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Je me permets quelques réactions de béotien à la série d'articles sur le CFA dont l'argumentaire me semble largement parasité, à son détriment.
PARASITE 1 Faut il être un gbagboiste enfiévré pour se livrer à une analyse critique du système CFA? Je ne le pense pas. Certains a priori et formulations outrancières me semblent relever d'un autre combat que je ne discuterai pas mais qui nuisent au propos au risque de le rendre inaudible. La patte de certains des rédacteurs, ou concession à Mediapart?
PARASITE 2 La France. Elle est coupable de tout et de son contraire. D'avoir imposé la devaluation de 84, de la refuser depuis. De profiter honteusement des réserves. De laisser les dirigeants les accumuler. Le rôle qu'on lui fait jouer ici est celui du punching ball. On lui porte les coups qui devraient ou devront être portés aux vrais adversaires, mais c'est diversion. Ça peut plaire à l'auditoire mais ça occulte les vraies questions. Quand bien même tout serait vrai (y compris les zestes de mauvaise foi), comment la France pourrait elle s'opposer à la volonté de deux groupes de pays, ensemble ou séparément, de recouvrer leur autonomie monétaire ? Impossible. Dès lors la question devient: Pourquoi cette volonté ne se manifeste -t-elle pas? Et dès lors aussi tout ce discours de dénonciation de la France devient secondaire. Elle en profite? Elle exerce du pouvoir? Pardigue! Elle aurait tord de s'en priver. Mais quels avantages y a-t-il au statu quo qui compensent ces inconvénients et font (à qui?) préférer le maintien ? La réponse selon moi est essentiellement et fondamentalement politique et non monétaire.
Mais quelques remarques préalablement.
REMARQUE 1 Il est parlé avec envie de ces pays qui ont leur monnaie nationale, et la gèrent comme des grands. C'est un fait. Mais il ne faut pas oublier l'histoire. Il y a eu une époque où le cédi ghanéen s'est effondré jusqu'à ne plus valoir rien ou s'utiliser par milliards pour acheter une bière. A l'instar du mark de la République de Weimar. Idem au Zimbabwe. Quand je suis arrivé au Nigeria en 1983 la naira s'échangeait contre un dollar. A mon départ en 1987, il en fallait largement plus de 100, je ne me souviens plus très bien. Avec contrôle des changes, non convertibilité et marché noir florissant. Il m'est arrivé d'aller faire mon marché dans l'Ouganda d'après Idi Amin en emportant non pas des liasses de la plus grosse coupure mais des paquets de 10 liasses qu'on ne déficelait plus pour acheter ses tomates. Même dans le sage Kenya le shilling s'est largement et progressivement érodé. Je ne parle pas des pays où le dollar US est devenu la monnaie d'échange la plus courante.
Bien sûr ces pays ont redressé la barre, sous contrainte d'ajustement structurel en général, et certains sont aujourd'hui enviables, même si on peut faire la fine bouche.
Mais ce qui me semble le plus important dans ces processus est la redistribution des cartes qui s'y est jouée.
Tous les revenus d'ordre salarial (en particulier dans la fonction publique) se sont effondrés : à un moment le salaire mensuel de mes collègues à l'université correspondait au prix d'un casier de bière. Tout ce qui était d'ordre marchand, en revanche, pouvait suivre le rythme et s'ajuster vaille que vaille. Y compris les services. Le prof le matin faisait la pub pour ses cours privés de l'après-midi.
Les marqueurs sociaux ont changé. On est passé du statut et de la position au "business minded" ( y compris la marchandisation des possibilités offertes par la position).
Parallèlement les prix des produits importés augmentaient d'autant et les produits locaux devenaient attrayants ou mieux que rien.
