dimanche 22 octobre 2017

Périple YAKRO/ BKO, by bus.


J’avais décidé qu’une fois terminée la conférence, j’irais à Bamako suivre les quelques petits projets que j’essaie d’y mener. Et ce serait en bus, vus les tarifs par avion, prohibitifs comme dans toute la région. 25 000 CFA contre plus de 250$ pour les « low cost » aériens, autour de 400 pour les compagnies établies, ya pas photo. Ca pose une vraie question d’ailleurs. Pourquoi si cher ? Sur des distances comparables (et la distance au final compte peu), on voyage pour moins de 100€ sur les lignes intérieures nigérianes, ou en Afrique de l’Est. Où est l’erreur ? Manque de compétitivité des compagnies, ou étranglement par les taxes et droits ? Et nul qui proteste et fait pression, tant parmi ceux qui prennent l’avion rares sont ceux qui payent de leurs deniers, et pour les autres, l’avion appartient à un autre monde. Fin de la digression.
Notre itinéraire, en violet.
Je m’étais donc renseigné. Le bus quitterait Yamoussoukro le matin à 5h, et on me promettait une arrivée possible à 22h. Le temps ne me manquait pas. Billet payé, place réservée, on m’avait bien sermonné d’être à l’heure, et – service personnalisé – on m’a même appelé à 4h15 pour me demander si j’étais en route, ou pour vérifier que je m’étais bien réveillé. La gare routière baignait encore dans la torpeur du halo de brume que peinaient à traverser les lampadaires. Mon arrivée a créé un début d’agitation, et soulagé de l’impatience. Apparemment on n’attendait que moi, seul passager à embarquer semblait-il. Sur les bancs devant le minuscule bureau de la compagnie les silhouettes s’ébrouent. On enregistre mon bagage et me voilà placé sur un des rares sièges qui restent mais bien devant, entre un gars peu loquace et un jeune qui part à Kankan, en Guinée, enterrer son père. Ce sera un bon compagnon.

Une idée de l'ambiance autour de l'arrêt du bus, vers 5h.
On démarre donc, et avant l’heure. J’apprendrai qu’en fait le bus a quitté Abidjan à 22h la veille, et a passé la nuit à Yamoussoukro. Seulement pour m’attendre ? Trop d’honneur, je ne pense pas. Et j’aurais pu tout aussi bien partir à 1 ou 2h du matin, si on m’avait dit. Plutôt je crois pour le timing des étapes suivantes. Mais on comprend que les passagers aient eu hâte. Ca ne faisait que commencer.

Première halte, tout juste à la sortie de Yakro, sitôt terminée la vaste avenue à deux fois trois voies, et que commence la longue petite route vers le nord. Barrage. Herses et barre à pointes sur roues. Quelques personnes autour, de vagues uniformes. Un homme en postures d’autorité s’affaire, fait fermer la voie. Le jeune contrôleur du bus (le « conductor » ou « spanner boy », en Afrique anglophone, le gars à tout faire, pour toute situation, une fois les billets vérifiés) descend et va de l’un à l’autre, revient, parle au chauffeur, repart. Le barrage se lève, accord a été trouvé, certainement élevé, on peut vraiment partir.
Plus loin, sur la route, il y aura une dizaine d’autres points de contrôle, qu’on passe parfois sans s’arrêter, ou à peine, le temps que le chauffeur tende la main à l’uniforme qui s’approche.

Il est à peine plus de 7h quand on arrive à Bouaké. Tout est humide d’un crachin maussade, dans le petit jour blême. Le bus se gare dans un méchant espace clos de parpaings. Tout le monde descend. Le sol est boueux, flaques, gravats piétinés. Ca grouille autour du bus, à grands cris, pour charger des tas de ballots et les esquicher dans les soutes, à grands coups de tatanes. Toute proche, une rangée de petites vendeuses – surtout des femmes – qui proposent sodas, sacs à dos, parfums, viande grillée, un brouet léger de céréales bien chaud, qui a grand succès, des sandwiches aussi, où dans une demi-baguette bien blanche on entasse force victuailles diverses. Je cherche mon bonheur, à cette heure de la journée. Mais d’abord les toilettes. On me les montre, au fond. Plus que rudimentaires. Trois
Ajouter le crachin, un sol défoncé trempé
cubicules à ciel ouvert, un trou carré dans le béton, une porte qui a du mal à fermer. Ca fera. Je jette ensuite mon dévolu sur une grosse dame qui fait des beignets fort appétissants. Quatre feront du bien. 80 CFA, 12 centimes d’Euro. Ce travail n’est pas rémunéré. Mais je voulais boire quelque chose de chaud, et ne trouvais rien aux alentours. Mon voisin guinéen aussi d’ailleurs. On demande, et on nous désigne, un peu plus bas, à une centaine de mètres, une gargote. Le bus ne partira pas de sitôt, on y va. Bingo ! Sous un auvent, au milieu d’un comptoir où on peut s’asseoir, un gars manie ses machines. Bouilloire et petit percolateur. Nescafé ou expresso ? Ca ne se discute pas. Avec les gestes d’un barista italien, il vide d’un coup sec le réceptacle, remplit de poudre, fait couler. Délicieux café. Très bonne initiative commerciale, l’expresso de rue ! J’en avais déjà vu un, et dégusté, dans un petit kiosque à Abidjan.

