La mort, hier, de Patrick Saint-Eloi, du groupe Kassav. Le clip vidéo sur Le Monde en ligne, SYE BWA à Kin en 1988, m’a submergé d’émotion. Des souvenirs, une anecdote.
Kassav, ça a été Lomé, d’abord. Le milieu des années 80. J’y emmenais les étudiants de français de Zaria, qui allaient faire un stage de plusieurs mois au Village du Bénin.
Kassav, ça a été Lomé, d’abord. Le milieu des années 80. J’y emmenais les étudiants de français de Zaria, qui allaient faire un stage de plusieurs mois au Village du Bénin.
Quelques jours de détente. Eyadema tyrannisait, mais la vie y était tranquille, animée, joyeuse en fait. Les boîtes bondées du côté de la frontière du Ghana, une simple cour de concession, l’ambiance, la joie, la sueur, les corps qui se défoulent, et une musique fabuleuse, que je découvrais : Kassav.
Jamais entendu parler en France avant ! Leur premier album – cassette en vente dans toutes les rues de Lomé, piratée bien entendu, pour rien de CFA, leur grand album, je dirais presque unique, avec « Syé Bwa » et « ZOUK LA SE SEL MEDICAMAN NOU NI ». Ces soirées ! Qui se terminaient le long de la plage, la brise dans les palmes, la fraîcheur du sable, pour regagner le petit hôtel propret que j’avais dégoté pas loin.
J’avais ramené la cassette à Zaria, où elle s’est mise à tourner en boucle. Famille conquise, amis séduits.
L’anecdote. Lomé toujours, trois ou quatrième voyage, j’arrive par le vol KLM de Kano, avec mon groupe d’étudiants. Le bus nous accueille et sur le trajet en traversant Bè je crois, une, deux, plusieurs affiches, Kassav en concert au stade. Ce soir même, dans deux heures ! Le temps de larguer les étudiants, de prendre la chambre habituelle, la tenue décontract qui sied.
Un taxi pour le stade – pas de zemidjan à cette époque encore.
Du monde alentour. J’observe : plusieurs tarifs. Comment ne pas prendre une des places les plus chères ? Attend-on autre chose d’un Blanc ?
Je pénètre par le tunnel sur le stade. Au centre de la pelouse, l’estrade, instruments, sono, loin là bas. Un groupe local anime en attendant. Rien de rare. Devant moi, sur la piste d’athlétisme, des rangées de chaises qui nous sont dévolues, à qui avons payé le prix. Clairsemées. Je prends place. Derrière, la tribune principale se remplit, mais pas autant que les quarts de virage, déjà loin, transformés en poulailler : de la vie, de l’agitation, des rires et clameurs qui fusent. Ceux-là même qui dansent les soirs à ciel ouvert, venus en se saignant voir leurs stars. Ca tarde.
Enfin, les locaux s’éclipsent dans l’indifférence générales, installation, balance, réglages, voilà les Kassav en scène.
Oui mais je les vois à une cinquantaine de mètres, leurs premiers accords pour chauffer l’atmosphère se perdent dans la touffeur. Glacial. Ils avancent péniblement dans leur premier morceau. On entend les spectateurs qui bougent et chantent, au loin. Fin de la chanson. Et là je ne sais plus qui, Devarieux j’imagine, prend la parole, salue tout le monde, et finit : « mais vous êtes trop loin là, ça va pas le faire, rapprochez vous ! ».
Un flottement de quelques secondes, et les premiers qui se mettent à enjamber les grillage, à déferler sur la piste puis la pelouse. Les militaires parsemés n’en croient pas leurs yeux, et se mettent à poursuivre, à taper où ils peuvent (car que faire d’autre sinon matraquer quand l’intempestif débarque ?). Assez mollement quand même – au jugé, car je n’étais pas sous les coups pour en témoigner – et ils cessent vite, dé-bor-dés ! En quelques minutes, les tribunes s’étaient vidées. Kassav avait déjà repris, cette fois ceints de la foule, en délire mais sage, ivre de zouk jusqu’à la fin du concert, loin dans la nuit.
J’étais resté sur ma chaise, ravi du spectacle. Je ne voyais plus rien. Ne restait plus qu’à s’asseoir sur le haut du dossier.
Quel goût de liberté avait Kassav ce jour-là ! Quel message ! Merci à vous.
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