UNE VISION STRATÉGIQUE QUI REMONTE A LOIN
J'ai proposé ce texte, écrit pour la circonstance, à la revue Afrique contemporaine, qui avait jadis publié quelques articles que j'avais commis, seul ou avec John-Mary Kauzya, ou encore avec Emmanuel Nabuguzi, et qui appelait à contribution pour un numéro consacré à l'intégration régionale en Afrique de l'Est. Le texte - trop peu scientifique - n'a pas été retenu. Alors je le partage ici, pour faire réagir à son idée finale : ne pas espérer de paix dans l'est de la RDC tant que cette région ne sera pas intégrée à la Communauté Est-Africaine.
Un meeting à Makerere University
Décembre 1979, quelques mois après la
chute d’Idi Amin, le dirigeant du FRONASA (Front for National Salvation), un
des mouvements de rébellion qui avaient contribué à la « libération »
de l’Ouganda, s’adresse aux étudiants de l’Université de Makerere. Il est
ministre de la Coopération Régionale. Il s’appelle Yoweri Museveni.
Il avait été écarté peu de temps auparavant du Ministère de la
Défense qu’il occupait sous la présidence de Yusuf Lule, mais, toujours membre
de l’Executive Council du UNLF, il avait obtenu ce portefeuille de consolation.
Le choix n’était pas indifférent.
Devant les étudiants réunis nombreux ce jour-là, il a plaidé pour
un Ouganda puissant dans un grand ensemble régional car il n’y avait pas selon
lui d’avenir pour son pays s’il restait confiné
dans ses frontières. Il fallait voir plus grand, au-delà même des limites de la
défunte East-African Community.
Il arrivera au pouvoir en 1986, après 6 années de guérilla
contre le régime d’un Obote vieillissant revenu frauduleusement au pouvoir.
L’éclatement de l’East African Community
La colonisation anglaise avait fortement intégré certains
services essentiels des trois territoires contigus sous son contrôle, la
colonie du Kenya, le protectorat de l’Ouganda, le mandat du Tanganyika. Un même
service postal (depuis 1935), chemins de fer, compagnie d’aviation, ports,
établissement d’enseignement, etc.
Cette intégration avait perduré au-delà de l’accession de ces
territoires à l’indépendance, à des dates diverses et avait été
institutionnalisée en 1967. Mais les tensions entre les partenaires ont
augmenté assez vite : options politiques différentes, antagonismes directs
entre Nyerere et Idi Amin. Les errements de celui-ci, la volonté kényane de
tirer profit seul de ses avantages ont abouti en 1977 à l’éclatement de l’East
African Community.
Si cela a donné des ailes au Kenya, les autres s’en sont mal
relevés.
Quel espace ?
Les routes utilisées par Bolloré Africa Logistics à partir de Mombasa |
Quand la question d’un ensemble régional se repose dans les
années 80, ce n’est plus dans les mêmes termes. Certes, les trois pays ont
vocation à constituer le bloc central de l’édifice. Mais il n’est plus
nécessaire de s’en tenir aux limites héritées de l’histoire coloniale.
L’espace se définit par la géographie des échanges. L’Afrique de
l’Est, c’est là où vont les véhicules qui chargent ou déchargent aux rivages de
l’Océan Indien. C’est tout le bassin de circulation des hommes et des
marchandises dont le débouché extérieur est à Mombasa ou sur les autres ports
de la côte.
Un espace qui remonte loin dans le temps (les caravanes parties
notamment de Zanzibar l’ont défini) que l’histoire coloniale a morcelé. Il
inclut aussi les petits Rwanda et Burundi, la partie sud du Soudan, tout l’est
du grand Congo, alors Zaïre.
Les événements du passé
L’histoire des trente dernières années dans la région, souvent
tumultueuse, se prête à cette lecture : celle de la longue et patiente
constitution d’un ensemble régional, encore inachevé. En plusieurs grands mouvements,
où l’on retrouve souvent l’Ouganda à la manoeuvre.
Le rapprochement entre les grands pays fondateurs. Les options
politiques et économiques ont très largement convergé, les objectifs des uns et
des autres sont devenus davantage compatibles, voire ont fait la place à une
répartition des tâches.
La prise de pouvoir au Rwanda en 1994 par Kagame et le FPR –
avec le soutien déterminant de l’Ouganda -, avec le choix stratégique fait dès
lors de l’Anglais marque la volonté de la nouvelle élite de ce pays de
s’arrimer à l’ensemble voisin (où elle a souvent grandi) et d’en faire partie à
part entière, pas en figurant.
Depuis le début, l’Ouganda de Museveni soutient la rébellion de
John Garang au Sud-Soudan. Intérêt direct : lutter contre le mouvement de la LRA de Joseph Kony qui y
trouve sanctuaire. Mais aussi visée à long terme. Un Sud Soudan indépendant ne
pourra que s’allier étroitement à ses voisins du sud, voire en devenir
satellite. C’est arrivé après 30 longues années.
En 1997, Laurent-Désiré Kabila, soutenu par le Rwanda et l‘Ouganda,
mène la rébellion des Banyamulenge contre le régime de Mobutu. Il en sort
victorieux. Trop même. L’est du Zaïre allait-il se détacher et basculer vers
l’Est Africain, selon sa pente naturelle ? Kabila a poussé jusqu’à
Kinshasa, conservant l’unité du pays devenu R.D.Congo. Mais tout n’est pas dit.