Malgré cette bonne surprise, je ne peux m’empêcher de comparer avec le transport par bus en Afrique de l’Est, sur toutes les routes que j’y ai prises. Ici chaque compagnie fait arrêt à son propre espace, situé chaque fois au profond de la ville, ce qui oblige à des détours par des ruelles (Korhogo, Sikasso) parfois totalement défoncées comme à Bougouni. Et pour aboutir à des lieux où rien n’est prévu pour le passager, sauf un ou deux maigres tabliers. Et ça dure des heures. Là-bas, les arrêts se font le long de la route, sur des espaces spécifiques aménagés – souvent couplés à des stations-services – des magasins, de la restauration (locale, et de qualité), des toilettes décentes, et tout un car est servi, a consommé, est reparti en 15-20mn. Rien à voir. La raison m’échappe.

Il est déjà presque 8h30 quand on quitte Bouaké. Le ruban de goudron défile, avec pas mal de nids de poule qui font zigzaguer le bus. Somnolence, lecture, bavardages. Mon voisin est donc Guinéen. Mais né en Côte d’Ivoire. Son père s’y était établi jeune, avait travaillé, et fini par posséder un atelier de mécanique florissant, plus machines qu’autos, et lui y travaille encore, avec ses frères. Le père, arrivé à la retraite, s’est retiré à Kankan, après tant d’années. Je lui pose la question de la nationalité. Il se dit spontanément guinéen. Devenir Ivoirien ? la question ne se pose même pas, ça ne se fait pas. Ces pratiques si restrictives, ce refus du droit du sol, un peu partout d’ailleurs, me laissent perplexe. Etranger, toujours, ad vitam aeternam, et ça semble naturel. Ca interroge aussi d’ailleurs sur l’acquisition de la nationalité, chez nous. Comment est-ce vécu ? Intériorisé ?

Le bus ressemblait à quelque chose comme ça
Entre temps, drame. A peine sortis de Bouaké, alors que j’avais prévu de bien m’en servir en chemin, voilà mon téléphone bloqué. J’avais bien reçu la veille après-midi, un dimanche, un avis me demandant de passer dans une boutique Orange pour m’identifier, faute de quoi la ligne serait suspendue. Surpris d’abord : j’avais acheté ma SIM à l’aéroport, on avait bien enregistré mon passeport, quoi de plus ?? Je m’étais dit ensuite que je ne pouvais rien faire un dimanche, ni le lundi dans le bus, mais qu’ils me laisseraient bien le temps de passer la frontière. Eh bien non, suspendu d’office, illico presto ! Et le message disait : aller dans une
La route, longue, peu fréquentée, nids-de-poule en plus
boutique, ou appeler tel numéro, le service clientèle. Sauf que quand j’ai fait le numéro, c’était la même rengaine : celui là non plus n’était pas accessible avec ma ligne. Malchance, mon Guinéen était à court de crédit. On avait traversé Korhogo sans s’arrêter, donc sans qu’il puisse en acheter. Je fais appel à un jeune contrôleur, pas le même, un autre, dès que je le vois cesser d’être fixé à son smartphone, et il me le passe gentiment. Je fais le numéro indiqué. Ca sonne 36 fois, sans décrocher. Avant que le réseau disparaisse. On recommence. J’obtiens finalement quelqu’un en ligne, et le temps de commencer à expliquer, hors zone de couverture. J’ai fini par renoncer. Mais écœuré par les méthodes d’Orange. Pas la première fois, au Mali aussi. Visiblement, l’attention au client, la culture de service n’est pas leur fort. Ce n’est pas lui le roi. Ca reste à l’ancienne, on mène à la trique, autoritairement. Même dans les grandes entreprises du privé. Au final, je ferai mes appels de la frontière, avec ma SIM du Mali. Mais j’ai perdu tout le crédit restant, et les Mo aussi.

