. Trotsky, de nombreux
Chiliens à la chute d’Allende, les ressortissants de l’Est aux temps
soviétiques. Souvent des personnalités, des responsables, individualisés. A
donner des exemples, on voit aussi des cas où l’exil est volontaire, résultant d’une
impossibilité ressentie à vivre chez soi, sous un régime oppressant. Hugo. En
général, l’enfermement viendrait au retour. On rentre, parfois avec honneur,
quand la situation se renverse.
Le réfugié relève
d’un autre profil. Il est en masse. Il fuit, avec quantité d’autres, une
situation où il estime courir un danger, être sous la menace. Il se sauve. Sa
fuite l’emmène le plus souvent dans un pays voisin (parfois même dans son
propre pays, en cas de conflit interne).
La réponse apportée au phénomène est, si possible, la
création de camps, sous l’égide le plus souvent des Nations Unies, qui ont un
Haut Commissariat (UNHCR) qui s’y consacre. Ils ont établi le camp de Dadaab au
nord Kenya, près de la frontière, qui rassemble près d’un demi-million de Somaliens
à ce jour. A certains égards, on est proche de la crise humanitaire, résultant
d’un cataclysme. De vastes mouvements de populations, installées à l’abri, pour
des durées imprévisibles.
C’est dans un second temps que le réfugié redevient
individu. Quand, à titre individuel - et souvent pour une petite minorité
seulement -, ils déposent des demandes d’asile auprès d’autres pays. Cette
partie sort du camp, on dirait par le haut, et partage avec les exilés le
statut de réfugié quand ils sont acceptés par un pays d’accueil. Les autres
attendent, le retour comme horizon, la fin du conflit, le changement ou
l’évolution du régime, que cesse ce qui les a fait fuir. Le camp s’autonomise,
échappe au contrôle des autorités du pays d’accueil et de l’ONU, s’enkyste. Ce
sont les réfugiés hutus dans l’est de la RDCongo, les camps de Somaliens au
Kenya, noyautés par les Shebabs. Ce sont les camps des Palestiniens au Liban,
depuis 1946. Rares sont les exemples d’intégration dans le pays
d’accueil. Combien de temps cela a-t-il pris, en France, pour les
Républicains réfugiés de la guerre d’Espagne ?
Parfois enfin, quand les masses sont trop importantes, ou
que les camps n’ont pas eu le temps de s’organiser, ou encore que l’attraction
d’un autre lieu – « greener pastures » - accessible est trop forte,
ces masses refusent les camps et forcent l’accès à travers les frontières, dans
des conditions dramatiques et périlleuses. Mais comme pour les migrants,
faut-il céder à ce qui demeure – au-delà de la détresse humaine qu’il faut
traiter – un coup de force et un chantage affectif ?
On se retrouve dans le même cas de figure qu’avec les
migrants qui risquent la méditerranée.
Et puis il y a les migrants –
émigrés d’un côté, immigrés de l’autre, souvent en danger au milieu. Dans leur
cas, pas de péril grave ou immédiat, mais une impérieuse nécessité ressentie,
désir d’ailleurs où tout est possible quand ici est bouché, que les rêves y
sont étroits (« Là-bas » de J.J.Goldman dit tout à ce sujet),
pression du groupe, phénomène du cadet, etc. Impérieuse nécessité, qui peut
aller jusqu’au rien à perdre, risquer tout, « no future », jusqu’à sa
vie. Si leur nombre fait masse, leur migration relève de la décision
individuelle.
Qu’advient-il d’eux ? Certains immigrent légalement,
sont dotés d’un titre de séjour, permettant le travail. Tout se passe bien
jusqu’au renouvellement, qui se fait ou pas. D’autres arrivent avec un visa
touristique, obtenu très normalement ou par acrobatie, et plongent dans la
clandestinité à son expiration. D’autres enfin entrent illégalement, par toutes
sortes de chemins, grâce à toutes sortes de fricoteurs et aigrefins, à grand
coût, au prix de grandes souffrances, au péril de leur vie.