Le Burundi exsangue après des décennies de guerre civile absurde
n’a pas d’autre choix que d’adhérer volontairement à la Communauté
Est-Africaine en cours de constitution. Son intégration était d’ailleurs de
fait jouée.
La Somalie a sombré depuis longtemps dans l’anarchie et se
trouve en proie au djihadisme, une menace pour toute la région. Les Ougandais
et les Burundais constituent l’essentiel de la force d’intervention de l’Union
Africaine qui, avec la présence des Kényans, y remporte des succès. Par
ailleurs, l’essentiel de l’élite somalienne, en particulier économique, est
déjà présente et investie à Nairobi et au Kenya.
Le sud de l’Ethiopie aussi est partie prenante, et ce pays
intervient en Somalie.
L’Ouganda, récemment, a manifesté sa volonté d’être présent en
République Centrafricaine. On sort du bassin, mais c’en sont les confins, où
une déliquescence d’un contrôle étatique pourrait mettre en péril la sécurité
de l’espace est-africain.
La question de l’est de la RDC
On voit, à travers des événements qui apparaissent distincts,
selon des modalités disparates, la cohérence d’une visée stratégique. La
constitution d’un espace géopolitique, en cours d’achèvement.
Une intégration qui ne se fait pas dans la concorde et la bonne
entente, mais qui résulte plutôt de l’exploitation maximalisée des rapports de
force.
Car reste un gros morceau : le Kivu, l’est de la RDCongo.
Vingt ans de troubles incessants, de rébellions successives, d’alliances en
tous sens, de paix sitôt rompues par l’apparition de nouveaux mouvements
improbables. Et ce depuis l’échec de l’éclatement du Zaïre en 1997.
Il faudra développer ce point, dans sa complexité. Mais il y a
fort à parier que la guerre n’aura de cesse tant que cette vaste et riche zone
n’aura pas trouvé sa modalité d’intégration à son espace géographique
(naturel ?) qu’est l’Afrique de l’Est et son émanation géopolitique en
gestation qu’est la Communauté Est-Africaine. Il peut y avoir d’autres options
que la guerre.
Addendum, pour le blog
Pour expliciter un peu la dernière phrase, trop elliptique.
Quelles modalités ?
Pour le moment, les réels protagonistes du conflit restent arc-boutés
sur des positions maximalistes. Kinshasa clame que le Kivu est une partie intégrante
de la RDC, elle-même indivisible, et reçoit le soutien de la Terre entière. En
fait, Kinshasa entend bien ne renoncer en rien au potentiel de rente que constitue
la région, aux richesses dont elle regorge, même si l’instabilité chronique lui
en rend l’exploitation difficile.
De l’autre côté, le Rwanda au premier chef, l’Ouganda à moindre titre, en pillent largement, mais dans les limites imposées par une certaine clandestinité, les ressources les plus accessibles. Ils voudraient bien se débarrasser des gêneurs de Kinshasa, les sortir du tour de table, pour investir massivement et exploiter la région. Plus, intégrer à leur marché toute cette zone largement peuplée, à bon potentiel, et qui est un débouché naturel. Les autres partenaires, notamment les Kényans, y ont tout intérêt.
De l’autre côté, le Rwanda au premier chef, l’Ouganda à moindre titre, en pillent largement, mais dans les limites imposées par une certaine clandestinité, les ressources les plus accessibles. Ils voudraient bien se débarrasser des gêneurs de Kinshasa, les sortir du tour de table, pour investir massivement et exploiter la région. Plus, intégrer à leur marché toute cette zone largement peuplée, à bon potentiel, et qui est un débouché naturel. Les autres partenaires, notamment les Kényans, y ont tout intérêt.
Le projet de réseau ferré à forte capacité en cours de réalisation |
Rien d’étonnant dès lors qu’à peine un accord de paix est-il
signé entre le gouvernement de Kinshasa et un groupe rebelle, après des
négociations longues et coûteuses pour la communauté internationale que, au
bout de peu de mois, voire quelques semaines, un autre mouvement surgit d’on ne
sait-où, pour remettre tout en question. Il ne manque jamais de fou
sanguinaire, ni de désœuvrés enrôlables, il ne leur faut que quelques moyens…
Dans cette stratégie maximaliste, il n’y a que des perdants qui
croient pouvoir un jour rafler la mise entière par l’écart des autres joueurs.
Mais qui n’en profitent pas pour autant.
L’intégration du Kivu dans la Communauté Est-Africaine, ne
pourrait-elle pas s’envisager tout en restant au sein de l’Etat RDC ? Des
règles ne peuvent-elles être établies pour organiser la mise en valeur des
richesses de telle sorte que chacun y trouve son compte ? Que les
investisseurs extérieurs y soient sécurisés, favorisés ? Bref, ne vaut-il
pas mieux partager un gros gâteau que désirer la totalité des miettes ?
Le jour où les politiques le veulent, les diplomates ne sont pas
à court d’imagination pour trouver des modalités d’intégration originales, des
formules institutionnelles novatrices.