mercredi 12 octobre 2016

Ah ! On les a aimées, nos 70s !

Ah ! on les a aimées, nos 70s ! Pas seulement parce qu’il y avait les Stones, les Beatles, le Rythm’and Blues (un Otis Redding disparu trop tôt, mais aussi Aretha Franklin, James Brown). Bien sûr un peu endeuillés aussi, Jimmy Hendrix, Janis Joplin, mais quelle musique, que les jeunes aujourd’hui écoutent encore ! Ca bouillonnait de tous les côtés, au cinéma, en littérature, pas toujours du meilleur, mais beaucoup de provoc. Tout changer, tout bousculer, puisque l’avenir était assuré, radieux, forcément radieux.

Le corps

On se libérait d’un étouffoir bienséant et convenu, en faisant craquer les contraintes, obstructrices de bonne jouissance. Sous De Gaulle et même avant, sous le couvercle de bonnes mœurs et de contrôle social, le travail de sape avait bien commencé, creusant ses galeries. Il a suffi de quelques bons assauts pour que ça s’écroule par pans entiers. Tout ce qui corsetait, aux orties ! A commencer par les vêtements eux-mêmes, symboles de la contrainte et des entraves. Se dénuder était se libérer. Nager, dormir à poil. Pas de slip sous le jeans. Sentir le contact des tissus soyeux avec l’épiderme. Jamais plus de « tricot de peau », alias marcel ; la chemise, ou le pull, à cru. On en est (j’en suis, en tout cas) encore imprégnés.
C’était, par chez nous, l’aboutissement d’un long processus où la « libération » du corps allait avec, et symbolisait – surtout avec l’habillement féminin -, la libération tout court. La fin du corset, les parties du corps qui apparaissent, on sort tête nue, le maillot de bain puis le bikini, les jupes qui raccourcissent, raccourcissent …
C’était – c’est – notre histoire, et on s’en trouve bien. Qu’on en soit fiers, pour nous-mêmes, est légitime et ne fait de mal à personne. A condition de ne pas croire que ces représentations sont partagées, de prétendre à leur universalité, et de juger le monde entier à leur aune, voire à les imposer.
Il m’a fallu aller ailleurs pour m’apercevoir que ces schémas n’étaient pas partagés. Pour les étudiants de Makerere, se baigner nu, c’était bon pour les paysans au village. Eduqué, on avait un maillot, même pour passer sous la douche. Pour autant qu’on puisse voir, la plupart des Africains, à Bamako, Abidjan, Nairobi, etc. portent des marcels. Pour la sueur, m’a-t-on répondu. Comment partager ce sentiment ancré en moi qu’un marcel m’entraverait, et que je ne consens au Tshirt sous la chemise qu’en cas de froid ? Mais pas la peine d’aller si loin : enfants   et petits enfants achètent des pyjamas !
Dire que le rapport au corps, et donc au vêtement, est culturel est une banalité. Mais il faut en tirer les conséquences. Par exemple, toute la question de la présence de l’Islam dans notre société, en France, se cristallise et s’enkyste autour de la question du voile et autre burkini. Nous sommes français : l’importance accordée au vêtement et à la bouffe nous structure. Mais la conséquence en est que certaines prises de position, parmi les mieux intentionnées, qui voient là un recul, un retour en arrière – je pense à Mme Badinter – s’articulent autour d’une bonne dose d’ethnocentrisme qui les rend inopérantes.
Sortir de soi, des catégories qui nous ont faites – et dont on peut se trouver fort satisfait pour soi-même, voire en éprouver un certain orgueil – demeure un impératif pour agir en personne de progrès dans un monde qui s’est élargi, qui a muté. Sauf à penser, sous couvert d’un discours rouge vif, satisfait de soi et beau comme l’Antique, qu’après nous le déluge.

