Je n’étais allé qu’une seule fois à Bamako, et encore pour
un séminaire qui nous avait laissé peu de temps. L’occasion d’un pèlerinage à
la recherche d’un auteur, les contacts sur place que cela m’avait permis
d’avoir offraient une belle occasion.
Sympa dès l’abord. La frontière, on avait déjà passé pas mal
de temps côté ivoirien – j’arrivais en bus d’Abidjan – et même topo : tout
le monde descend et donne sa pièce d’identité puis se dirige sous un arbre, à
proximité des bureaux, modeste construction
avec une natte qui fait paravent
sur le côté droit. Distinction est faite entre les titulaires de
passeports et les autres. Un groupe de gars grands et secs, en qamis, quelque peu barbus, allure de Maures,
sont appelés à l’écart. Un autre groupe de jeunes aussi, Ivoiriens à
l’évidence, très bruyants et brassant l’air depuis le départ. Ils arborent
RayBans et super smartphones. L’appel commence, à se rendre au guichet derrière
le paravent pour récupérer ses papiers. Un après l’autre. Confidentialité. Un des premiers servis revient avec l’info
pour les autres. Ils prennent 1000 (CFA, soit 1,5€) par personne. Raisonnable.
Je n’ai pas envie de donner, on va voir.
J’attends mon tour, comme précédemment de l’autre côté de la frontière. Les
Maures ont dû raquer davantage, ça a duré pour eux sur la gauche du bâtiment,
et ils font un peu la gueule. Les jeunes kakous aussi (version africaine du
marseillais cacou) . Je saurai plus tard que ce devaient être des spécialistes
de l’escroquerie en ligne, qui arrivent à ramasser de fortes sommes, mais qui –
pourchassés désormais en Côte d’Ivoire – se font envoyer les sommes à Sikasso,
juste de l’autre côté de la frontière. Ils viennent donc relever les compteurs,
et doivent arroser les uns et les autres. Ils s’arrêteront en effet à Sikasso. Presque
tout le monde est passé, j’attends. Pour la bonne bouche ? Mais un gars en uniforme s’avance et me dit
de venir. Il me conduit vers une table basse autour de laquelle des gradés sont
assis dans de bas fauteuils de jardin. Je m’approche. Le supérieur me tend mon
passeport avec un sourire. Nous sommes très reconnaissants de ce que vous
faites pour nous. Vraiment, la France nous a sauvés, on vous remercie. Je
bafouille quelques mots sur l’amitié franco-malienne, et m’en retourne vers le
groupe qui a commencé à remonter dans le bus. Bonne maison, 1000CFA
d’économisés.
A un arrêt du bus |
Le Mali est un pays en guerre. A Bamako, ou même jusqu’à Mopti, il n’y paraît
pas. En plus d’une semaine j’ai vu en tout et pour tout deux militaires
français. Ils prenaient leur bière et déjeunaient au restaurant de l’Institut
français. Rien de bien belliqueux. Des
soldats maliens, de ci de là, quelques véhicules, pas de lourde surveillance le
long des routes, ça doit se passer ailleurs. Assis au bord de la route du Nord,
à Sévaré, tout près de Mopti, on voit défiler un important convoi de semi-remorques chargés d’énormes citernes ou containers,
tout de blanc peints, marqués de grands UN. « Tiens, ils ont plutôt l’air
de s’installer, ceux-là ! » remarque-t-on à côté de moi.
Le site de Bamako a de la beauté. Le Niger, déjà très large,
très en eau à cette saison, a creusé de part et d’autre une vaste plaine que
borde une barre de collines, où la ville commence à grimper. La Présidence y
domine, sur une rive. En face, on pourrait parler d’une colline du savoir, où
j’ai trouvé à me loger, avec nombre de bâtiments universitaires. La ville
s’étend en contrebas, liée par ses deux ponts. Peu de grands immeubles, une
poignée, des banques bien entendu, la BCEAO et sa tour aux accents
d’architecture sahélienne. Le reste est bas, laissant apparaître le faîte de nombreux
arbres.
Une avenue de Bamako |
Pour qui est plus habitué à Lagos, à Nairobi, ou même à
Abidjan, à ces villes où l’activité trépide, où les opérateurs économiques
tiennent le haut du pavé, quel contraste ! Je me sens un peu trente années
en arrière, dans l’after des Indépendances, quand la bureaucratie coloniale
s’était renforcée d’une large étatisation. C’est l’administratif qui donne le
la, qui imprègne l’état d’esprit. Le seul
véritable entrepreneur que je rencontre me le confirme, et semble bien
isolé. Au demeurant l’administratif est débonnaire, sympathique, fait de son
mieux (j’en ai connu ailleurs des bien pourris qui ne s’occupaient que de tirer profit).
