mercredi 9 janvier 2013

Mariage pour tous : le débat

Mon article précédent a eu les honneurs de la première page du site LE PLUS, du Nouvel Observateur, et a suscité beaucoup de discussions, parfois animées. Je reprends ici certaines contributions, avec mes réponses.


DEBAT

GD a posté le 8-01-2013 à 10:27
M. Sallonges écrit " Est-il pire d'avoir des parents homosexuels que des parents alcooliques, en querelles perpétuelles, ultra possessifs, ou surprotecteurs...."
C'est le type même d'argument spécieux, car il présuppose que les parents homosexuels ne sont, quant à eux, jamais alcooliques, ne se querellent jamais, ne sont jamais ultra possessifs ou surprotecteurs !
 
Ne croyez vous pas que l'addiction à l'alcool peut concerner tous les parents quelle que soit leur orientation sexuelle ?Ou bien pensez-vous que les parents homosexuels ne se disputent jamais ?
Tout à fait d'accord avec vous, mais vous faites erreur de logique, tout cela peut se cumuler, Comme dans "Les deux orphelines", alcoolo, tubarde et paralytique. Il doit y avoir, parmi les homosexuels, à peu près la même proportion de connards que dans le reste de la population. 
Bref, des gens comme les autres. Alors justement pourquoi faire une différence, et les exclure de ce dont bénéficient les autres ?
J'ai presque l'impression que nous sommes d'accord !

GD a posté le 8-01-2013 à 17:11
NON. M. Sollonges, nous ne sommes pas d'accord. C'est vous qui faites une erreur de logique. Vous commencez par comparer des couples homosexuels avec des couples hétérosexuels " alcooliques, querelleurs, etc.."et donc présupposer que les couples homosexuels ne sont pas atteints par ces défauts, puis vous me dites ensuite que cela peut "se cumuler" ce dont je suis d'accord.
Mais alors pourquoi avez vous fondé votre argumentation sur une comparaison différentialiste entre les couples selon leur orientation sexuelle. ? Il faut choisir: vous ne pouvez pas dire une chose et son contraire !!!!
Où avez-vous vu comparaison ? On me dit : parents homosexuels = facteur de risque pour le développement d'un enfant (ce qui reste à prouver). Admettons. Je dis : il y a d'autres facteurs de risque - et j'en énumère quelques uns - qui existent au sein de couples hétérosexuels (ce qui ne veut pas dire qu'ils en ont l'exclusivité). Facteurs de risque qui peuvent ou non provoquer des effets négatifs. Facteurs de risque qui peuvent se cumuler. Comme dans ".Les deux orphelines", on peut être pauvre, tuberculeux et paralytique. 
Mais reprenons le raisonnement pas à pas. Le risque 1 (homo) est il absolument plus important que les autres ? 
Il n'y a pas de comparaison : je suis persuadé que les couples sont très similaires, justement. Pour le meilleur et pour le pire. Kif kif, pas de différence.

EBr a posté le 8-01-2013 à 01:24
Pour vous la faire plus court, sur le plan juridique, le texte est encore moins boucle que celui sur les 75%. Quand on a affaire a des amateurs, ils le sont dans tous les domaines. En ne participant pas a la demande de révision de ce projet le 13, vous vous en ferez le complice.
C'est une manif de juristes ?

EB a posté le 8-01-2013 à 14:29
sympa la censure, mais j'imagine que vous avez eu le temps de lire, vous avez des réponses ? Ou vous êtes comme les autres, le contenu du texte vous indiffère ?
Censure? où ça ? Ironie, peut-être, mais pas bien méchante. 
Car enfin, mobilise-t-on les masses pour un contenu de texte mal rédigé ?
Accordez-moi cela : la vraie raison est ailleurs. Mais on la dissimule sous des justifications autres, comme autant de faux-nez. Juridique chez vous. Le manque de maman chez un autre (touchant, au demeurant). Le risque de se faire moquer dans la cour de récréation (je l'ai entendu). Le sort des enfants (je ne le prends pas à la légère, cela mérite longs développements, pas la place).
Les réactions sont hyperboliques : les bases de la famille sont mises en péril, la mariage est menacé ! Un tel excès est un symptôme que du vif est touché, mais lequel ?
Une anecdote : dans l'Afrique du Sud de l'apartheid, la cliente d'un hôtel s'était offusquée qu'une serveuse - noire - ayant échappé un plateau avait plongé ses bras dans la piscine pour l'y récupérer, et exigeait que l'eau soit entièrement renouvelée.
Que l'Autre s'y soit mouillé souillait l'ensemble.
Comparaison ne vaut pas raison, mais j'y vois un lien. Comme si les tenants d'un mariage traditionnel, qui l'investissent ( et c'est leur droit le plus absolu) de hautes valeurs, voyaient leur propre mariage - soit eux-mêmes - souillé du fait que des gens dont ils réprouvent le comportement puissent y avoir accès aussi. Un sanctuaire tomberait. Malédiction.
NB : il ne s'agit que du contrat civil nommé mariage (peut-être l'identité de vocabulaire induit-elle cette crispation).