Le travail

Passons donc aux choses plus sérieuses.
Le monde était quand même plus simple.
D’abord, on s’était bien installés dans la croissance, et l’amélioration des conditions de vie. La salle de bains et la voiture c’était déjà y avait 10 ans. L’électronique démarrait. Le développement industriel et agricole rendaient plus de produits plus accessibles. La télé prenait des chaînes. Et on ne se souciait pas trop que cette prospérité reposait pas mal sur un accès à des matières premières bon marché, obtenues en grande partie dans ce qui n’étaient plus des colonies. C’est plus tard que ça va se rebiffer, du côté des pétroliers. Mais c’est le début de la bascule.
Grosso modo, chacun trouvait sa place, et son rôle. Quand on était embauché par une boîte – et assez peu ne l’étaient pas, une fois passé le stade de l’exode rural – il n’y avait plus grand souci à se faire. Bien souvent, c’était pour la vie, au moins le pensait-on. Même qu’on faisait venir en masse des immigrés pour faire tourner les machines à plein. Au Maroc, lors de la sélection, on gardait les meilleurs pour le développement du Royaume, et on laisssait partir le reste. C’était tellement stable que pour fidéliser cette main d’œuvre, on a permis de faire venir les familles – c’est Giscard qui a introduit le rapprochement familial. Elle ne posait pas vraiment de problème, on ne la voyait pas. Eboueurs la nuit, sur les chaînes, les chantiers, … résidant en foyers ou bidonvilles, à l’écart. C’est quand les enfants ont grandi, qu’ils ont pris des boulots à l’air libre que d’aucuns se sont dit « Tiens … »
Tout n’était pas rose, loin de là. Les conflits sociaux étaient nombreux. Mais dans un entre-soi patronat-salariés. Les choses étaient claires. Chacun savait à qui il avait affaire.
Les patrons, c’était encore bien souvent familial. Des restes des 100 familles d’antan, mais plus encore des plus petits. Attachés par les viscères à leur entreprise, hormis quelques héritiers flambeurs ou bons à rien, mais ils étaient là, avec qui se colleter. Et ils y resteraient. Sinon c’était des nationalisées, et le jeu était clair. Un gouvernement de droite actionnaire, on pouvait s’y opposer d’une pierre deux coups, les conflits étaient réglés comme papier à musique. Pas de crainte de faillite ou autre, c’était pour la vie. Des acquis sociaux quasi privilèges, EDF, SNCF, et ça tirait aussi le reste vers le haut. Et puis il y avait le « grand capital » (la fin prononcée « tÂl » comme Georges Marchais), le phénomène qui de développait, le « Capitalisme Monopoliste d’Etat », l’entrée de la finance au capital des entreprises, les concentrations et restructurations, quelques banques d’affaires qui jouaient le rôle des méchants du moment. Paribas, Rotschild, Worms, pour l’essentiel. Mais ça restait de chez nous, national.
Donc des conflits, des grèves, des manifs. Des victoires tangibles, qui renforcaient l’ardeur à lutter. Sur le temps de loisirs, sur les augmentations de salaire. Tout ça vite grignoté par l’accroissement de la productivité et l’inflation à deux chiffres, qui rabotait et au-delà le gain sur la feuille de paie. Mais l’impression demeurait que le niveau de vie allait s’améliorant, même s’il était certainement dû davantage à une baisse de la valeur des produits en francs constants qu’à une meilleure rémunération du travail. Et régulièrement une bonne dévaluation remettait les pendules à l’heure. Disons même, on bénéficiait de la redistribution d’une partie au moins des fruits de la croissance continue des 30 glorieuses. Donc, l’espoir était là, on pouvait changer ce monde qu’on aimait bien au fond, l’améliorer.

C’est plus la même. Les Japonais, les Chinois, d’autres ensuite se sont mis à fabriquer moins cher ce qu’on faisait si tranquillement nous-mêmes. On a rigolé au début, tellement c’était merdique, puis on a ri jaune. Faillite des usines, délocalisations, entrée des fonds de pension et autres grands investisseurs au capital de nos belles entreprises dès qu’une faille se présente. Même les mastodontes, tous ou presque privatisés, comme les civilisations, sont désormais mortels. Ca peut se crasher comme rien (compagnies aériennes, …), se faire bouffer et disparaître en petits morceaux. Pas seulement quand elles sont en difficulté – là c’est déjà trop tard -, mais si elles n’ont pas anticipé les évolutions, les tendances, prévu les trous d’air. Elles, ce sont les entreprises, les usines, les banques, les services, etc.
Première conséquence, on ne peut plus jouer au rentre dedans pour conquérir des avancées. Des revendications qui fragiliseraient l’entreprise et mettraient en péril sa survie ou son équilibre deviennent contre-productives, la balle dans le pied. On n’en voit d’ailleurs presque plus. Ce qui fleurit, en revanche, ce sont les conflits défensifs, contre les restructurations, les plans de licenciement, les rachats par des géants hostiles ou des ogres douteux. Certes. Mais ces batailles en défense, pour conserver en l’état, si légitimes soient-elles, sont rarement positives. Soit elles échouent, après de longs efforts, soit des compromis bancals sont trouvés, qui de fait retardent plus qu’ils n’empèchent (les engagements pris sont rarement tenus, ou pas longtemps), soit les victoires sont de faux-semblants. Ainsi de la glorieuse lutte des Fralib à Marseille. Il s’agissait au final de conserver l’usine et l’emploi de 182 salariés. Après des mois de grève, une solution de reprise par les employés a été trouvée, avec 57 des anciens conservés, seulement. Une formule innovante, tant pour la production que pour la gestion, mais est-ce si éloigné du plan de licenciement proposé par la direction au début du conflit ? Au-delà de l’aventure humaine et collective, quel est le gain réel ?
En tout état de cause, le syndicalisme de conservation de l’état existant, où protection signifie conserver à l’identique, figer un état par ailleurs dénoncé, mais par précaution ou peur de solutions nouvelles, est à côté de la plaque. Quand Mélanchon dit qu’il ne faut plus de licenciements, il crée des illusions néfastes, il mène à des impasses, il bloque la nécessaire évolution des luttes. C’est de la réaction.
Cela veut-il dire que toute lutte est vaine ou inutile ? Loin de là. Mais mieux vaut qu’elle soit autre. Qu’elle se mène en amont des difficultés, en associant au plus près les salariés à la gestion et à la stratégie de l’entreprise. Donc une lutte pour la représentation des salariés aux conseils d’administration et à la concertation avant les prises de décision. Ce qui signifie un syndicalisme de responsabilité et non d’opposition. Il faut aussi que tous les acteurs discutent les évolutions par définition nécessaires – y compris en termes de fermetures ou modification de postes, de compression de personnel, de mobilité, etc. Cela ne nie pas les contradictions, les intérêts divergents entre capital et travail, la lutte des classes, et les conflits inhérents. Cela les déplace dans le temps et dans les méthodes. Par ailleurs, la gestion du changement et la mobilité exige des dispositifs collectifs hors de l’entreprise, lorsque les solutions ne peuvent être internes (indemnisation des pertes d’emploi, formations de reconversion, aide à la mobilité, etc.). D’où aussi des luttes à mener pour l’amélioration des dispositifs, leur adaptation, et une nouvelle réflexion à mener sur la participation des entreprises à leur financement, puisque cela devient aussi pour elles un service externalisé.