Idée 15 :
Répondre aux demandes d’asile
Il faut poursuivre la tradition française de générosité
d’accueil, mais avec discernement. L’octroi du statut de réfugié aux demandeurs
d’asile parvenus sur le territoire français doit se faire (1) avec rigueur,
lorsque la menace subie est avérée et (2) avec rapidité, pour éviter de créer
des situations de fait. Il peut aussi relever du tribunal spécialisé mentionné
précédemment. Mais il faut peut-être accroître très sensiblement l’asile
accordé aux demandeurs placés en camps de réfugiés. Une façon d’avoir une
immigration large et choisie.
La France a une tradition de générosité pour recueillir les
exilés, et les individus sous menace. Il faut la perpétuer. A savoir se montrer
très généreux, mais avec discernement.
Mettons à part quelque cas très minoritaires de
personnalités soudain contraintes à l’exil. Dans la plupart des cas, les
demandes émanent d’individus qui ont réussi à accéder au territoire national,
légalement ou non, et une fois sur place, déposent leur demandent, pour une
raison ou une autre. Il est très difficile de faire la part du vrai et du faux,
de mesurer la gravité de la menace subie ou du péril encouru dans le pays
d’accueil. Comment traiter les dossiers avec rigueur, faire la part de la
demande légitime et de l’opportunité saisie, ou carrément de la fausse
déclaration ?
Ainsi, si le régime érythréen, ou nord-coréen, est
particulièrement dictatorial, doit-on accorder le droit d’asile à tous les
Erythréens qui en feraient la demande ? Si telle ethnie est discriminée
dans un pays, tous les membres de cette ethnie ont-ils vocation à immigrer dans
l’UE ? Si des lois particulièrement menaçantes pour les homosexuels sont
adoptées, suffit-il de se déclarer gay pour bénéficier d’accueil ? Cela
peut être la porte ouverte à des abus, qui ruineraient toute la politique
définie, et ce d’autant qu’on se trouve davantage dans le cas de figure du
réfugié (relevant du UNHCR), pris en charge à proximité.
Dans ce cas aussi, il faut accélérer énormément le
traitement des dossiers. 12 mois, voire bien plus, entre le dépôt d’une demande
et la décision, est humainement terrible. Une situation se crée, un individu
vit dans l’incertitude, mais en même temps se crée un cadre de vie, et la
sentence, souvent négative, est de ce fait douloureuse – parfois inapplicable.
Là encore, comme suggéré plus haut pour les migrants en situation irrégulière,
des « tribunaux » ad hoc pourraient se prononcer rapidement.
En revanche, un signal fort à donner serait de considérer
fort favorablement les demandes d’asile émanant des réfugiés recueillis dans
des camps, et qui désirent rejoindre notre pays. On retombe dans le cas d’une
immigration choisie, qualitativement et quantitativement, qui peut aussi être
généreuse, davantage même qu’à l’égard des demandes présentées depuis notre
territoire national.
Idée 16 : Une réponse internationale aux situations de
crise
Les flux de réfugiés, générés par les situations de
crise, relèvent d’un traitement international, à travers des instances
multilatérales opérant en coordination avec les pays voisins ou proches des
foyers de crise. C’est la vocation d’un UNHCR qui serait réformé,
dé-bureaucratisé, apte à répondre à l’urgence comme à gérer le devenir de ces
populations à moyen terme. Dans l’attente, l’Union Européenne peut aussi,
collectivement, prendre sa part, voire se montrer pionnière.
Les crises qui éclatent dans un pays provoquent des
mouvements – parfois massifs – de populations, d’abord vers les pays voisins.
