mardi 21 septembre 2010

Kassav, hommage

La mort, hier, de Patrick Saint-Eloi, du groupe Kassav. Le clip vidéo sur Le Monde en ligne, SYE BWA à Kin en 1988, m’a submergé d’émotion. Des souvenirs, une anecdote.

Kassav, ça a été Lomé, d’abord. Le milieu des années 80. J’y emmenais les étudiants de français de Zaria, qui allaient faire un stage de plusieurs mois au Village du Bénin.
Quelques jours de détente. Eyadema tyrannisait, mais la vie y était tranquille, animée, joyeuse en fait. Les boîtes bondées du côté de la frontière du Ghana, une simple cour de concession, l’ambiance, la joie, la sueur, les corps qui se défoulent, et une musique fabuleuse, que je découvrais : Kassav.
Jamais entendu parler en France avant ! Leur premier album – cassette en vente dans toutes les rues de Lomé, piratée bien entendu, pour rien de CFA, leur grand album, je dirais presque unique, avec « Syé Bwa » et « ZOUK LA SE SEL MEDICAMAN NOU NI  ». Ces soirées ! Qui se terminaient le long de la plage, la brise dans les palmes, la fraîcheur du sable, pour regagner le petit hôtel propret que j’avais dégoté pas loin.
J’avais ramené la cassette à Zaria, où elle s’est mise à tourner en boucle. Famille conquise, amis séduits.
L’anecdote. Lomé toujours, trois ou quatrième voyage, j’arrive par le vol KLM de Kano, avec mon groupe d’étudiants. Le bus nous accueille et sur le trajet en traversant Bè je crois, une, deux, plusieurs affiches, Kassav en concert au stade. Ce soir même, dans deux heures ! Le temps de larguer les étudiants, de prendre la chambre habituelle, la tenue décontract qui sied.
Un taxi pour le stade – pas de zemidjan à cette époque encore.
Du monde alentour. J’observe : plusieurs tarifs. Comment ne pas prendre une des places les plus chères ? Attend-on autre chose d’un Blanc ?
Je pénètre par le tunnel sur le stade. Au centre de la pelouse, l’estrade, instruments, sono, loin là bas. Un groupe local anime en attendant. Rien de rare. Devant moi, sur la piste d’athlétisme, des rangées de chaises qui nous sont dévolues, à qui avons payé le prix. Clairsemées. Je prends place. Derrière, la tribune principale se remplit, mais pas autant que les quarts de virage, déjà loin, transformés en poulailler : de la vie, de l’agitation, des rires et clameurs qui fusent. Ceux-là même qui dansent les soirs à ciel ouvert, venus en se saignant voir leurs stars. Ca tarde.
Enfin, les locaux s’éclipsent dans l’indifférence générales, installation, balance, réglages, voilà les Kassav en scène.
Oui mais je les vois à une cinquantaine de mètres, leurs premiers accords pour chauffer l’atmosphère se perdent dans la touffeur. Glacial. Ils avancent péniblement dans leur premier morceau. On entend les spectateurs qui bougent et chantent, au loin. Fin de la chanson. Et là je ne sais plus qui, Devarieux j’imagine, prend la parole, salue tout le monde, et finit : « mais vous êtes trop loin là, ça va pas le faire, rapprochez vous ! ».
Un flottement de quelques secondes, et les premiers qui se mettent à enjamber les grillage, à déferler sur la piste puis la pelouse. Les militaires parsemés n’en croient pas leurs yeux, et se mettent à poursuivre, à taper où ils peuvent (car que faire d’autre sinon matraquer quand l’intempestif débarque ?). Assez mollement quand même – au jugé, car je n’étais pas sous les coups pour en témoigner – et ils cessent vite, dé-bor-dés ! En quelques minutes, les tribunes s’étaient vidées. Kassav avait déjà repris, cette fois ceints de la foule, en délire mais sage, ivre de zouk jusqu’à la fin du concert, loin dans la nuit.
J’étais resté sur ma chaise, ravi du spectacle. Je ne voyais plus rien. Ne restait plus qu’à s’asseoir sur le haut du dossier.
Quel goût de liberté avait Kassav ce jour-là ! Quel message ! Merci à vous.

samedi 11 septembre 2010

Et si on parlait de l'Aïd ?

C’était quand l’Aïd ? Hier, comme dans certains pays ? Aujourd’hui ? Quand envoyer des messages de sympathie à mes amis musulmans ?


Depuis vendredi, je cherche assidûment sur Le Monde et Libé en ligne. Ils ne m’ont été d’aucune utilité. Pas un article. Nulle mention que des millions de Musulmans, parmi nous, fêtent la fin de Ramadan. Que pour les 5 à 8% de la population en gros qui se réclament de l'Islam en France, pratiquants ou pas, c'est un jour de réjouissance.

Ca vaut le coup de le dire aux autres, non? C'est de l'information, ça met du lien social.

Marronnier ? Peut-être. Mais il y a toujours un article qui dit que c’est Noël ou Pâques, alors que c’est su de tous.