YK a posté le 8-01-2013 à 12:50
L'affectivité ne concerne pas la loi dites vous. OK, alors pourquoi les gens se marient ?
Pas pour faire des enfants, on n'a pas besoin de se marier pour ça.
Pour les avantages sur les impots ? Il y a des solutions plus efficaces de faire baisser son taux d'imposition.
Que reste-t-il ?
Etes vous marié d'ailleurs ? Si oui, pourquoi ?
@Yuri Ko : Votre contribution me touche, justement parce que c'est au coeur de ce qui me semble fausser le débat. Dans la vie, le niveau juridique et le niveau intime ne se confondent pas. Quand on achète ou possède une maison, qu'on y soit viscéralement attaché ou que ce soit par pure spéculation ou recherche de revenu, cela ne change rien à l'affaire au regard de la loi. Mêmes droits, mêmes obligations.
Dans le cas du mariage, pour son aspect civil, j'entends, il n'y a pas d'exigence d'amour.
On peut d'ailleurs s'aimer, vivre ensemble, et ne pas se marier. Notre président l'a longtemps fait, et poursuit.
Le mariage (civil) donne un statut au couple, Le fait d'être marié ou non change le positionnement des individus dans le corps social, de façon concrète et pratique. Cela a des implications vis à vis du groupe - qu'il convient de réguler par la loi.
Ce que les individus peuvent y mettre d'affectif, d'intime, relève de la personne, Ca les regarde, et relève de leur liberté. L'autorité publique, si elle est laïque et républicaine, n'a pas à s'en mêler.
Il en va très différemment du mariage religieux qui lui est- justement - religieux, qui vise à donner un caractère sacré à l'union, etc. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. On pourrait en causer longuement.
Vos dernières questions ?
Marié ? oui, ça fera 40 ans cette année, tout va bien merci. Et alors ?
Pourquoi ? Cela relève justement du personnel, que je n'ai pas à étaler, non par dissimulation, mais par civilité (j’ai hésité sur ce terme, ayant écarté discrétion, pudeur, décence). Mai son peut en parler, si vous le souhaitez, sur mon blog – lien à la fin de l’article.
YK a posté le 9-01-2013 à 13:36
Si la loi se fiche de connaitre les élans intimes des gens lorsqu'ils se marient, pourquoi exigent-elles la fidélité entre les époux alors ? De quoi se mêlent-elle ?
Vous vous rendez compte qu'à travers votre discours la seule chose qui ressort c'est que vous présupposez qu'un couple homosexuel n'est pas capable de remplir les mêmes devoirs qu'un couple hétérosexuel ?
Du point de vue d'un homosexuel, c'est ça l'homophobie, considérer qu'il n'a pas les capacités et/ou l'intelligence de se comporter de la même façon qu'un hétérosexuel.
Je sais vous n'êtes pas homophobe ! Mais vous tenez un discours qui fondamentalement, parce qu'il infériorise les homos, est homophobe.
Au fait ma dernière question était purement rhétorique, je ne pensais pas que vous me répondriez, et je comprends tout à fait votre refus de répondre.
Je vous réponds encore une fois, au risque de vous surprendre.
Pourquoi est-il question de fidélité dans ce que dit le maire? Je me le demande en effet, et pense que c’est une survivance. Cela me semble inutile, au moins depuis  la reconnaissance possible des enfants hors mariage. L’histoire du mariage, les enjeux de pouvoir  entre l’Etat et l’Eglise, en diraient long.
Ce qui n’empêche pas que la fidélité puisse être une valeur, grande même, mais qui relève du privé, de la sphère personnelle, sauf si un des époux voit dans la rupture d’un tel engagement une raison valable pour demander le divorce – raison qui peut être reconnue, au même titre que la violence ou autre. L’exemple me semble typique de notre propos.
En revanche j e ne comprends pas la suite de votre propos. Ciel ! qu’avez-vous pu voir «  à travers (mon) discours » ? Où présupposerai-je alors que depuis hier dans ce débat, depuis avant sur mon blog, je défends l’idée que je ne vois justement aucune différence entre les couples homos et hétéros, kif kif, pareil, disais-je. Pour le meilleur et pour le pire.
Qu’avez-vous cru voir? Sur la fidélité ? a priori pas de différence. Elle est, dirait Descartes, également partagée. Un peu, beaucoup, passionnément … quels que soient les couples, hétéros ou homos, non ?
Alors vous parlez du point de vue de l’homosexuel : il n’y a pas là victimisation, hypersensibilité ? Cela peut se comprendre, mai s justement, il est temps de venir à la sérénité.