La prise en charge de ces réfugiés ne doit pas peser sur les
seuls pays qui reçoivent. Ce sont souvent des pays pauvres, mais dans tous les
cas ces afflux massifs et brutaux ont des effets déstabilisants,
économiquement, voire politiquement.
Mais, comme ce fut le cas lors de la récente « crise
des migrants », d’autres pays plus lointains, mais choisis comme
destination par des masses de réfugiés, ne doivent pas non plus subir un
mouvement de force.
La communauté internationale s’est dotée d’une institution
multilatérale : le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés
(UNHCR). C’est à ce niveau que devraient être traitées toutes les situations
d’urgence qui éclatent dans le monde. De toute ampleur. Ces situations
appellent une solidarité internationale globale – tous les continents
mutualisant leurs ressources pour faire face, n’importe où dans le monde. C’est
déjà ce qui se passe dans une certaine mesure. L’UNHCR a établi et gère nombre
de camps de réfugiés de par le monde, où des centaines de milliers de personnes
sont assistées.
Cependant, comme hélas pas mal d’institutions onusiennes,
l’UNHCR est largement bureaucratique, a des procédures lourdes, des modes
opératoires rigides et souvent peu adaptés. Le système des camps, tel qu’il
existe, enkyste les situations qui ont tendance à perdurer, crée des tensions
avec l’environnement et les populations alentour, laisse fleurir des
organisations informelles nocives (Interhamwe dans les camps de réfugiés
rwandais au Kivu, Shebabs au nord Kenya) qui s’approprient l’aide et font
régner leur loi.
Il conviendrait donc de réformer en profondeur le UNHCR, son
organisation, ses méthodes, sa réactivité, les structures qu’il met en place,
son (absence de) souci de l’insertion des réfugiés dans leur environnement
social, ou de l’apport que pourraient constituer les réfugiés au pays
d’accueil. Bref, en faire une agence très opérationnelle, réactive dans
l’urgence et développementaliste dans la durée, qui prenne en charge le devenir
des personnes sous sa charge. Disposant par ailleurs des moyens nécessaires,
auxquels contribuerait l’ensemble de la communauté internationale. Alternative,
le UNHCR pourrait, avec un cahier des charges très précis, déléguer ses tâches
localement, au pays d’accueil ou à des groupes de pays plus particulièrement
concernés.
En attendant cette réforme qui risque de prendre du temps,
l’Union Européenne doit prendre en charge certaines situations d’urgence, faire
face à l’urgence humanitaire, accueillir peut-être mais aussi mettre en œuvre
des solutions de moyen terme, y compris en dehors de son espace. Peut-être
proposer le prototype de ce que pourrait devenir le UNHCR réformé.
Là encore, la question des réfugiés ne doit pas être abordée
au niveau national, mais international.
Idée 17 :
Les migrants, en conclusion
Le réfugié est dans une situation transitoire. Il a d’abord
vocation à rentrer chez lui, une fois la crise terminée. La vie en camp ne
devrait être que temporaire : le temps que la situation qui a provoqué le
départ s’améliore. Malheureusement, certaines situations perdurent (les
Palestiniens, depuis 1947) et créent des états de fait qu’il faut d’abord
prévenir pour pouvoir les gérer.
S’il ne rentre pas chez lui, le réfugié devient donc soit
exilé – si une demande d’asile de sa part a reçu une réponse favorable, auquel
cas il bénéficie du statut de réfugié dans son pays d’accueil – soit il devient
un migrant, cherchant à s’établir et à poursuivre sa vie dans un pays autre que
le sien.
On voit que, dans tous les cas, l’axe d’une politique
audacieuse, responsable, généreuse et durable, tient dans les deux termes
indissociables : « Accueillir largement, expulser résolument ». Fondée
sur des valeurs d’ouverture, de justice, mais aussi de rigueur et de respect
des engagements, cette politique dépasse la contradiction dans laquelle nous
sommes actuellement enfermés, et propose une perspective progressiste à faire
partager avec nos partenaires européens.