samedi 29 septembre 2012

Les Shebab dans l’est africain : tumeur et métastases (1) la tumeur


Un an après l’enlèvement d’une Française, les Shebab sont chassés de Kismaayo.


Triste anniversaire
Voilà un an demain qu’un groupe armé venu de Somalie enlevait la française Marie Dedieu, dans l’archipel de Lamu. Elle devait mourir moins d’un mois après, faute des soins que son cancer à un stade avancé exigeait. Une semaine auparavant, c’était une anglaise qui avait été enlevée, selon un scénario identique, après que son mari qui avait tenté de résister eut été abattu. Judith Tebutt a été libérée en mars 2012, contre versement d’une forte rançon.
Le procès d’un membre du personnel de l’hôtel de Kiwayu où avait eu lieu le kidnapping, accusé de complicité, a fait ressortir le rôle de riches Somalis du coin, pour fournir la logistique des raids effectués par des équipages locaux. Une telle opération pouvait se révéler lucrative en rétrocédant les otages pour une poignée de milliers de dollars aux Shebab qui contrôlaient la partie sud du pays. Eux pouvaient s’en servir dans leur visée terroriste, et les négocier à fort prix.
Ces deux attaques à partir de la Somalie contre des touristes étrangers ont provoqué, au mois d’octobre suivant, l’invasion par le Kenya de la bande frontalière pour nettoyer la zone et faire cesser ces attaques désastreuses pour l’économie touristique, et la sécurité du pays.
Où en est-on de cette branche du conflit qui s’étend du Sahel à l’Afrique de l’Est ?
Elle ne manque pas d’actualité : les forces kényanes, avec celles de l’Union Africaine (AMISOM) ont pris ce vendredi 28 septembre la ville de Kismaayo, la dernière place tenue par les Shebab.

La prise de Kismaayo
Cette victoire met fin au contrôle du sud de la Somalie par cette mouvance fondamentaliste et terroriste liée à Al-Qaida,.
Les Shebab en avaient pris le contrôle en 2007 lors qu’ils avaient débandé les Tribunaux Islamiques  – une organisation fondamentaliste du même tonneau - qui y exerçaient leur pouvoir.
Elle est l’aboutissement d’un processus de reconquête qui aura duré un an.
Les forces de l’AMISOM (African union Mission in SOMalia), avaient été dépêchées sur place en 2007 par l’Union Africaine pour soutenir le gouvernement de transition somalien (TFG) qui ne contrôlait quasi rien d’un pays en situation d'anarchie, éclaté entre divers pouvoirs et mouvances, dont la plus virulente était les Shebab. Ceux-ci avaient pour objectif l’établissement d’un Etat islamique, et une stratégie de terrorisme régional. L’AMISOM a reçu mandat des Nations Unies l’année suivante. Composées essentiellement de soldats ougandais et burundais, soutenues par Djibouti et la Sierra Leone, ses forces étaient confinées dans certains secteurs de la capitale, Mogadiscio. Elles tentaient d’œuvrer de concert avec les faibles troupes du gouvernement du TFG.
Ce n’est qu’en août 2011 que la situation a commencé à évoluer, quand les Shebab ont abandonné la plupart de leurs positions dans Mogadiscio. Tout en y conservant de fait des bastions, qui ont encore un moment gelé la situation.
Cependant, l’intervention kényane dans le sud où les Shebab avaient établi l'essentiel de leur pouvoir, avec Kismaayo comme centre stratégique, a provoqué un affaiblissement de leurs positions.
L’AMISOM s’est trouvée renforcée, puisque les forces terrestres kényanes sont venues rejoindre les soldats ougandais et burundais sous un même commandement opérationnel – tandis que le Kenya conservait autonomes ses moyens aériens et navals engagés dans l’opération. De nombreuses réunions de concertation ont eu lieu à Nairobi et Addis-Abeba pour coordonner les activités.
A partir de janvier 2012, l’AMISOM à partir de Mogadiscio a pu progressivement desserrer l’étau et reprendre, avec la Somali National Army, bras armé duTFG, le contrôle de zones de plus en plus grandes du pays, vers le sud, tandis que les Kenyans progressaient en sens inverse.
Un pas décisif a été effectué en juin dernier avec la prise d’Afhadow, dont les Shebab avaient fait un de leurs grands centres militaires. La route de Kismaayo, le port capitale du sud de la Somalie, était désormais ouverte, d’autant que des bâtiments de la marine kényane avaient pris position en face de la ville et commencé le 23 août à bombarder les défenses militaires et les zones où les dirigeants shebab étaient supposés résider.
La progression s’est faite lentement, avec la prise de bourgs en chemin, Miido le 31 août, Biibi et Harbole le 5 septembre.
La prise de Kismaayo semble avoir été le résultat d’une ruse. Alors que tout laissait croire à une offensive imminente, appuyée par l’aviation, des troupes terrestres de l’AMISOM massées autour de la ville, ce sont des troupes kényanes, acheminées par un navire de guerre récemment acquis, qui ont débarqué nuitamment dans le port et facilité la prise de contrôle de la ville, apparemment sans se voir opposer de grande résistance.
Sans Kismaayo, les Shebab ne disposent plus d’aucune localité d’importance, d’accès à la mer, de voies d’approvisionnement ni de positions fortes. Le Sud Somalien n’est plus sous leur contrôle.

Une victoire africaine
Il est intéressant de noter ce développement, qui marque la défaite d’une branche importante, et certainement la plus anciennement implantée, de la nébuleuse fondamentaliste et terroriste, liée à Al-Qaida, qui se déploie en Afrique d’est en ouest et dont les autres relais d’importance sont Boko Haram au nord Nigeria, Aqmi et des filiales au Sahel. Une bonne nouvelle là où il y en a peu.
Intéressant aussi que ceci ait été le résultat d’une intervention concertée des Africains eux-mêmes, fort peu appuyés par la communauté internationale. Que l’AMISOM soit financée, même largement, par l’ONU ne change rien à l’affaire. Il est en général de bon ton de considérer avec condescendance l’inefficacité de l’Union Africaine, et des pays du continent. De se désoler de leur incapacité à gérer leurs conflits. De tenir pour évidence leur absence de moyens, et leur inaptitude à les utiliser. Quand les Kenyans sont intervenus en Somalie, nombre d’observateurs ont souri, et prédit que les farouches guerriers somaliens n’en feraient qu’une bouchée. Et l’AMISOM a fait longtemps ricaner. Il y a certainement une leçon à tirer, et il conviendrait de rendre justice.
Intéressant enfin que, ceci qui précède expliquant peut-être cela, on n’en entende si peu parler dans nos médias, tout au plus des articles relégués dans la rubrique Monde. Pour spécialistes avertis. DESOLANT
Cependant, si les Shabab ont perdu le sud de la Somalie, le problème reste grave : leur influence dans la région, et la capacité de nuisance de leurs réseaux sont toujours là.