Rien sur l’Aïd ? Non ou presque. Si ! Dans Libé, une page de blog, et à propos de Bagdad, le mentionne. Dans Le Monde, en commentaire d’une image : « …manifestations…en Afghanistan... au moment où les musulmans* du monde entier fêtaient la fin du ramadan ». Seules mentions, associées à l’extrémisme, à la guerre….

Mais on en fait des tonnes sur le fanatique qui voulait brûler des exemplaires du Coran. Et comme il a finalement déçu tout le monde, on va chercher trois crétins qui en déchirent des pages...

Pourquoi ne parler d’Islam qu’en termes de conflits, de fanatismes, d’intégrisme, extrêmement minoritaires ici ? et ne pas même mentionner les événements importants de la vie de millions de personnes qui vivent parmi nous, paisiblement ?

Etonnons-nous que les Musulmans se sentent rejetés, ignorés, méprisés, humiliés !
Cette indifférence des médias est indigne : c’est ne pas contribuer à la cohésion de notre société, négliger d’œuvrer à faire disparaître des tensions pour l’essentiel fondées sur la méconnaissance. Faudra-t-il laisser la droite séduire cet électorat, faute de lui avoir montré un minimum de considération ? On aura besoin de tous en 2012.

* Je passe sur l’absence de majuscule, que j’impute au relâchement, plutôt qu’au manque de considération.

vendredi 10 septembre 2010

Voyage à LAGOS, années 90

Il y a bien longtemps déjà.  Plus rien de comparable pendant la dernière période, celle de nos quatre années à Lagos. Cela faisait plusieurs années qu'on ne s'était pas revus avec Julius. J'étais en mission à Cotonou, l'occasion d'aller faire un saut. C'était mi-décembre, pas loin de Noël, il y avait eu arrestation de trafiquants d'armes à la frontière avec le Bénin une dizaine de jours avant.


1. Je m'étais avancé à pied parmi les nombreux véhicules vers le long bâtiment administratif d'un étage où se règle la traversée du Bénin au Nigeria, d'un monde à un autre. Pas vraiment une formalité.

Plutôt voilé le soleil. La chaleur n'est pas torride, un peu oppressante, moite. Nous avions quitté Cotonou moins d'une heure avant et les amis béninois qui m'accompagnaient avaient passé la grille d'enceinte de la zone frontière. Ils s'étaient garés au milieu de bien d'autres sur ce vague terrain ceint d'un long mur de parpaings, champ clos du passage.

Ensemble, nous étions arrivés sous la longue véranda de droite où s'abritent les guichets de la sortie du territoire. Assis en contrebas du comptoir à leur grande table de bois épais, devant de grands registres, les fonctionnaires inscrivent consciencieusement les informations. Passeports, carnets d'immatriculation sont tendus, rendus, circulent. Souvent le coin d'un billet dépasse des pages. Il a disparu au retour. Tout est assez tranquille, calme, sérénité. Les gens passent, on s'occupe d'eux, les tampons sont apposés, les documents visés, normal. On est côté béninois.

A quelques mètres, toujours sous la véranda, un mince bâton est posé sur deux fûts.

Au-delà, on voit la différence. Ça grouille, ça ruche, ça crie, pousse des hurlements. Des gens en mouvement brownien, sans logique apparente. Chacun poursuit son chemin, règle son problème, tente sa chance. Je salue mes amis.

2. Le contrôle de santé. Il prend mon carnet, le vérifie. What did you bring for us ? Je m'y attendais, ça commence. On discute. Il fait les gros yeux. Il brandit mon carnet, l'agite devant moi au hasard de son parler avec les mains. Il me fait sentir son pouvoir, je résiste, souris, dis des âneries, que y en a d'autres, qu'on verra après, tout cela. Ça l'agace, il part avec mon carnet. Il disparaît du groupe grouillant au milieu duquel je suis pris. Bon, on verra. Je m'approche d'un guichet. Étroite ouverture derrière des barreaux. Un gars commence à parler. D'où venez-vous ? que venez-vous faire ? J'explique. En visite, un ami, je suis résident en France. Qu'avez-vous pour nous ? Quoi pour Noèl ? Autres paroles dilatoires, on prend du temps, bafouille des inepties, je lui dis qu'il y a beaucoup de monde. Il se lasse, un idiot ce Blanc. Il glisse la carte à remplir dans le passeport, le passe au guichet d'à côté.