Je n’ai pas parlé de la technologie qui change tout à toute allure. De notre bon temps, quand on sortait de l’école avec un bagage, ça servait longtemps, peut-être toujours pensait-on, à voir les anciens. Classement selon le diplôme de sortie, carrières à l’ancienneté, catégories ou corps bien étanches, on grimpe patiemment les échelons dans son métier ou son activité, ça faisait sens. Quid aujourd’hui quand tous les postes de travail évoluent, TOUS, sauf peut-être le restaurateur de vitraux, ou autres métiers d’art, et encore. Banalité : il ne faut plus espérer une carrière linéaire, mais plutôt savoir qu’on va changer d’activité, de métier, de secteur, de type de statut en tant que travailleur. Ne plus penser en termes de carrière mais de parcours, de trajet ou de trajectoire. Avec au cœur le changement.
Là encore, au risque de se répéter, cela n’exclut pas, bien au contraire, les luttes, les combats sont nécessaires, indispensables, pour organiser un cadre juste, accompagner cette mobilité et ces adaptations. Formation pour se perfectionner ou se reconvertir (et non seulement pour améliorer ses performances dans la boîte), dispositifs pour pouvoir emprunter, accéder à la propriété quand on est mobile et … dirai-je précaire ?  en tout cas pas inscrit dans une stabilité sur 20 ans.
Il faut donc repenser les combats à mener. On retrouve le clivage gauche/droite. La gauche se doit d’inventer – et de mettre en place – ces nouveaux dispositifs qui permettront à chacun de vivre positivement les nouveaux parcours d’existence, et non de les subir sans protection, dans l’absence de règles et de solidarité. Mais il est des mots qu’il faut décaper d’urgence, tant ils piègent dans le discours ancien. J’en vois deux, qui bloquent la réflexion et crispent sur des peurs. D’abord précarité. Péjoratif, négatif en lui-même, il en est venu à être synonyme de changement. Il y aurait précarité dès lors qu’il n’y aurait plus d’emploi à vie, de CDI en béton, de statut coulé dans le bronze. Le changement n’est pas négatif en lui-même – au-delà du sentiment, de l’affectif peut-être, mais il faut évoluer là-dessus. Etre sujet au changement, à la mobilité devient précarité quand sa possibilité (sa menace dès lors) se réaliserait sans aucun accompagnement, sans aucune prise en charge, sans perspective de rebondir, en mieux. Construire une société de la mobilité, promouvoir la culture du changement, c’est lutter contre la précarité si les dispositifs adéquats et protecteurs sont mis en place – et seule la gauche le fera, ou peut-être de longues luttes contre une droite du chacun pour soi. Le deuxième mot, il est là, est protection. Celui-là piège aussi, car il est presque toujours entendu comme : garder en l’état, statu quo, maintenir l’existant. C’est illusoire et néfaste. C’est du Mélanchon qui conserve. Une telle protection statique ne protège d’ailleurs plus rien. Le parapluie sert pour une pluie fine ou une légère averse, il ne sert à rien par gros orage ou pluie tropicale. Une politique de gauche ne « protège » plus, dans ce sens là, mais « trampoline », c’est-à-dire amortit la chute, en évite les souffrances, et donne les moyens de rebondir. C’est le nouveau sens à donner à la protection, les dispositifs à inventer ou perfectionner pour l’assurer.
On voit ici que le travail excède l’entreprise. Une bonne partie de ses enjeux la dépassent, et concernent la société : cessation d’activité, mobilité, formation, reconversion, etc. Les acteurs économiques – qui gèrent paritairement les grands organismes - ne sont plus les seuls concernés par l’assurance chômage, la gestion des retraites, la formation, … La société tout entière l’est. Dès lors il faut repenser aussi les frontières du syndical et du politique tant l’interférence est grande, et la confusion des rôles aussi.


La politique



L’international




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