La Cité administrative, toute récente, rassemble tous les Ministères |
Une anecdote. Je voulais utiliser internet sur mon
smartphone. Pour cela, on me dit qu’il
faut configurer l’appareil tout spécialement. Bon. Mais pas chez un
concessionnaire Orange où je me rends, non, faut aller au siège même
d’Orange. Un seul lieu dans la ville.
Dans le pays ? Je vais donc dans ce lieu à la pointe de la modernité
technologique et du secteur concurrentiel. Grand hall, équipement moderne,
écrans plats, affichage en diodes des
numéros d’appel. Un guichet pour
l’accueil avec deux personnes. Je vais m’approcher mais on me donne un numéro. Faut aller faire la queue sur des bancs en
attendant d’être appelé pour expliquer son problème (et être dirigé alors,
selon, vers l’une des autres queues que
je découvre dans la grande salle). A vu de nez – ou du peu d’empressement des
agents de l’accueil à traiter une personne, s’activant à tout autre chose entre
deux – il y en a pour au moins une demi-heure pour la première étape. Je
pianote mon mobile, et m’aperçois qu’il y a une couverture wifi. Accueillant,
pour meubler l’attente. Et puis la moindre des choses, en ce lieu, promotion de
son produit, tout ça. Je me dirige vers un comptoir pour demander le code
d’accès. « Ah non, désolé Monsieur, la wifi est réservée aux
techniciens. » Désolation. On ne s’occupe pas des clients, on traite des
administrés. Comme au bon vieux temps.
Vue du marché |
L’impression, comparativement encore, d’un pays qui se
laisse vivre. Qui se satisfait de son état, vaille que vaille. Qui ne va pas
chercher plus loin. Sous perfusion des aides internationales et de l’argent de
l’émigration, exportant personnels de nettoyage, jeunes hommes sans
qualification, qui seront bientôt pressurés. Le quartier du marché est actif,
le commerce a envahi rues et immeubles. Un peu à la façon de Lomé. Mais c’est
une activité traditionnelle, import et export, gros et détail, qui rapporte à
ses acteurs mais n’a pas d’effet levier. L’accès à Internet est plutôt poussif,
les cybers assez désuets et très modérément fréquentés. S’ils le sont ailleurs
beaucoup par de jeunes aigrefins, cela crée néanmoins une culture informatique
que l’on ne sent pas ici. Le niveau général d’éducation semble assez bas. On a
du mal à se faire comprendre. Les chauffeurs de taxi connaissent mal la ville, les explications sont laborieuses,
ils s’adressent systématiquement à l’Africain qui m’accompagne, pour pouvoir
échanger en bambara, et même là, c’est pas gagné. Un ami Ivoirien s’étonnait de cette pauvreté,
par rapport à Abidjan.
Assis sous les neems de Sévaré, en train de prendre le thé, avec Abdoulaye et Boubacar |
Un autre point. A
discuter avec les uns et les autres, à regarder les infos, les publicités
aussi, on sent un réel attachement au pays, un vrai patriotisme – sans pour
autant d’esprit de clocher, ou cocardier. Il y a une vraie fierté d’être
Malien, de bon aloi. En tout cas dans les parties que j’ai visitées, je ne suis
pas allé dans le Nord des Touaregs. Cependant, là encore, avec le recul,
quelque chose qui chagrine. A aucun moment, de la part de quiconque, où que ce
soit, je n’ai vu mentionner la dimension régionale, une vision d’avenir dans un
espace plus grand que national. Or, quand on observe l’Afrique – et d’autres continents
de la même façon, le nôtre compris, il est évident que si développement, si émergence
il doit y avoir, elle ne peut se faire que dans le cadre d’intégrations
régionales. C’est l’affaire du siècle. L’Afrique de l’Est s’y emploie
résolument. L’Afrique du Sud polarise tout le cône austral et vise au-delà. Le
Nigéria cahin-caha assoit son hégémonie sur la partie ouest. On ne semble guère s’en
soucier au Mali, on ne sent pas cette conscience, Même si Ouaga est plus près
de Mopti que Bamako. Même s’il est plus facile d’aller de
Kayes à Dakar qu’à Bamako, on se satisfait des limites de son pays. L’expérience
montre que lorsqu’on ignore un grand bouleversement, il se fait quand même, et
on s’en retrouve victime faute s’y être inséré.
Voilà beaucoup de points plutôt négatifs. Je m’en voudrais beaucoup
de blesser mes amis Maliens, qui sont si merveilleux, qui m’ont si bien
accueillis, que j’ai tant envie de revoir, de retrouver, dans ce Bamako si
agréable, dans ce Sévaré si chaleureux où l’on partage au moins autant l’amitié
que le thé. Qu’ils ne voient dans ces lignes que l’expression de mon souci de
leur devenir, dans un monde en tourmente, dans une Afrique en grande mutation,
prometteuse, dynamique, mais où, comme
partout dans l’Histoire, les places aux premiers rangs iront à ceux qui auront su sentir
le vent.
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