3. Debout, au milieu de la bousculade, le sac entre les jambes, l'autre sur l'épaule, je remplis tant bien que mal la fiche de renseignements. Autour, les gens se penchent vers le guichet, tendent document ou passeport avec 20 N, le billet vert qui m'apparaît comme l'étalon en pratique. A bon entendeur salut. Je prends la queue, m'insère en me collant contre le précédent, je regarde faire. Mon tour. Je tends passeport et fiche. Le gars regarde, pose quelques questions. Des mecs sont collés à moi, vibrants d'impatience. Le gars appelle. Officer ! Officer ! Rien ne bouge, chacun est affairé. Tout mêlé, des uniformes, des gars en T-shirts. Des femmes passent, des ballots parfois sur la tête, traversent tout cela tranquilles. Officer ! J'en touche un pour lui signaler l'appel. Rien. Un autre finit par bouger, s'approche. Il reçoit mon passeport avec la fiche des mains du guichetier, à travers les barreaux. Follow me ! Hé ! Je veux récupérer mon carnet de vaccination ! Qui l'a pris ? Les agents de la santé sont toujours là, à un ou deux mètres. Mais pas le mien. Je pose la question. Il resurgit, mon carnet à la main. On se cause à part, on organise notre espace dans un face à face d'un mètre carré avec la grouille autour. Il y tient, insiste. Je reste dilatoire, il s'agace. Je finis avec sourire par plonger ma main dans la poche et extirper 20 N. Moue de dégoût, je fais l'idiot. Il prend, me rend mon carnet, et tourne les talons.

4. J'ai fait deux mètres en territoire nigérian. Je suis l'officier, deux barrettes sur l'épaule. On pénètre par une ouverture entre les guichets. Les bureaux dedans, à gauche du couloir, cloisons de bois, bureau sans âge, bancs usés. Tout gris ciment et brun planches. Un homme au fond, en civil. A la table, affalé, un uniforme, trois crachats, en vert foncé. Passeport. D'où, où vous allez ? Quoi pour nous ? Réponses, patiemment, précisément, l'air assuré et aimable, souriant. Il tend le tout au civil, un geste. Follow me. On s'enfonce plus loin dans l'enfilade de bureaux de bois.

5. Un homme jeune, quasi rasé, une certaine dureté. Asseyez-vous. La même litanie de questions. Je souris. Le visage est fermé. je donne l'information a minima. Les questions se font plus précises. Où allez-vous ? Rendre visite à un ami. Où loge-t-il ? Ikoyi. Vous connaissez ? Non, je n'y suis jamais allé. Vous devez avoir une lettre d'invitation ? Je sors ma copie de fax, bien sûr qu'elle fera merveille, à l'en-tête de la Présidence. Très chaleureuse. Quelle est votre mission ici ? Mais il n'y en a pas, c'est une visite privée. Ah ! c'est votre ami personnel ? Je reprends, il faut expliquer. Oui, on était profs ensemble à Zaria, pendant plusieurs années. Là, je reviens le voir. Je joue la corde sentimentale. Je parle des enfants, que je ne connais pas encore. Visite familiale. Il écoute à peine, plongé dans la relecture de la lettre. Is this Bala Usman ? Aïe aïe aïe ! Non non, pas du tout, rien à voir avec ce professeur politique, agitateur et opposant notoire et radical, au passage raciste et hostile, avec qui j'avais eu des rapports peu amènes. Pas du tout. Je connais Bala Usman - mieux vaut reconnaître : quand on a enseigné à Zaria, on ne peut ignorer le personnage - non, nous avons bien été par hasard voisins de bureaux, mais je n'ai rien à voir avec lui. C'est un autre Docteur Bala. Alors, vous allez passer Noèl à Lagos ? Les questions reprennent. Je semble vraiment bizarre. Rendons vraisemblable. Le réel est encore le mieux, présenté de bonne façon. Non, vous savez, Noèl, c'est la famille. Mes enfants me réclament en France. Et puis d'ailleurs mon ami aussi doit aller passer Noèl chez lui dans sa famille à Shendam. Pourquoi avais-je besoin d'ajouter cela ? La sauce autour, pour rendre vraisemblable, faire voir que je connais. Et puis les valeurs familiales, les habitudes de vie, je connais. Pourquoi ne pas en jouer un peu ? Dissoudre la suspicion.

6. Vous avez dit Shendam ? Oui, il est de Shendam. Il regarde encore la lettre. C'est - il hésite - Julius Bala ? Oui, Julius Jibril Bala. Le visage change, s'éclaire soudain, le sourire s'installe. Je suis de Shendam moi aussi, you know. Have you been there ? Non jamais, pas eu l'occasion. Je suis allé chez lui à Jos, mais pas à Shendam. Les questions reprennent mais plus rien à voir. J'explique à nouveau le tout, mais cette fois c'est parce qu'on parle entre amis d'une connaissance commune. Pas si connaissance d'ailleurs. Donc vous allez le voir ? Dès ce soir, au plus tôt possible. Pouvez-vous lui dire - il écrit son nom sur le coin de la lettre d'invitation - que vous m'avez rencontré et que je le salue. Bien sûr, je m'y manquerai pas. La conversation se poursuit, aimable. Rien ne presse. Ne le presse. Tout en causant il retourne la fiche de renseignements et inscrit les indications idoines. Soudain, il lève la tête. Faut pas nous en vouloir vous savez, on fait notre métier. Ça se termine. Je comprends qu'on va partir. Je me lève. A ce moment-là, il reprend la lettre d'invitation. Je vous donne mon adresse. Ce serait gentil si vous m'envoyiez un petit mot. Une adresse brutale. Poste frontière. Nigeria. Précisez quand même Immigration Office, ajoute-t-il. Il se lève enfin, je le suis. On retourne dans le bureau avec l'officier en vert aux trois crachats, plus le civil. Quelques mots en hausa. L'atmosphère se détend, sourires, mon passeport s'en va entre les mains d'un arpète. quelques paroles échangées. L'arpète revient. Voilà, c'est OK. Il est bien tamponné. Sourires, remerciements. L'officier ne fait aucune allusion que ce soit à Noèl. Pas de demande, même pour la forme. Tout baigne, je le salue. Mon civil m'accompagne. Je lui suggère qu'il pourrait m'escorter jusqu'au bout des formalités. profiter de l'aubaine. Mais non, il y a du monde qui attend. En effet, des femmes s'étaient installées dans son bureau. Il vient toutefois jusqu'au bout du couloir. Me revoilà dehors dans la presse. J'ai fait trois mètres au Nigeria.