MD a posté le 8-01-2013 à 18:53
Vous avez une vision très fermé du problème. Le projet de loi ne vise pas à ouvrir,... Vous dîtes ! Mais vous oubliez que le mariage est une institution qui régit toute l'organisation de notre société et des filiations. Que cette institution est fondée sur les principes naturels que même un enfant comprend, à savoir qu'il faut un homme et une femme pour fonder une famille et concevoir des enfants. C'est comme ça et on n'y peut rien, enfin tant que dame nature en a décidé ainsi.
Que 2 hommes ou 2 femmes décident de vivre ensemble, pas de problème ! Pour cela il existe le PACS (certainement à améliorer : conjoint survivant). Mais pour ce qui est de l'adoption, la PMA voire la GPA, et toutes les dérives qui en découleront (l'eugénisme par exemple), cela paraît extrêmement dangereux voire totalement suicidaire pour notre civilisation et l'histoire en est témoin.
Autre chose, la PMA n'est pas un droit pour les couples hétéros, tel qu'on veut bien le laisser croire ! La PMA est la dernière étape d'un parcours médical long et éprouvant. Et la PMA utilisera le "matériel" des couples en priorité. D'ailleurs, beaucoup de couples hétéros et lorsque les tentatives de PMA échouent avec leur "matériel", renoncent à faire appel à des dons.
Enfin, heureusement pour nous tous, que tout le monde ne pense pas comme vous, et que beaucoup de gens ont encore les pieds sur terre...
http://www.clicsondages.fr/2013/01/mariage-pour-tous-etes-vous-pour-ou-contre
"il faut un homme et une femme pour fonder une famille et concevoir des enfants". 
Sur la seconde partie de la phrase, je n'en disconviens pas, et je parle d'expérience.
Mais questions. Lorsque les enfants élevés par un couple n'ont pas été conçus par ce couple, est-ce une famille ? Lorsque les enfants ont été conçus par un seul des membres du couple, avec une autre personne, connue ou inconnue, est-ce une famille ? 
Vous répondrez, comme tout le monde aujourd'hui : OUI .
Alors pourquoi refuser à tels couples ce qu'on reconnaît à d'autres, au prétexte que leur composition est différente ?
Et puis rappelons-nous la réponse de César à Marius qui demande "mais alors qui c'est le père ?", lorsqu'il vient réclamer l'enfant qu'il a fait à Fanny : "Le père, c'est celui qui aime". (Cela vaut aussi pour la mère, bien entendu).
Pour ce qui est de PMA, GPA ou autre, ce que vous en dites, bien entendu, prête à réfléchir, et vaut pur les homos comme pour les hétérosexuels. J'aimais bien la position qui consistait à renvoyer ces prises de décisions à une grande loi à venir prochainement, et largement nécessaire, sur la famille et la filiation, qui concernerait au même titre tout un chacun..
Pour le moment, avec le mariage pour tous, l'idée est seulement : mêmes droits et devoirs pour tous les couples, quelle que soit leur composition. Simple.