Et nous voilà à Ferkessédougou, dont j’ignorais même l’existence. Et là stupeur ! Une bourgade sympathique, à un croisement de routes, comme plusieurs traversées jusque là, mais des avenues immenses, doubles voies, lampadaires tout du long. La verdoyance de la végétation en moins, c’est un autre Yamoussoukro. Je m’étonne et comprends vite. C’est le pays de Guillaume Soro.
Démesure, surdimensionnement, gabegie. Quel impact économique ces trois ou quatre kilomètres ?
Les travaux sont depuis quasi achevés, c'est encore plus somptueux.
Mais voir aussi, au loin, la route "normale" qui reprend.
avant que reprenne, sitôt les dernières maisons, la petite route défoncée – moins que plus au sud, il est vrai, mais quand même. Rares sont les portions où le bus peut prendre une vitesse de croisière. Combien d’enfants éduqués avec les sommes dépensées à des autoroutes urbaines (faudrait plutôt dire bourgaines) où circulent de rares véhicules ?

D’ailleurs, une autre chose me frappe : le peu de circulation, finalement, sur cet axe quand même majeur, qui relie Yamoussoukro aux villes du nord, et au-delà au Mali. Une voie internationale. Or, des camions, certes, avec leurs containers, quelques bus, mais très peu de véhicules plus légers, de voitures particulières. Celles-ci n’apparaissent qu’en pénétrant dans les agglomérations. On ne se déplace pas. Peu d’échanges. D’activité en fait. Là encore le contraste est frappant avec l’Afrique de l’Est. Ou le Nigéria.

Mais on approche de la frontière. Il est près de 17h. Les barrages d’ailleurs se sont faits plus rapprochés. Un des jeunes contrôleurs se lève et s’adresse aux passagers. En substance, on a le choix. Soit on se cotise, et le passage ne sera qu’une formalité, soit … ça va prendre des heures car les douaniers vont tout contrôler, ouvrir tous les bagages, je vous dis pas. En gros, il faudrait dans les 200 000 pour être bien tranquilles. Ca fait gros, en effet ! Je ne sais pas d’où il sort ce chiffre. Réel ?
La zone frontière ressemble un peu à ça.
Beaucoup de va-et-vient, d'activité d'agitation :
gens qui passent, petits vendeurs, "assistants", moto-taxis, etc..
Gonflé pour prendre leur part eux aussi, après tout ? J’observe. Les réactions dans le bus sont houleuses. Ca rechigne. Certains de dire qu’ils n’ont pas de bagages, et ne voient pas pourquoi ils paieraient. Les autres de soutenir que c’est l’intérêt commun d’en finir vite, et que chacun doit contribuer. Une bonne partie de la discussion m’échappe, faute d’entendre, ou de comprendre la langue. Quand le collecteur passe, je donne 2000, ce qui me semble une côte mal taillée entre les principes, mon unique valise, mon étrangeté, et le souhait de me fondre dans le groupe. Pas de remarque.