7. Nouvelle enfilade de guichets le long du bâtiment. C'est la douane cette fois. Des femmes, des hommes, en uniforme vert. Quelques paroles, des questions. L'aventure avec le gars de Shendam m'a mis en confiance. Je suis dilatoire, j'élude et souris. Les demandes fusent. Je les écarte. Je poursuis mon chemin en forçant ma route, veillant à ne pas sembler fuir ou me soustraire. Je suis au bout du bâtiment. Ça y est, le poste frontière est passé, avançons vers les véhicules semés partout, la presse autour, la foule qui grouille, le taxi pour Lagos.

FEET AT OSHODI  - photo de Kelechi Amadi-Obi
8. J'avance, cherchant du regard. Un gars en lunettes de soleil sans uniforme. Passeport ! Il regarde. Questions encore. Mais on m'a bien demandé cela tout à l'heure, voyez. Bon Dieu ! pourquoi l'autre gars ne m'a-t-il pas accompagné davantage ? Pas pareil, moi c'est la sécurité. C'était donc quoi, l'autre ? Un autre approche, qui se protège du soleil sous un parapluie. Questions. Demandes. Pressantes. Je perçois de la menace. J'ai hâte d'être en route. Je décide de céder. Je sors un 20 N. Nous sommes trois. J'en extirpe deux autres et récupère mon passeport. Chaleur, soleil, poussière soulevée par cette foule qui s'agite.

9. Des gens dans un véhicule, qui semble prêt à partir. Je m'approche. Ecarte des gens qui me proposent un taxi particulier. Mais c'est plein, il y a déjà quatre passagers. Un gars assis dans le véhicule parké à côté m'appelle. Prends celui-ci. Une assez jolie gueule, mais l'air possible filou. J'hésite, retarde. Je veux prendre le premier à partir. J'en ai connu des taxis presque pleins où les passagers assis s'avéraient des comparses qui quittaient au fur et à mesure de l'arrivée des vrais clients, appâtés par un départ rapide. OK, mais alors je prends la place à côté de vous. Je me réserve ainsi la portière gauche. Un autre est déjà assis devant. On appelle le dernier qui s'était éloigné. Les bagages dans la malle me rassurent que ce sont de vrais passagers, pas une entourloupe genre traquenard. Le chauffeur s'installe. On part.

10. Le taxi cahote dans les trous, se fraye un chemin à travers les gens. Klaxon, cris, vociférations. Il atteint la route, se hisse sur la pente vers le mur d'enceinte de toute la zone frontalière. On passe la grille. Un signe. Garez-vous là. Le gars s'approche, fait quelques pas, me salue. C.I.D., passeport s'il vous plaît. Questions, explications. Tout y passe. Lettre d'invitation. Vous allez où ? Ikoyi. Vous connaissez Ikoyi ? Oui. Il faut aussi faire le récit, mes années au Nigeria avant, tout. Vous connaissez bien la personne qui vous a invité ? . Oui, récit, explications. Comment allez-vous aller chez lui ? Pourquoi n'est-il pas venu vous attendre ? Autre récit. Le vol réservé de Douala sur Nigeria Airways, qui n'existait pas. L'alternative d'aller à Cotonou, le départ par la route. Pourquoi n'est-il pas venu vous chercher ? Pas de téléphone, j'ai essayé. Difficile, vous savez, ... Alterner précisions, pointes amusantes, détendre l'atmosphère. Il n'en a aucune envie. Il faut prendre l'autre fax, où Bala me disait qu'il viendrait m'attendre à Ikeja, et le plan pour aller chez lui. Vous voyez bien : vous ne connaissez pas l'endroit. Ça reprend. Convaincre, encore. Où sont vos bagages ? Le chauffeur est appelé, descend, ouvre la malle. Mon sac en bandoulière. Bon sang de bois. J'essaie de montrer le moins possible sans toutefois lui cacher l'argent que j'y ai. Il voit tout. Les liasses de nairas. Volumineuses, de peu de valeur. Il ignore les francs, tombe sur les dollars dans leur pochette. Je lui montre en comptant. 5, 15, 20, 40. Une centaine. Not much, dit-il à un acolyte qui est arrivé. Je sens que je suis bon. On passe au petit sac de voyage. Habits, cadeaux paquetés, rien de rare. D'où venez-vous avez cette voiture ? Je l'ai prise juste là. Qui est avec vous ? Personne, je ne les connais pas. Il est gros, ventru, très noir, le visage épais et rasé. Deux scarifications sous les yeux. Il s'éloigne en conciliabule avec son compère. Ça peut tourner vinaigre. Mais un gars qui n'a l'air de rien et qui tient la grille l'appelle, ils échangent quelques mots. Mon gros interrogateur revient, me rend mon passeport. You may go. Comme ça, tout d'un coup. Je ne me le fais pas redire. Je rembarque