DED a posté le 8-01-2013 à 17:18
Le problème Pierre + c'est que le mariage a changé ! Que vous ne vouliez ni le concevoir, ni le voir pose un sérieux problème quant à votre entendement et à votre capacité à aborder la réalité ! Bref rappel historique : 1804, maintien de la sécularisation du mariage civil dans le code civil ; 1884 : divorce pour faute avec une très forte résistance de l'Eglise ; 1912 : instauration de l'action en reconnaissance de paternité; 1966 : suppression du régime matrimonial de la dot ; 1970 : fin de la puissance paternelle au profit de l'autorité parentale ; 1975 : divorce par consentement mutuel ; de 1978 à 1993 : différentes lois sont votées et instaurent une égalité des droits et des devoirs entre époux et vis-à-vis des enfants ; 2005 : suppression de toute différence juridique dans les modes d'établissement des filiations avec la suppression des termes "légitime" et "naturel"). Le mariage civil est cadre juridique qui évolue avec son temps. Et il est temps que cessent les dernières discriminations à l'encontre des homosexuels !!! Le cœur du mariage ce n'est plus la présomption de paternité, c'est le couple ! Aujourd'hui se marier c'est faire couple ! Ouvrir le mariage aux couples de même sexe c'est permettre l'égale dignité de tous les couples !
Remise en perspective que je ne pouvais qu’approuver.

VD a posté le 9-01-2013 à 01:08
On dénonce "ces méchants hétéros qui veulent pourrir la vie des homos, mais pourquoi, ils ne sont pas touchés" Eh bien si ! le déni, cela suffit ! 

les homos veulent une reconnaissance et des droits civils du mariage, c'est compréhensible.

union homosexuelle et sécurisation des enfants DEJA en famille homosexuelle ne posent pas vraiment de problème, qui propose de les enlever à leur mère ou père ?

MAIS les millions de couples mariés, pour qui le mariage a un sens précis (pas un CDD, exclusif, et avec complémentarité des sexes) existent et ont le droit AUSSI de ne pas être déreconnus et de ne pas voir le sens de leur union dénaturée. 
de même l'adoption EXTERNE (dont la pénurie d'adoptables en limitera les effets), comme la PMA/GPA priverait DELIBEREMENT des enfants de père ou mère - leur condamnation morale est absolue

on est symbole/principe contre symbole, pourquoi plus de 20 millions de couples devraient renoncer au symbole de la complémentarité des sexes et à priver des enfants de père et de mère ? ils sont aussi légitimes qu'une poignée de communautaristes tenants de la théorie des genres 

vous pouvez être en désaccord, mais nier LEURS convictions vous aveugle A force de les nier, vous n'arrivez même pas à concevoir qu'ils se lévent vent debout contre CE projet. l'UMP, pour qui je n'ai pas voté, n'y est pour rien !

quant à l'équivalence :
mariage =

- affirmation symbolique de l'unicité de l'humanité, complémentaire
- couple prolongeable par ses enfants, sans intervention externe (hors maladie)
- présence des deux sexes dans le couple parental, permettant l'identification

union homosexuelle =
- rejet symbolique de l'autre sexe (la moitié de l'humanité), organique, on est "entre soi"
- enfants ontologiquement impossibles, il faut l'intervention de tiers , et non une assistance médicale (l'homosexualité n'est pas une maladie que je sache)
- couple carencé, peut être aimant aussi, mais carencé et potentiellement perturbant (expliquer à un petit garçon que non, "ses mamans" ne supportent pas les hommes, mais lui c'est pas pareil, ou à une petite fille que même si la norme parentale, c'est deux femmes ensemble- l'exemple est plus prégnant qu'un discours ... bref)

tout ceci est bien entendu schématique (1500 mots), je n'entends dénier de valeur humaine à personne , mais au delà de tout jugement de valeur 
- les réalités sont DIFFERENTES, et méritent un traitement différent
- l'intérêt de l'enfant devrait primer
- et quelques milliers d'homosexuels peuvent légitimement réclamer la reconnaissance pour eux mais non la dénier à des millions de couples mariés