Pas sûr que ceux qui peuplent les institutions, qui vivent de salaires et qui consomment de l'importé acceptent de gaîté de coeur la perspective d'une telle remise en cause de leur mode de vie. Pas sûr que ces épisodes dramatiques soient inéluctables et qu'une transition plus modérée soit impossible. La rue Monsieur en 84 s'évertuait à imaginer des dispositifs qui amortiraient les effets de la dévaluation pour les populations, aisées en particulier. Pas sûr non plus que les changements de mentalités induits par les crises dans les autres pays puissent se produire aussi.
REMARQUE 2 Monnaies nationales ou régionales? Là encore la question est secondaire par rapport à une autre: Quelle politique économique pour le développement de quelle société ? S'il s'agit d'un chacun pour soi et d'une course à la compétitivité, go national, et les plus faibles seront vite distancés. Mais gare à la fable des grenouilles. S'il s'agit de développer les échanges entre pays sur la base des avantages comparatifs, de valeur ajoutée locale et de vastes marchés, il faut une monnaie commune à cette aire d'échanges. Mais comment la bâtir avant que la monnaie du géant, la naira (ou peut-être le dollar) ne s'impose de fait comme la devise des transactions de la zone ?
REMARQUE 3 Qui n'a pas grand chose à voir mais dont je ne peux m'empêcher en lisant ce qui est dit à propos de Ouattara. Je me souviens là encore que dans les années 90 il était la bête noire des Français pour qui il n'était qu'un suppôt des Américains. Je ne sais qui a joué quel rôle dans la succession au décès d'Houphouët mais à la rue Monsieur ce fut très longtemps "Tout sauf Ouattara", au point de ne rien trouver à redire (to say the least) à la calamiteuse politique d'ivoirité qui n'avait rien à envier à la préférence nationale qu'on dénonçait en France avec horreur. Comme quoi les choses peuvent changer et la perspective historique est toujours intéressante, au moins pour son côté amusant.
POUR EN VENIR AU FOND: Le feuilleton Mediapart, substantiel et documenté comme il est, aborde à peine, et par touches subtiles - mais peut-être est ce difficile à énoncer publiquement tout de go - ce qui me semble l'essentiel. Et cet essentiel relève du politique au sens de système d'organisation de la société.
Dans des formations sociales basées sur la rente, c'est à dire sur le contrôle de la ressource et de sa redistribution par les cercles qui détiennent le pouvoir politique, le système CFA s'est révélé particulièrement adapté. Il assure aux bénéficiaires une stabilité appréciable. Une monnaie forte au taux de change garanti maintient le pouvoir d'achat en produits importés et un prix bas payé aux producteurs locaux. Elle décourage la valorisation sur place et l'investissement productif et donc l'émergence d'un entrepreneuriat qui réclamerait d'autres règles. Elle favorise le tête à tête avec les sociétés internationales, générateur de ressources rentières à l'import comme à l'export. Sa convertibilité permet la consommation et les placements à l'étranger au détriment du réinvestissement sur place (mais pour quelle entreprise, puisque leur développement est entravé?). On peut poursuivre. Mais en bref le CFA dans sa pratique permet (a permis?) un fonctionnement pépère du système rentier. C'est la Caisse d'épargne plutôt que la Bourse. Et une telle assurance a un coût, comme toute assurance. Une certaine dépendance à l'égard d'un tiers à qui on a confié la responsabilité de faire respecter les règles de base du système. On peut comprendre que des décideurs, voire des couches sociales, ne soient pas prêtes à renoncer à un dispositif qui, quoique s'érodant, leur a permis de tenir vaille que vaille tandis que bien des voisins passaient par des phases de chaos. Même si ces mêmes voisins aujourd'hui semblent mieux s'en sortir.
On peut penser que ce système est à bout de souffle. Qu'il étouffe la production, la transformation et les échanges locaux et tout développement endogène basé sur l'initiative entrepreneuriale qui aurait besoin d'autres règles. C'est à dire aussi d'une mutation du politique.
La question n'est donc bien que secondairement monétaire.