La frontière. Tout le monde descend. On prend les pièces d’identité au sortir du bus. Moi, avec mon passeport, on me dit d’aller vers la droite, tandis que les autres s’agglutinent devant une petite bâtisse. Mon passeport mettra du temps à revenir, mais l’officier affable enregistrera soigneusement les informations dans un grand livre, avant de me le rendre tamponné. Il y a encore du temps avant que c’en soit fini pour les autres, appelés un à un. Apparemment, me dira mon ami guinéen, on demande 1000 chacun, et c’est bon. Mais paraît-il, les Mauritaniens, c’est 5000. Allez savoir pourquoi ! Les petits marchands assaillent. Cartes SIM et crédit téléphonique, changeurs d’argent (qui change quoi, entre deux pays de la zone CFA ?), eau fraîche, quelques grignotages. Pendant ce temps, le personnel du bus – ils sont au moins cinq, dont deux chauffeurs – est attablé devant un gros plat de riz sauce graine. Ils ont leur coin, réservé. Rien de tel pour les passagers. On réembarque pour aller de l’autre côté, malien. Même topo, ramassage des pièces, regroupement et appel nominal, obole. Moi, on se contente de me tamponner. Je n’ai pas eu droit au même accueil qu’à mon précédent passage, voilà trois ans, quelques mois après l’intervention française. On m’avait fait asseoir dans un fauteuil, l’officier en personne était venu s’occuper de moi, et me dire la gratitude pour les avoir préservé de l’invasion djihadiste. Touchant.
Ensuite, le passeport tamponné, il faut aller rejoindre les autres et le bus, stationné sur l’aire des douanes. Quand j’arrive, les portes des soutes sont relevées, un douanier bien en chair, entouré d’un essaim de passagers, inspecte vaguement, désigne de sa baguette, ça discute, bruits de voix au loin. Je
Le poste frontière
prends soin de ne pas m’approcher ni d’entrer dans le champ de vision, pour pas donner envie de s’intéresser à ma valise. Mais le tour continue, lent et tout en postures. Sans s’intéresser à moi. On attend après encore vingt bonnes minutes occupées à je ne sais quoi (négociations ? ) avant d’embarquer, et au bout d’un moment encore repartir. La nuit est tombée, nous entrons au Mali.
Pour s’arrêter très peu après : un lieu au bord de la route où abondent petits marchands de tas de choses. Faut se reposer et se restaurer. J’achète pour 200CFA je crois de viande fumée coupée menu, très savoureuse. De l’eau fraîche, un peu de thé. Je cause avec d’autres passagers, sympathique. Mais l’heure tourne, le temps passe, se perd.

Etape suivante, après deux barrages et contrôle des papiers, Sikasso. Le bus se fraie un chemin au cœur de la ville et parvient à manœuvrer au millimètre pour se garer dans la cour de la compagnie. Et là c’est l’effervescence. On débarque une très grande partie des colis chargés à Bouaké – en grand nombre, et on comprend mieux les termes du débat sur la « cotisation ». En effet, pourquoi ne fait-on pas payer, au départ, un supplément par bagage, pour les frais « en route » ? Les passagers avec qui j’avais fait causette nous quittent aussi : ils s’arrêtent là pour prendre un autre bus vers Mopti. Bonne route ! Et on repart, déjà presque 22h.

Nouvel arrêt, à l’entrée de Bougouni. Un barrage. Une partie du staff descend. Et on attend, le temps passe, plus d’une demi-heure, rien ne bouge. Calme plat, dans la nuit bien avancée. Je m’impatiente et demande. C’est la douane. On discute. Et ça dure encore. Tout à coup, les gens reviennent, démarrage, ça repart. Pas pour longtemps car dans Bougouni voilà qu’on quitte la route pour s’enfoncer par un chemin défoncé – le bus brinquebale, a des hoquets, nous secoue de droite et de gauche – tout ça pour atteindre l’arrêt de la compagnie. Encore 20mn d’arrêt. Pourquoi ? nul ou presque ne semble être descendu, ni monté, mais bon…

Tous ou presque sommeillions, le bus allait bon train, sur le dernier tronçon vers Bamako, quand grande secousse : le bus venait de prendre un profond nid de poule à vive allure, et allait bientôt s’immobiliser, un pneu crevé. Il était déjà près d’une heure du matin. On descend tous et dans la nuit fraîche on se répartit le long de la route bordée de hautes herbes. Les « spanner boys »(le nom est bien mérité) s’affairent, entourés d’un groupe d’observateurs bruyants, qui conseillent. Quelques véhicules, camions, bus, passent, de temps à autre. Le cric est installé, la roue crevée démontée, la roue de secours est amenée mais, enfer et damnation ! quand on la présente, le bus n’est pas assez soulevé pour qu’elle puisse se loger. Les voix autour s’amplifient, chacun doit y aller de son conseil, de son yaka. Un camion finit par s’arrêter. Discussion. Un autre cric est installé, tandis que le camion est déjà reparti. La roue installée, on repart.


Un ou deux arrêts pour contrôles rapides encore, et nous voilà arrivés à Bamako. Il est plus de 3h du matin. Fatigue et un peu d’énervement. Mon voisin guinéen décide d’attendre 6h pour continuer vers Kankan. Je prends un taxi pour rejoindre la chambre que j’avais pu retenir. Heureusement, on peut y arriver à toute heure.

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