@Vieux Dino
Je vous remercie sincèrement beaucoup de vos contributions, tant elles me semblent jeter un éclairage sur le débat.
J’écrivais hier, en réponse à un interlocuteur : « Un tel excès est un symptôme que du vif est touché, mais lequel ? ». Vous situez assez précisément, je crois, le lieu de la blessure.
Vous ressentez le fait que des couples homos se voient mariés comme dénaturant le sens de votre propre union. Car pour vous (et c’est votre droit absolu) le mariage est investi de valeurs, de symboles, qui touchent à votre identité même – et qui ne se retrouvent pas, bien au contraire à vos yeux, dans un couple homo.
Mais parle-t-on de la même chose ? Dans le mariage pour tous, le mot mariage désigne une union civile, un statut juridique impliquant droits et devoirs au sein de la société républicaine qui est la vôtre. Le contenu de sens, la profondeur de l’engagement pris, sa dimension spirituelle ne sont pas niés, ils ne relèvent tout simplement pas de la loi mais des convictions et des fois des individus – dont certains, nombreux, souhaitent voir leur engagement sanctifié dans un lieu de culte. Pas de problème à cela.
Mais vous m’accorderez aussi que d’autres, déjà, mettent dans le mariage depuis toujours d’autres visées et valeurs. Les mariages d’argent ne sont pas des phénomènes nouveaux, et je pense avec vous qu’ils sont aussi éloignés de vos valeurs et symboles que le mariage d’un couple gai. Moins ? Vous me direz.
Ce serait donc question de sémantique, de valeur accordée à un mot. J’ai chez moi un plat qui m’a été ramené du Maroc. Un ami musulman m’a fait remarquer un jour que l’inscription qui l’orne porte le nom d’Allah, et que je devrais donc pas m’en servir pour présenter de la nourriture, mais seulement d’ornement. Je l’ai attentivement écouté. Il sacralisait un objet, il mettait valeurs et symboles (c’est son droit, c’est sa foi) dans ce qui pour moi fait partie de la vaisselle. Je continue à me servir du plat, peut-être ne l’utiliserai-je pas le jour où il reviendra dîner. Ce n’est pas du renoncement, mais de la courtoisie.
Cette anecdote pour dire que le mot mariage recouvre des réalités bien différentes, parfois sacrées. On touche là à une autre question, fort d’actualité aussi. Dans une société de liberté laïque, ce qui est sacré pour certains ne l’est pas pour d’autres, et il faut trouver la bonne mesure pour le vivre ensemble – sachant que rien n’est sacré au regard de la loi qui ne connaît que le licite ou l’illicite. Le modus vivendi avec certains aspects de l’islam est au cœur du sujet.
Peut-être faut-il cependant change de mot, laisser à « mariage »sa dimension d’engagement spirituel (pas nécessairement religieux) et parler d’ « union » pour le contrat civil. C’est ce qu’implique la position que je développais dans mon blog (lien dans l’article). Mais le maire ne célébrerait plus AUCUN mariage, mais seulement des unions.
Peut-être, je veux bien l’admettre, le fait que certains milieux homos s’arcboutent sur le « mariage », au-delà de la revendication (que je crois légitime, et vous aussi dites-vous) d’égalité des droits et devoirs des couples, voire (pour moi) la reconnaissance de «  l’égale dignité de tous les couples » relève-t-il aussi d’une sursymbolisation plutôt irrationnelle, à lier certainement à un besoin de reconnaissance trop longtemps refusé – et qui peut donc s’exprimer sur des modes excessifs. C’est un vaste sujet, qui mérite amples débats. Là aussi ya du vif.
Au final, peut-être faudrait-il revenir à des considérations plus rationnelles, et ne pas s’enfermer sur des questions de mots. Le mariage pour tous ne nie pas la valeur et la symbolique que chacun peut accorder à cette vénérable institution qui a beaucoup évolué et évoluera encore.
Votre identité est respectable et restera intacte, à côté d’autres identités d’égale dignité.


lundi 7 janvier 2013

Mariage pour tous : pourquoi manifester ?


Cette affaire est quand même bien mal emmanchée (no pun intended). On s’enferre dans des débats sans fin. C’est pourtant simple.

Le mariage reconnaît à un couple un certain nombre de droits et de devoirs, en matière de patrimoine, en matière de filiation, que l’enfant soit conçu ou adopté. Avec la loi à venir, Il ne s’agit pas d’AUTORISER un couple dont les deux membres sont de même sexe à avoir ces droits et devoirs mais de CESSER DE LEUR REFUSER ces droits.

Pourquoi ce refus, par essence discriminatoire ? Des traditions parfois millénaires, des arguments théologiques ou moraux hautement respectables dans la logique de certaines fois qui doivent être respectées : voilà sur quoi on s'appuie. Mais la République n’a pas à en connaître, et refuser au nom de ces principes.

