Avec sa façon d’enflammer une salle, de faire onduler les
ankylosés, de sauter de la scène pour se joindre aux danseurs, malgré sa barbe
ou sa moustache blanche, derrière ses lunettes de soleil, on le prenait pour un
éternel jeune homme, en dépit de ses 85 ans.
C’est qu’il avait, il y a finalement assez peu, commencé une
nouvelle vie, un revival au sens propre, avec ses deux nouveaux albums qui l’avaient
remis sur scène, lui avaient rendu un public dont on se demande pourquoi il l’avait
oublié – et lui du coup d’avoir pris une jeune épouse, sa choriste, toute
verdeur retrouvée. C’est qu’il célébrait la vie, Fatai, par toutes les notes qu’il
tirait de sa guitare, par toutes les inflexions de sa voix chaleureuse qui s’éraillait
dans les aigus. Une voix aussi qu’il pouvait parfois approfondir dans les
basses, pour retrouver les accents des plus deep deep blues men.
One two three four ! et l’orchestre démarrait, comme il
pouvait aussi s’arrêter pile au geste, car il ne rigolait pas, le Vieux, quand
il s’agissait de diriger.
Fatai avait démarré dans les années 50 et s’était imposé
comme un des maîtres de l’Agidigbo, puis
de la juju music, avant de tenir
encore le devant de la scène high life
dans les années 60. Mais le succès s’était progressivement éloigné, Fela et son
Afro beat avait largement ringardisé
tout le reste de la scène musicale de Lagos à partir des 70s, et Fatai était
sorti de la lumière. Oublié.
C’est autour de 2000 que Steve Rhodes, la grande conscience de
la musique nigériane, à l’occasion de la Fête de la Musique – c’est en tout cas
ce qu’on m’a raconté – était allé le chercher dans la misère, sur son galetas
de gardien de nuit où il croupissait, vieux, usé, à plus de 70 ans, comme on
peut l’être après des années de survie au jour le jour. Comment Steve Rhodes l’a
convaincu de reprendre sa guitare, de remonter sur scène interpréter ses
morceaux d’antan, dont les moins de 20 ans ignoraient tout ? Lui non plus
n’est plus là pour le raconter. Toujours est-il que grâce à lui Fatai est revenu
chanter, au Centre Culturel Français, pour cette fête de toutes les musiques.
Comment ensuite a-t-on abouti au superbe
album Fatai returns, chez Jazz Hole ? je ne le sais pas mais Kunle Tejuoso pourrait nous le dire.
Il n’était pas sorti depuis longtemps, l’album, quand je
suis arrivé en 2002 à Lagos pour prendre la direction du CCF. On m’a vite
signalé ce vieux monsieur, que la maison contribuait à remettre en selle, et la
magie – le juju - de cette musique a sitôt
opéré. Fatai a vite été l’hôte de nos Happy Hours, cette belle formule où un
artiste se produisait tous les samedis d’un mois, et il a chaque fois
rempli - et je n’ose pas dire mis le feu à - La Paillotte.
Tout naturellement, c’est Fatai et son groupe que j’ai
conseillé quand il s’est agi de faire venir des musiciens à Abuja, pour l’inauguration
de l’antenne du Centre Culturel dans la nouvelle capitale. Il avait voyagé avec
son orchestre dans le bus du CCF, et le Vieux, très alerte malgré les
kilomètres, avait ravi notre ambassadeur et ses beaux invités. Ce qu’il avait
perçu comme un honneur et une reconnaissance nous avait rapprochés.
Dès lors, tout en étant de tous les événements du CCF, il
avait aussi gagné sa place entière dans cette merveilleuse soirée mensuelle à O’Jezz,
à Yaba, dite « Elders’ Forum » qui tous les premiers dimanches
réunissait tout ce que Lagos comptait de vieux musiciens de high life, juju, et autres styles. Avec Geneviève, on essayait de n’en rater
aucun.
C’est tout naturellement aussi que, lorsqu’en 2003 le
Festival de Rabat m’a sollicité pour leur envoyer un groupe nigérian de qualité,
c’est à Fatai que j’ai fait appel. Ce jour-là, son visage a rayonné. Même s’il
avait retrouvé succès et notoriété, il n’était jamais – y compris dans les
belles jeunes années – sorti du pays. C’était sa première tournée internationale,
le premier voyage en avion. Il m’en a toujours voué une immense gratitude, presque
gênante, tant elle se manifestait sous forme d’un grand respect alors qu’à mes
yeux c’était lui le Vieux, l’artiste, l’Oga. Mais après tout, j’ai profité des
grandes accolades et des exclamations, si chaleureuses.
Quoi encore ? Il a sorti son second album, tout aussi
excellent « Won kere si number one », pour lequel Jazz Hole a fait
grande fête, comme on sait le faire là-bas pour un launching. Il a sorti aussi un VCD d’un concert live à O’Jezz,
filmé un jour où nous nous y trouvions par le plus grand des hasards, avec une
de mes filles en visite au Nigeria. Ce fut une surprise de se voir danser quand
l’enregistrement est sorti. Ce VCD m’est très précieux, cher.
Enfin, Fatai était venu à notre soirée de départ en 2006,
quand nous avons quitté Lagos. Il était là, il a chanté pour nous. Quel plus
beau cadeau pouvait-il nous faire ?
Un seul regret : j’aurais voulu le faire venir en France,
le faire connaître au public français, ce personnage, ce destin hors du commun,
et surtout cette bonne musique qui entraîne et fait bouger en réjouissant le cœur.
Ca n’a pas marché, dommage.
Fatai est parti, à un bel âge somme toute, après pas mal d’années
d’une nouvelle jeunesse dont on pensait finalement qu’elle durerait encore
longtemps, pour notre plus grand bonheur. A l’homme, au musicien, ma pensée
émue. Sa musique est belle, elle retentira encore longtemps.
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