11. Je suis désolé, je vous ai retardé. Quelques mots d'excuse aux autres passagers, avec sourire confus. Ils sourient aussi, on sait ce que c'est. Mon voisin de siège, T-shirt noir, jean beige, sandale. Le gars à faire du petit trafic transfrontalier en permanence. A l'autre portière, un autre, plus âgé, sourire fin, un peu narquois, petite moustache, casquette. Sur le siège avant, un autre se retourne pour me dire de rien. Plus épais, plus lourd, rasé à casquette. La bonne trentaine. Le chauffeur, plus maigrichon, démarre, sans un mot.
12. Trente mètres à peine. Autre signe. Arrêt. Des douaniers. Passeports. Les uns, les autres. Qu'avez-vous dans la malle ? Effets personnels. Ouvrez. Le chauffeur sort, passe derrière, ouvre. Il revient de suite. Il a dû donner 20 N, on repart. Encore cinquante mètres, une paillote au bord de la route, une barre de bois cloutée en travers. Signe. Arrêt. C'est encore moi, cette fois. Passeport. Que venez-vous faire ? Mais ça ne dure pas, on repart. I like the way this one is doing. He is kind. C'est mon voisin qui commente. CHECK POINT

13. On roule un peu. De l'air refroidit la voiture. Mais à peine un kilomètre. Signe. Nouvel arrêt. Passeports. Bagages ? Quoi dans la malle ? On entend le chauffeur ouvrir derrière. Des voix. Et ceci ? A qui ? Visiblement, ils ouvrent les sacs. Le gars de devant descend. Son bagage bourré de vêtements est grand ouvert. Il surveille un peu. Les autres suivent. Moi aussi. Il ne s'intéresse pas à mon sac. Ni d'ailleurs à l'attaché-case métallique. Ni au grand sac plastique blanc au fond. Ça se termine vite. Je n'ai pas vu circuler de billet. On repart. Plus loin, commentaires dans la voiture après un barrage rapide où le gars a pris ses 20 N sans façon. Qu'est-ce qu'il est gentil ! Il fait son boulot, normal. C'est pas de la corruption, ça. On les comprend. On compatit. Chacun lutte pour sa croûte. Soi, les autres. Garder la mesure, voilà ce qui compte.

14. Plusieurs arrêts encore, à rythmes plus ou moins éloignés, mais dont le détail est fastidieux. Je sers d'attraction. Le geste las, prêt à laisser passer, se raidit soudain, se pointe vers le sol en m'apercevant. Signe de se garer sur le côté, et ça recommence. Parfois bref, parfois plus long. Je reste assis, ou il me faut descendre, on m'éloigne un peu pour parler. Une fois en revenant, le moustachu : vous avez donné quelque chose ? Non, je m'en suis sorti sans. Rien de plus, pas de réaction visible. Je suis sûr cependant qu'il doit se dire que ce Blanc-là n'est pas un blanc-bec, qu'il sait y faire. Une fois avant déjà, quelques remarques sur les questions, les réponses à donner. Indirectement. Ils ne parlent pas précisément de moi. Mais je comprends que c'est de cela qu'il s'agit. Ils apprécient que je me débrouille. Pas pour rien. Si je paniquais, ou si mon histoire n'était pas claire - vraie ou pas ils s'en fichent, mais claire - ça les retarderait encore bien plus. Ils pourraient même être en difficultés eux-mêmes, du coup. Ils ne m'en veulent pas d'être là. C'est la vie, il faut supporter. Mais apprécient que je me défende bien. Et si eux n'étaient pas clairs, qu'adviendrait-il de moi ? Et s'ils étaient heureux au fond que j'attire l'attention ? que je leur serve de paratonnerre ?