Rassurons largement, ça peut mériter la peine d’être dit : les hétérosexuels pourront continuer à se marier entre eux ! personne ne sera contraint à convoler avec une personne de son sexe ! Les instances religieuses ne seront pas obligées de célébrer de tels mariages ( à chaque religion son débat interne, qu’ils s’en débrouillent ! ). Much ado for nothing. Pronostiquons : cela ne concernera qu’un nombre limité de couples – l’expérience du PACS l’atteste. Pas de quoi bouleverser la société, où ces couples d’ailleurs sont déjà là, existent, de fait, mais fragilisés. Et élèvent déjà souvent des enfants, dont le sort est aussi fragilisé par le statut de leurs parents de fait.
REFUSER la reconnaissance du mariage à tous, c’est en fait, au fond des choses, vouloir imposer un modèle moral, condamner un mode de vie : ce n’est en dernière analyse que de l’homophobie.

Comme on s’en défend, on parle des dangers pour les enfants, dans la formation de leur personnalité et leur insertion sociale. Aucune étude sérieuse n’a montré, ni sur la durée en France, ni dans d’autres pays, qu’il y a péril à être élevé par des parents homosexuels. On n’en devient pas pédé ou gouine pour autant, semble-t-il aussi, s’il faut rassurer encore.
On dit qu’il faut, pour un développement harmonieux, avoir un père et une mère – au passage, il est stupide de supprimer ces termes. Concédons, admettons, dans un grand esprit d’ouverture, que c’est souvent un avantage au départ que de grandir au sein d’une famille aimante, présente, à l’aise, bref heureuse. Certes, mais sont-elles toutes comme ça, les familles ? Qui peut me jurer qu’il est pire d’avoir des parents homosexuels qu’alcooliques, en querelles perpétuelles, absents ou ultrapossessifs, humiliants ou surprotecteurs, que sais-je encore. Ca n’existe pas ? à moi Jules Renard, Mauriac, la littérature en est pleine. Alors, si vraiment handicap il y a pour l’enfant, il n’est a priori pas plus grave que bien d’autres causes de souffrances et de perturbations vécues entre un papa et une maman. L’argument du bien de l’enfant ne tient pas, ou alors vaut pour tout couple : qui prône un permis .d'élever ?

Alors pourquoi manifester ? Pour clamer qu’il faut persévérer à refuser des droits à des individus de notre société au prétexte qu’ils ont une conduite non illicite que l’on réprouve ? Pour se prêter à une instrumentalisation politique qui clive la société et rebat les cartes de la droite ? Je ne vois rien d’autre, ou alors dites-moi.

C’était ma petite contribution au mauvais débat actuel, ma position restant celle précédemment (voir rubrique Mariage).

samedi 5 janvier 2013

Tournier le sensuel

J'ai gardé des années le souvenir de ce texte lu à Zaria, au nord du Nigeria, dans la sélection hebdomadaire du Monde que nous recevions alors, ça fait donc bien longtemps. Souvenir vivace, tant les idées m'avaient frappé, souvenir diffus puisque j'avais oublié qu'il s'agissait d'un entretien, et que je le pensais plus récent que 1984, plus proche de notre retour en France trois ans plus tard. Depuis, je l'avais égaré et l'ai cherché dans tous les recueils d'essais de Tournier, dans les archives du Monde, sans succès. 
Occupation de mon dernier séjour parisien, aller passer une matinée Quai Voltaire, à la Documentation française. 
Pour vos étrennes - ça ressemble à "étreintes" -, l'hommage de ces pensées.

TOURNIER LE SENSUEL

Se qualifiant lui-même de « naturaliste mystique », l'écrivain Michel Tournier a une passion pour la matière, le geste, le contact physique. Il aime caresser le monde du regard, sentir la chaleur de la peau sous ses doigts, se gorger d'odeurs, se couler dans la moiteur de la terre. Ce sensualisme sulfureux inspire la plupart de ses romans, depuis Vendredi ou les Limbes du Pacifique à Gilles et Jeanne, en passant par le Roi des aulnes (prix Concourt 1970) ou les Météores.

