De mémoire, sous réserve.
Tout d’abord, le contexte.
C’était le tournant du siècle, autour de 2000, et j’étais attaché de
coopération culturelle à l’Ambassade à Bujumbura. Le pays était en guerre
civile, depuis plusieurs années, et si la guérilla hutu ne contrôlait pas
vraiment une partie du territoire, elle était largement disséminée et pouvait
intervenir un peu partout, si bien que tout mouvement, pour nous, était
interdit en dehors de la capitale et de ses abords, sauf précautions très spécifiques,
en cas d’obligation.
Pour situer, Bujumbura a été
établi au bord du lac Tanganyika, adossé aux contreforts des collines qui
constituent l’essentiel du pays. C’est périphérique, ce n’est pas le vrai Burundi,
le Royaume des collines justement, où justement le pouvoir avait réussi à
empêcher tout étranger de pénétrer, Bujumbura, en sa périphérie, étant le seul
lieu accessible aux caravanes de marchands venus de Zanzibar, et donc le seul
lieu d’échanges avec le monde extérieur – échanges qui étaient monople du seul
pouvoir royal. Un pays donc très fermé sur lui-même, qui s’est longtemps
protégé ainsi, a développé une culture de la clôture entre soi. Il faudra
attendre la toute fin du XIXème pour que les Allemands forcent la porte, et
encore…
Mais assez de digression.
BLH est dans la place
C’est donc en arrivant au
boulot un matin que j’apprends que Bernard-Henri Lévy était en visite au
Burundi. Je n’aurai pas vraiment l’occasion de le rencontrer, tout au plus
l’ai-je croisé dans les couloirs, l’Ambassadeur n’ayant pas organisé de dîner
pour lui, ou du moins n’y ayant pas invité les « cultureux » dont
j’étais.
Cependant, j’ai été un peu
étonné d’apprendre que BHL était logé (et nourri je pense) à la Résidence, et
qu’il se déplaçait en véhicules de l’Ambassade, avec chauffeur. Cela à quel
titre ? je ne sais. On a vu passer d’autres journalistes, de RFI
notamment, de distingués universitaires, d’autres personnes en mission, ils
allaient à l’hôtel, et se débrouillaient pour leurs déplacements.
Mais bon. C’était sous
Chirac. BHL avait-il statut particulier ? Allez savoir.
La descente des collines
Je tiens ce qui suit de ce
que m’en a dit Amimou, un des chauffeurs de l’Ambassade, celui qui le plus
souvent me véhiculait, et avec qui j’avais des rapports cordiaux.
C’est donc Amimou qui avait
été mis à la disposition de BHL pour l’emmener en visite (devrait-on dire en
éclairage ?) dans l’intérieur du pays, dans les collines, vers Gatumba si
je ne m’abuse. Et ce dans le véhicule blindé de l’Ambassade, précautions de
sécurité obligent.
Une horreur, ce blindé.
Grisaille, lourd, peu maniable, carrossé comme un bunker, ça tenait la route
comme une savonnette. J’ai eu, contraint, à l’utiliser trois ou quatre fois
pour me rendre à Gitega, justement, à l’Alliance Française que je supervisais.
Chaque fois, j’étais tout sauf rassuré. Peur de m’envoyer en l’air avec un
engin si peu maniable. Peur aussi d’une éventuelle attaque : on y était
protégé, faut espérer, de quelques balles, mais si la route était bloquée, le
véhicule immobilisé, pas moyen de rien faire, ni demi-tour rapide, ni échappée
belle dans les fourrés tant il était difficile de s’en extraire. Je me serais
senti bien mieux dans ma bagnole habituelle, et je me suis plusieurs fois
fantasmé pris au piège grillant dans cette boîte à sardines. Mais assez de
digression encore.
Sur le chemin du retour, sur
cette route qui descend vertigineusement le long de la faille pour regagner
Bujumbura, en bas, le blindé BHL aperçoit un véhicule militaire, de l’armée
burundaise, arrêté sur le bas côté. Les occupants, descendus, font des signes.
Pas pour contrôler, ils ont besoin d’aide. Amimou ralentit. « Continuez,
continuez ! » crie la voix, à l’arrière. Amimou s’arrête pourtant.
C’est ce qui se fait, sur la route, on s’entraide. Et surtout, qu’un véhicule
officiel français dédaigne ainsi des officiels du pays, fussent-ils des
militaires, ça ne se fait pas … Amimou descend, voit ce qui se passe – son
passager étant resté blotti à l’intérieur – discute. C’est réglé, ça repart.
Heureusement, parfois, que le
personnel de service sait observer les bons usages, et sauve l’honneur.
Le long du Lac, vers le sud
C’était certainement le
lendemain – BHL n’a pas fait long feu dans le pays.
Cette fois, l’expédition
devait aller vers le sud, le long du Tanganyika, une route lieu de nombreuses
attaques, une route que je n’ai moi-même, en quatre ans dans le pays, jamais
été autorisé à emprunter. N’ayant rien à y faire d’ailleurs que découvrir les
magnifiques sites et plages qu’on me disait orner la côte.
On en parle le lendemain. Ils
y étaient bien allés, quelque chose comme 20km vers le sud. Et retour.
Tranquille. Rien à signaler. A la bonne heure.
Mais quelle ne fut pas ma
surprise, plusieurs semaines après, de découvrir, dans Paris-Match je crois, une
photo. On y voyait BHL, tapi contre une rangée de blocs en béton, de ceux qu’on
met le long d’une route pour séparer une voie. Au-delà, une rangée de
maisons-boutiques, habituelles. Sur les maisons, comme sur les blocs, les
traces visibles d’impacts . Belle photo, BHL recroquevillé, on entendrait le
sifflement de balles, dont parle la légende.
Parlerai-je, en littéraire,
du « mentir vrai », de la fiction plus vraie que le réel ? Même
à seule fin de s’autoglorifier ?
Je n’ai pas retrouvé la photo en question. Mais celle que je reprends ici, prise à Sarajevo en 1992 (@Libération) est dans le ton, le soleil et les couleurs chatoyantes en moins. Récidiviste. De plus, nota bene, je ne me souviens pas s’il était accompagné d’un photographe, mais certainement, à moins qu’il ne se soit attaché les services d’un professionnel sur place.