15. C'est plutôt au chauffeur qu'ils en veulent - bouc émissaire de la colère qu'ils ont d'être ainsi retardés, alors qu'ils ne peuvent pas m'en vouloir par compassion pour mes difficultés. Nouveau barrage. Ah ! différent cette fois. Des militaires. En treillis camouflé, fusil d'assaut sur le cou. Je ne les intéresse pas du tout. Le chauffeur descend. On entend des voix. Fortes. Je ne comprends pas la langue, du yoruba. Mais le chauffeur remonte, il se fait dire de se garer sur le côté. Quelques minutes d'attente, la consternation s'installe. Rien, plus personne ne s'occupe de nous. Passe un grand sous-off, dégingandé, gueule un peu voyou taillée à la serpe, n'était l'uniforme. Oga ! Oga ! Monsieur ! ou mieux Messire ! Les passagers l'interpellent. Ça discute. Fort. Les passagers s'agitent. S'énervent. En fait, les militaires exigent 50 N. A tout seigneur tout honneur, ils ne se satisfont pas des 20 habituels. Le chauffeur a refusé. Ils l'ont mis en pénitence. Ça s'échauffe. On m'explique que les militaires sont comme ça. Eux, ils ne supportent pas le marchandage. Pas question. Y a qu'à exécuter. Et de s'en prendre au chauffeur. En yoruba. Pourquoi nous retarde-t-il ainsi ? Ne sait-il pas que ? C'est lui le fautif. Il explose, le chauffeur. Tape sur son volant. Yen a marre. Il ne fait rien de mal. Il ne transporte même pas de la contrebande. Pourquoi faudrait-il donner comme ça, à tout bout de champ ? Puis il s'éloigne. Vous voyez, en fait c'est que le chauffeur est avare. Il ne veut pas donner. Les trois s'accordent pour lui faire porter le blâme. Le chauffeur revient. Avec le sous-off. Nouvelle discussion. A tous. Moi seul me tiens coi. Le chauffeur ressort, en claquant la porte. Il s'éloigne vers l'abri du poste militaire. Au bout de quelques minutes, il revient, on repart. Mais a-t-il donné quoi que ce soit ? Personne ne va demander.

16. Encore quelques barrages mineurs. Puis on roule. De part et d'autre, de hautes herbes, des arbustes. La glissière entre les deux chaussées défile. Le passager à l'autre bout de la banquette arrière se déboucle la ceinture. La trentaine mûre, avec sa petite moustache. Plutôt souriant. Je risque un oeil. Il défait la braguette, écarte les pans. Un caleçon à raies, dessous. Il se met à en manier l'élastique, tire, pousse, finit par en extraire un rouleau serré qu'il déplie. Des dollars, en bonnes coupures, 50, 100. Ça en fait pas mal. Il en extrait 2 ou 300, remet le reste dans sa cachette. Le manège m'amuse. Il ne se cache pas. Nous sommes tous à la même enseigne. Chacun vit sa vie, tente son aventure, poursuit son trajet. Je risque quand même : Vous êtes sûr qu'il n'y a plus rien à présent. Non, ça va. Après, c'est bon. Mes compagnons de voyage ne sont pas vraiment patibulaires. Pas angéliques non plus. Cet air du Nigérian de la rue qui lutte pour vivre. Pas différents de ces condamnés attachés aux poteaux des exécutions publiques dont les photos s'étalent dans les journaux. DANS UN BUS

17. Ça ne dure pas. Cinq minutes. Une cahute en roseaux. Un uniforme. Signe. Jeune, costaud, le visage rond. Ni souriant ni agressif. Puis, dans les formes, il se présente, montre sa carte : brigade de répression des stupéfiants. Je l'intéresse, mais sans plus. Quelques questions. Ce que je fais là. Comment je connais ces gens. Le hasard des taxis collectifs. Il veut voir les bagages. Tout le monde descend. Autour de la malle. Le sac débordant de vêtements est toujours grand ouvert. Il s'intéresse à un autre bagage, plus au fond. Un bazar hétéroclite. Qu'est-ce que vous faites ? Du commerce, entre Accra et Lagos. Rien de passionnant. Même s'il ne cherche pas que de la drogue. Il en vient à l'attaché-case blanc métal. Le gars aux dollars s'avance. Il l'ouvre. Un fatras de papiers divers, dossiers, de la couleur. Sur le rabat du couvercle, d'une poche dépasse la photo d'un Européen. Je le repère aussitôt. Heureusement, il ne me ressemble en rien. Bien sûr qu'il l'a vu de suite. Qui c'est ça ? Un ami à moi. Il travaillait pour KLM à Lagos. Il est parti à présent. Ah ! bon, suivez-moi. Vous aussi, avec vos bagages. Je prends mon sac, l'autre toujours en bandoulière. On le suit vers la cahute sur le bas-côté. Pendant ce temps, d'autres véhicules passent.

18. Proprette, la cahute. Des tiges de roseaux bien alignées clouées sur une armature de bois. Mur de façade à mi-hauteur, qui ouvre sur la rue. Une cloison sépare l'espace en deux. Une banquette court en angle sur deux des côtés. Il me fait asseoir dans le coin, s'intéresse à mon compagnon. Tout y passe, en détail. L'autre est poli, respectueux. Il a un rien d'ironie quand même, de défi. Il voit les dollars sortis, pas ceux dans la ceinture. Pas de réaction. Encore des questions sur le gars de la photo, sur divers papiers de la mallette. Des listes de marchandises. Des traces d'affaires commerciales. Papiers brouillons, documents douteux. Que fait-il ce mec ? Comme tant d'autres sur le littoral. Il le renvoie, vient mon tour.