- Dans notre Europe « civilisée », la réserve est érigée en vertu, et chacun cherche à imposer ses distances. En Afrique, au contraire, on est frappé par la diversité des contacts physiques qui règnent entre les hommes ou entre les femmes. A quoi attribuez-vous cette différence fondamentale ?
- La France est un pays divisé aux deux tiers : le Midi commence très loin ; les Français ne sont méridionaux qu'en petite partie. La majeure partie du pays est nordique, océanique, et la vague moralisante qui vient du froid déferle sur la France avec l'influence prédominante des Anglo-Saxons sur notre civilisation, c'est-à-dire depuis le début du XIXe siècle. C'est une morale qui prêche l'horreur du contact physique : on se tient à distance, chacun maintient son quant à soi. On constate d'ailleurs une chose curieuse : les révolutions scientifiques mordent très inégalement sur la vie quotidienne ; tout le monde sait que c'est la Terre qui tourne autour du Soleil, et pourtant cette vérité n'a pas influencé nos habitudes, car nous continuons à parler du lever ou du coucher du soleil. En revanche, à la fin du XIXe siècle, il y eut la révolution de Pasteur, et hélas, dès lors tout le monde a peur des microbes des autres.
- Ne croyez-vous pas cependant que la raison est plus profonde, qu'elle est plutôt psycho-religieuse ?
- Mais le microbe est un phénomène psycho-religieux ! Le microbe, c'est l'esprit du Mal qui pénètre chacun de nous, c'est pour cela que la révolution microbienne de Pasteur a eu un tel succès. Elle se situe exactement dans le droit fil de la peur, de l'esprit malin qui vient s'installer chez les gens. Au lieu d'exorciser les gens, on les désinfecte maintenant. On pourrait presque établir une carte de France - et même de l'Europe - des lits « couche-tout-seul », qui est encore une invention anglo-saxonne et qui gagne depuis le nord vers le sud.
- Ne serait-ce pas une invention protestante ?...
- Non seulement protestante, mais calviniste. On pourrait établir la frontière du lit à deux personnes. Tandis que l'Afrique est un continent où l'on ne dort jamais tout seul, on dort en grappes, on se tient chaud, on rêve ensemble. L'enfant africain ne perd jamais le contact physique avec sa mère, elle ne le quitte jamais, ne le laisse pas seul dans son berceau...
- La femme africaine porte depuis toujours son enfant sur elle, et il est intéressant de constater que maintenant, certaines femmes occidentales imitent cet exemple.
- Ce serait en effet une grande révolution, mais je crains qu'elle ne soit pas encore à la veille de se généraliser. Combien de fois voit-on en Afrique une petite fille maigrichonne de dix ans porter à cheval, sur sa hanche son petit frère qui est parfaitement capable de marcher, mais tous les deux préfèrent ce contact physique étroit. Or dans nos régions, ce contact est interdit ; on n'a pas le droit de se toucher. D'ailleurs, vous connaissez l'argot des curés : « se toucher » veut dire se masturber, ce qui est naturellement le comble de l'horreur et de l'abomination. Il n'y a pas de doute que nous vivons dans une « civilisation de l'image » : tout y est pour l'œil, et rien pour la main. Nous vivons dans un monde où l'on ne se touche plus, où l'on ne se sent même plus. Nous vivons dans la civilisation des « déodorants » !  Autrefois, en traversant les villages, chaque artisan vous envoyait son odeur : il y avait le cuir, il y avait le maréchal ferrant, le marchand de couleurs. Aujourd'hui, seul le boulanger sent encore quelque chose ! Nous vivons, hélas, dans une société sans odeur, sans saveur, sans contact physique, tout est pour le regard !
- Peut-être même pas, puisque lorsque l'on regarde longuement quelqu'un, il se méfie aussitôt ; car ici, dévisager signifie - d'office – « critiquer »; tandis qu'en Afrique, cela suscite plutôt de la sympathie, l'échange d'un sourire...
- En effet, on n'ose même pas regarder les gens. Moi qui suis très curieux, et par goût et par besoin professionnel, j'ai tendance à dévisager les gens en les examinant des pieds à la tête, et il m'arrive souvent de me faire fusiller du regard, voire apostropher. J'en arrive donc à avoir toujours une paire de lunettes de soleil pour pouvoir enfin regarder les gens tranquillement. A la base de tout cela, il y a un manque total de convivialité, de sociabilité, nous vivons dans une société où les gens se détestent.
