Au départ de Nairobi, je me retrouvais esquiché, sur la place centrale de la banquette, entre une dame d'un côté, qui avait esquissé un sourire en réponse à mon salut, et de l'autre une grande barbe longue, avec toque brodée et long caftan brun. Ça n'allait pas être la joie, me suis-je dit, heureusement que j'ai un bon bouquin. Et puis la conversation s'est nouée avec mon voisin.
Ce n'était pas un Swahili pieux ou extrémiste de la Côte, comme je l'avais supposé d'abord. Il était originaire du Nord du Kenya, de ces régions continentales proches de la frontière somalienne. Mais en fait Hollandais, en visite ou Kenya pour retourner au village, régler quelques problèmes de famille. Européen donc, comme vous et moi, ou en tout cas comme beaucoup de ceux qui me liront.
La conversation était bien partie.
En fait, il était arrivé en Hollande avec ses parents quand il avait 7 ou 8 ans, avait grandi, étudié s'était marié et travaillait là-bas, avait acquis la nationalité. Ça marchait bien pour lui, il se sentait très bien.
Il m'a raconté qu'à leur arrivée, quand il était bien petit donc, on les avait installés dans un village de la campagne hollandaise. C'est là qu'il avait grandi, et il y avait été heureux. En fait, m'a-t-il dit, c'est une politique délibérée du gouvernement que d'établir les immigrants dans de petites agglomérations, de les disperser, d'éviter qu'ils ne se retrouvent en groupes de même origine. On organise pour eux des formations, linguistiques d'abord (personne n'arrive en parlant le flamand, il n'y a pas cette façon de se débarrasser en se disant de toute façon ils parlent déjà français), mais aussi sur le pays et sur la vie quotidienne, pour faciliter leur adaptation. De la formation professionnelle aussi. De fait, les nouveaux arrivants sont forcés de se mêler à la population, de partager les façons de faire, de se fondre dans le nouvel environnement. Il en avait gardé globalement un fort bon souvenir, et, en tant qu'ancien, en tant que citoyen de son nouveau pays, recommandait fortement cette approche qui ne l'avait pas déculturé, mais qui lui avait permis, à lui et sa famille, de s'établir et de s'insérer pleinement, l'espace d'une génération et demie. Je ne me souviens plus exactement de sa profession, mais c'était quelque chose comme cadre dans le privé.
Sans chercher à imiter les autres (nous sommes bien entendu meilleurs que les Bataves, et on va pas les copier quand même !), cette conversation m'a fait réfléchir. Une grosse partie des problèmes dits de banlieues que nous rencontrons en France ne vient-il pas du fait qu'on a fait justement le contraire, en dépit du bon sens ?
Faute de contrôler les flux, les arrivées, faute surtout d'une réelle politique migratoire digne de ce nom, et des moyens nécessaires à sa mise en oeuvre, on a des années durant laissé faire, se contenant du spontané. Et spontanément, les arrivants cherchent à se rapprocher de leurs congénères, membres de leur famille qui souvent les hébergent à l'arrivée, ou du village, amis, connaissances. C'est à eux qu'est laissé le soin de leur expliquer le B.A.BA de la vie ici, qu'ils ont maîtrisé à leur façon. Eux qui vont les aider à trouver du boulot, eux à proximité desquels ils vont s'établir. Le ghetto se crée, se renforce, s'enkyste en se développant. Et développe ses effets dans les générations.
L'action d'appui des associations - très méritantes - n'est pas systématisé, structuré, mais se fait au hasard des démarches volontaires des uns ou des autres. En fait, l'accompagnement de l'installation en France ne se fait pas, ou très imparfaitement - malgré le pognon de dingue qui est dépensé, argent public, dons aux associations, énergie des volontaires. Pour parler de ce que je connais, combien de jeunes venus d'Afrique sub-saharienne, notamment de la région de Kayes mais pas seulement, arrivent sans savoir lire ni écrire, et en sont au même point des années après, tout en ayant développé des stratégies intelligentes et rusées pour prendre le métro, se débrouiller dans la jungle de nos villes, trouver moyen de travailler et d'envoyer de l'argent au pays qui réclame. La situation est encore pire pour les femmes venues rejoindre les maris dans le cadre du regroupement familial. Quand ceux-ci les laissent sortir et avoir un peu d'autonomie, leur réseau relationnel se limite le plus souvent au cercle des compatriotes, qui les enferme dans la reproduction des façons de faire qui leur sont familières, avec peu d'ouverture sur les possibilités offertes par leur nouvel environnement. La mise des enfants à l'école élargit peut-être ce carcan, mais pas au point de les mettre à même de jouer tout le rôle qui pourrait être le leur, et dont elles seraient très capables, pour accompagner la scolarisation de leur progéniture. Certes, on va m'objecter le nombre des initiatives associatives qui existent. Elles sont réelles. Mais loin du compte, sans inscription dans des parcours structurés, aux objectifs établis.
Pendant ce temps, nombre de villages dépérissent, se vident d'habitants, les écoles ferment, avec les commerces et les services publics. Les églises aussi. Y installer, le temps au moins d'un accompagnement réfléchi et structuré, des familles ou individus dont la situation a été régularisée, et qui sont donc voués à s'installer parmi nous, avec l'encadrement correspondant, donnerait aussi de l'oxygène à ces bourgs où le malaise social se révèle au fil des élections.
Il faut penser et organiser, avec un grand volontarisme, l'accueil des migrants, se donner les moyens d'en faire ce qu'ils ont vocation à être, un atout pour notre pays. Ce qui suppose de rompre des dynamiques néfastes, qui tendent à ghettoïser, à communautariser, à freiner ou empêcher pour les arrivants leur intégration dans la vie sociale, leur appropriation des codes, usages et façons de faire, leur contribution originale à l'évolution de notre société. Ce qui suppose aussi le contrôle des flux migratoires, l'accueil généreux allant avec l'expulsion résolue quand on ne remplit pas les conditions requises au séjour, ou qu'on a enfreint les règles de l'entrée sur le territoire.
A ce titre, ma note "Accueillir largement, expulser résolument" me semble toujours pertinente, y compris avec la proposition de créer une grande administration chargée de mettre en oeuvre les dispositif d'accueil et d'insertion.