19. Venez. On passe derrière la cloison. A l'abri des regards. Ça ne sent pas bon. Il va falloir jouer serré. Il s'assoit sur la banquette, une jambe sous la cuisse. Me fait poser mes affaires dans le coin. Ne pas se laisser intimider, ni même en donner l'air. Interrogatoire serré. Toute l'histoire. Pourquoi ? Comment ? Invitation ? Détails ? Ça dure. Sourires, détendu. On passe à la fouille des bagages. Le sac, les paquets cadeaux. Des jouets, pour les premiers. Il agite. Ça sonne bien jouet. Pas came ? Trousse de toilette, item par item. Vient l'autre sac. En grands détails. Les diverses devises. Dollars, francs, CFA, il compte, examine. Les bouquins, le journal. Quelques médicaments. Qu'est-ce que c'est ? On ouvre les boîtages. Et dans vos poches ? Je les vide. A droite encore un paquet de nairas, où je puisais depuis le départ en cas d'urgence. A gauche de menus papiers, trois capotes, un coussinet plastique de lubrifiant, trouvé dans une boîte de préservatifs. Il regarde tout. Et ça ? Je lui en explique l'usage. Ah ! bon, tu te mets ça sur le machin ? Le geste accompagne la parole. Oui, pour que ça glisse mieux, pour pas faire craquer la capote. Toi alors ! Il se marre. J'ai marqué un point, il me m'a pas fait craquer, et là c'est lui qui est pris à contre-pied. Ça va aller pas trop mal. Il reprend quand même l'offensive. Voilà le moment décisif. Mais il n'a pas trouvé d'arme fatale. Now, what can you do for us ? La négociation s'ouvre. Il sait tout ce que j'ai. Comment calmer sa gourmandise ? Paroles idiotes, on tourne autour du pot, esquives. Je tente les 20 N tarifaires. Il sourit, moi aussi. C'était pour rire. Je ne voulais pas le vexer. C'est qu'ils sont plusieurs, me dit-il. Bon, il faut y aller. Je prends les billets de 50. En tente deux, esquisse trois. C'est qu'on est six ! Il a mordu. Je vais bien m'en tirer. Pas de problème. Je sors les trois autres avec un grand sourire. Donner l'impression que c'est moi qui remercie. Encore quelques paroles pour ne pas avoir l'air de croire que là était le but, ne pas être impoli. Je reprends mes affaires sans hâte, regagne la voiture, retrouve mes compagnons. On démarre. Vous avez filé du fric ? Ah ! oui, cette fois, pas moyen d'échapper. Des dollars ? Non, du naira. Appréciation.

20. Une dernière encore, pour l'anecdote. Au bout de quelques kilomètres. Arrêt. On me fait descendre, me conduit en contrebas du fossé où deux officiers sont assis sous un petit toit de chaume. Salutations distinguées. Y a de la dorure aux épaulettes et sur les manches. Je me présente. Vite, ils me parlent des fêtes et de leurs hommes qui ont bien besoin de pouvoir célébrer aussi. Rempli de confiance par l'épisode précédent ? Gonflé, je leur dis qu'il y en a vraiment beaucoup. Que j'ai beaucoup de sympathie pour eux mais je ne peux pas grand-chose. Je connais l'usage, c'est 20 N par barrage. Mais je ne pense pas que des officiers de haut rang comme eux s'abaisseraient à prendre une telle dîme misérable. J'avais produit mon billet. Ils sourient. Ils ne s'attendaient pas à ça. Me souhaitent bonne continuation., je prends congé. Il est cinq heures.

OSHODI - photo de Kelechi Amadi-Obi
21. GO SLOW Faut encore une heure pour faire les dix à vingt kilomètres qui restent avant le terminus du taxi. Lagos commence. Plus de barrages, les go slow. Ça bouchonne. Deux chaussées à trois voies, un terre plein central poussiéreux, de boue séchée mêlée aux détritus et sacs plastiques de la ville. Le sens vers Lagos se bloque. Des véhicules commencent à emprunter le terre plein. Qui se bloque aussi. On passe - notre chauffeur avec - sur la voie inverse, sur une file, deux files. Tout est immobilisé. Invectives, klaxons. Débrouille. Des véhicules en travers, à contre-courant, celui-là qui veut à toute force traverser l'ensemble du flot pour rentrer chez lui, de l'autre côté.  GO SLOW AGAIN  Dans la voiture, c'est à qui suggérera de se faufiler ici ou là. C'est vrai qu'il prend rarement les meilleures options, le chauffeur. Les autres semblent se mouvoir un peu, au moins. Les conseils fusent. Mon voisin donne de la voix. Le chauffeur, qui n'avait suivi aucun des conseils, explose. Et puis quoi ? Vous voulez m'apprendre mon métier ? Il défie la sourde hostilité qu'il sentait peser depuis longtemps. Quelques paroles hautes, des protestations, dans les deux sens. Mais sans durée. Nul n'y peut rien, et chacun retourne à sa patience, tandis que le jour diminue. La nuit est presque tombée quand nous arrivons au Taxi park. Plutôt que chercher aventure ailleurs, je demande au chauffeur s'il m'emmènerait jusqu'à Ikoyi. Il me propose un prix, qui me convient. Je remets mes bagages dans la malle. En chemin, peu de conversation. Pas un bavard, ce chauffeur. Je finis par lui poser la question qui me taquine. Après avoir tourné autour de notre voyage. Mais finalement, combien avez-vous laissé en chemin ? Sans me regarder. Oh ! autour de 800 N. Rapide calcul. La moitié d'un passager. Il a bien joué. Oui, parce que sinon, si on donne comme ça, chaque fois, au bout du compte, il ne reste plus rien. Le sourire est malicieux. Les autres passagers ne sont plus là, il peut répondre à leurs reproches. Il faudra plus de deux heures pour arriver à destination, au centre ville. MILE 2, LAGOS