- La raison fondamentale ne serait-elle pas due au principe sacro-saint de « l'individualisme » ? Ne me touchez pas, je ne vous touche pas, chacun pour soi...
- Exactement. Chacun pour soi et Dieu pour tous, ce qui n'est d'ailleurs même pas vrai. Vous savez que le précepte que Jésus a donné comme premier dans la religion chrétienne « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » devrait nous faire réfléchir : si l'on ne s'aime pas soi-même, il est absolument impossible d'aimer les autres, parce que l'on projette sur eux l'antipathie que l'on a pour soi-même.
- Les Français seraient-ils trop intelligents et donc trop  critiques pour « s'accepter » tels qu'ils sont ?
- Dieu merci, la France est un pays mitigé, et je me félicite de l'arrivée en masse des travailleurs immigrés, qui constitueront bientôt une minorité importante. Il y aura ainsi une autre échelle de valeurs dans les rapports avec les autres et envers soi-même. Afin de contrebalancer ce courant intense qui, depuis deux siècles, vient des pays anglo-saxons, pays de la méfiance, de l'antipathie de soi-même et des autres, et peut-être du monde entier.
On s'en plaint, il y a des frictions, on trouve qu'ils font trop de bruit, une cuisine trop odorante. Mais tant mieux si cela pouvait enfin remuer ces horribles petits-bourgeois frileux, resserrés sur eux-mêmes, qui ont peur des autres et se barricadent chez eux.
Mais, il y a un autre domaine que je voudrais évoquer, c'est la télévision. Vous y voyez, en gros, trois choses: les programmes, qui sont presque toujours nécrophiles, violents, dans l'esprit anglo-saxon dont nous venons de parler. Ensuite, vous avez les actualités : on y montre des gens qui meurent de faim, des corps squelettiques, pustuleux, et torturés. Et puis, vous avez un autre domaine, que j'adore, et je ne suis pas le seul, et c'est la publicité. Là, c'est le contraire : c'est un véritable éloge de la vie, du corps, de la beauté. C'est la seule fissure par laquelle passe un tout petit peu d'érotisme, chose absolument proscrite à la télévision, dont la morale est : faites la mort, ne faites pas l'amour ; tapez-vous sur la gueule, mais ne vous caressez pas.
- Pourquoi n'écrivez-vous pas un livre à l'éloge du contact physique, une sorte de manuel pour empêcher ce dessèchement ?
- Je ne fais que cela. Tous mes livres célèbrent le contact physique, et notamment ceux que j'ai écrits avec suffisamment de soin pour que les enfants puissent aussi les lire. L'un d'eux, Pierrot ou les Secrets de la nuit qui est mon meilleur livre, n'est qu'un hymne au contact physique. C'est une histoire entièrement charnelle, une histoire d'odeurs, de gustation. Je la considère à la fois comme traité d'ontologie, de morale, et une leçon d'amour.
- Que signifie, au juste, le « contact physique » pour vous ?
- Le contact physique, c'est la relation absolue. Souvent, lorsque l'on en parle, on imagine tout de suite l'acte sexuel, mais il y en a bien d'autres, beaucoup plus intimes. Il n'y a pas plus intime que le contact physique entre une mère et son petit enfant.
- Serait-ce la seule relation vraie ?
- Ce n'est pas la seule, mais c'est sûrement la plus vraie de toutes. J'ai écrit un livre sur les jumeaux, les Météores ; eh bien, il n'y a pas de contact physique plus étroit que celui qui existe entre eux puisque ce qui se passe à l'intérieur de l'un est aussitôt ressenti par l'autre : ils peuvent se passer de la parole.
- Si vous aviez vraiment trouvé le contact physique que vous cherchez tant auriez-vous pu vous passer de l'écriture ?
- C'est parfaitement possible. Il est certain que, grâce à l'écriture, j'ai avec tout un chacun un contact qui m'est infiniment précieux, mais qui n'est peut-être que l'ersatz d'un contact physique universel.
J'ai été invité récemment à distribuer aux enfants aveugles les premiers exemplaires de Vendredi ou la Vie sauvage en braille. Lorsque je leur ai fait la lecture à haute voix, une petite fille a toujours gardé sa main dans la mienne, et ce contact était bien plus important que tout ce que je pouvais lui dire.
GUITTA PESSIS PASTERNAK

Entretien paru dans Le Monde du 13 août 1984, page XIV.