Encore une fois, Dany Laferrière est inspiré. Il est très certainement ma dernière grande découverte en date, arrivé dans mon paysage quand Haïti s’y profilait en termes d’amitié, heureuse coïncidence.
J’avais souri charmé au Je suis un écrivain japonais, j’avais du coup sauté sur Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, avec ravissement, avant de me plonger dans l’envoûtement de l’Enigme du retour. Et chaque fois que je l’avais entendu à la radio, un plaisir d’humour, d’humanité substantielle, de fulgurances.
Le séisme du 12 janvier est passé par là, il y a un an jour pour jour. Le Nouvel Obs publie une excellente interview, à lire dans son entier.
Mais je veux ici en retenir deux extraits, qui tournent autour d’une seule idée à mes yeux majeures.
"D’autre part, les pays de la Caraïbe ont besoin de tourisme pour vivre. Or s’il n’y a pas une culture forte, ça va être du tourisme sexuel… Il faut créer l’image que si l’on vient en Haïti, c’est pour autre chose: parce qu’il y a de la vie, que le pays est habité, qu’il y a des gens à rencontrer… Ça pourrait donner une autre proposition de voyage. Pas de tourisme: de voyage! Allez donc voir Haïti, plutôt que d’envoyer de l’argent aveuglément en vous demandant où il va. Allez voir, vous rencontrerez des gens, vous nouerez des partenariats, de quelque manière que ce soit. Vivez cette expérience avec des individus qui, tout de même, sont indomptables! Allez voir ces gens qui ont résisté aux séismes, aux inondations, aux élections, à tout! "
"D. Laferrière.- Oui, c’est pour ça que je ne cherche pas de légitimité territoriale. Même dans mes livres, je n’ai jamais caché mon passé… Au contraire. Je ne cherche pas une pureté nationale parce que je crois au mixage. Pas exactement au métissage, mais à une forme d’hybridité. Il y a beaucoup d’écrivains du sud qui viennent dans le nord et qui gomment leur expérience du nord quand ils retournent chez eux. Moi je souhaite que cette expérience soit connue. Je ne veux pas avoir pensé plus de trente ans à l’extérieur et que ça ne se sente pas! Ce serait une fausseté, il faut que ça se voie. Ça se vit. Il faut que les gens qui sont toujours restés à l’intérieur voient que quelqu’un est parti, puis revenu. Dans le temps, on peut acquérir de nouvelles expériences, il y a la possibilité de bouger dans sa structure humaine. Quand un jeune homme voit que c’est possible sans perdre de son essence, c’est énorme. Oui, on peut voyager très longtemps et parler de l’odeur du café. On peut faire ça. On peut cumuler, additionner les cultures, rester ouvert au reste du monde et sans risque de perdre son essence. On peut changer, et garder des rapports souterrains avec ce que l’on a été."
D’abord, quel encouragement à nous qui, avec Geneviève, prévoyons justement un voyage en Haïti, à la fin avril, au sens qu’il donne au voyage, d’aller à la rencontre, de « nouer des partenariats », de « vivre avec ». Ce que nous essayons de faire depuis toujours, je crois. Depuis l’Ouganda où on a vite vu que la faune des parcs, certes, les paysages somptueux, assurément, mais que l’intérêt véritable était les gens. Partager avec eux, mesurer ce qu’on a de commun, malgré parfois toutes apparences, se frotter à leur différence pour la découvrir mais aussi pour se connaître à cette épreuve. Car on s’y met en danger, il y a péril, mise à nu de soi, on se découvre. Passage obligé pour se retrouver, pour que l’échange se fasse.
D’où ce qu’il dit d’essentiel : oui, on peut partager avec d’autres cultures, changer à leurs contacts, profondément même (« bouger dans sa structure humaine »), j’ajouterais se bonifier à cet échange. Et tout cela « sans perdre son essence » s’il y a une culture forte.
C’est là le point central. Toutes les réactions de repli sur soi, individuelles ou collectives, les peurs au contact de l’autre, de son intrusion, sont symptômes de faiblesse, de vulnérabilité. On n’est perverti, déculturé, assimilé, ou quelque soit le terme, que si son essence ne résiste pas au frottement, cède au contact.
C’est la leçon de Lamu, qui absorbe la modernité tel qu’en lui-même, depuis trente ans qu’on le connaît. C’est aussi ma vie, en quelque sorte.
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