24. Le lendemain, fin de matinée, le retour. Mon ami me propose de m'emmener au taxi park. C'est samedi, l'air est léger, un soleil voilé. Les trois enfants grimpent à l'arrière de la voiture. Il est en sandales, décontracté, le fonctionnaire en week-end. La ville défile, fascinante. Toujours. A mi-chemin, il me propose de m'emmener jusqu'à la frontière. Il n'a rien d'autre à faire, la matinée est belle, et on s'est si peu vus. Je lui avais bien sûr fait mon récit. Je commence par refuser. Politesse. Curiosité aussi, pour voir ce que ça allait donner dans l'autre sens. Il insiste. Et puis il n'est jamais allé jusque là-bas. Mais tu as des papiers au moins, les documents de la voiture ? Un geste vers la boîte à gants. Non, je les ai laissés à la maison. Tu vois, ce n'est pas la peine, laisse tomber. Comment ? il ferait beau voir qu'on me fasse des ennuis dans mon propre pays. La cause est entendue.

25. Ça ne m'allait qu'à moitié. Et s'ils étaient dans ce sens aussi teigneux qu'hier dans l'autre ? Sur quoi allait-on s'appuyer s'ils se mettaient à douter de ses dires ? On allait voir. Nous avions déjà dépassé le Taxi park. Le coup était parti. Je reconnaissais les sites de l'embouteillage de la veille. Nous étions sur la même chaussée, mais dans l'autre sens. Fluide. Des étals de marchands, des ateliers de métallurgistes, des carcasses de voitures. Nous parlions peu. Il devait être un peu inquiet lui aussi, comme je l'étais devenu. Et puis : Ah ! je vais quand même changer les plaques de la voiture. Le voilà qui s'arrête sur le côté, près d'un emplacement de bus. Je suis un peu interloqué. Oui, je m'en sers rarement, mais là il vaut mieux mettre les plaques officielles. Il ouvre la malle. Derrière mes bagages, qu'on avait chargés, je m'avais pas remarqué en effet les deux plaques d'immatriculation frappées FGN (Federal Government of Nigeria). En deux minutes, les attaches amovibles sont enlevées, la substitution faite, nous sommes repartis. Les premiers barrages arrivent. Il ralentit, s'écarte des véhicules devant qui commencent à s'arrêter. L'uniforme fronce les sourcils, observe, et fait un large geste pour nous laisser passer. Un seul arrêt réel. Du soleil. Pas de véhicule. La route était dégagée, une tige de bois posée en travers. Le policier s'avance, pose ses questions, avec déférence. Mon ami lui répond, puis engage une courte conversation presque condescendante. L'autre avait parlé de Noèl. Quand même. Sait-on jamais, s'il était tombé sur des huiles généreuses. Il eut son comptant de belles paroles. Sacrée élite. Elle glisse sur la vie avec cette assurance de ceux à qui tout est dû.

26. Bientôt, c'était déjà la frontière.

Le fanatique et les millions de modérés

Ma réaction à l'article du Monde en ligne du 10 septembre qui relevait que " les médias américains s’interrogent sur la pertinence d’avoir relayé aux quatre coins du globe les propos d’un fanatique, qui n’en est pas à ses premiers faits d’armes contre l’islam." Et si on balayait devant sa porte ?

S’interroger en effet sur l’écho donné aux élucubrations d’un obscur fanatique.


S’interroger sur ses motivations, son délire sectaire.

S’interroger aussi sur l’amplification donnée par des milieux musulmans, incapables (?) de mettre les choses en proportions, ou qui se situent dans une démarche délibérée de recherche d’affrontement, d’attisement des tensions.

S’interroger de ce fait sur l’absence quasi de réaction des Musulmans modérés, censés - ils sont légion, ils sont l’immense majorité - s'exprimer pour réclamer qu’on arrête là-dessus car c’est insignifiant et dérisoire.

S’interroger surtout sur Le Monde qui met cette affaire en Une, au premier plan, en se demandant hypocritement si les médias n’en font pas trop, MAIS qui n’a pas un titre sur le fait que Ramadan se termine, et que des millions de Français sont en fête.

Le Monde ne s’adresserait-il pas à cette partie de son lectorat qui a jeûné ? A ce qui est DE FAIT, et il faut en accepter les conséquences, la seconde communauté religieuse de notre pays.

RIEN là-dessus, pas d’article notable, ou en marge (oui, j’ai vu qu’une vidéo y est consacrée). Et étonnons-nous que nos compatriotes musulmans, et tous ceux qui vivent parmi nous, se sentent ignorés, dédaignés, méprisés.