Ce sera donc Macron. Pas par défaut, ni en désespoir de cause.
Ni même pour voter utile et faire barrage à la peste brune. Mais parce que c’est
le choix de gauche aujourd’hui.
Mes raisons.
Une vision du monde tel qu’il est, aujourd’hui.
Son analyse politique part d’un constat : le monde a
profondément changé, il faut s’y adapter au mieux.
Notre société vit encore sur les grandes fondations posées par
le CNR, en 1945, réajustées en 1968. Ce grand compromis historique (qui n’exclut
pas le conflit) a longtemps très bien fonctionné, adapté qu’il était au monde d’alors.
Désormais, il dysfonctionne, inadapté qu’il est au nouveau contexte.
Pire, il est souvent entré en négativité. Ce qui devait protéger
en vient à exclure et marginaliser. Une certaine pratique de l’égalité produit
de l’injustice et creuse les inégalités. Des multinationales tiennent la dragée
haute aux Etats. Les grandes questions ne se règlent plus au même niveau,
internationalement.
Pour ne pas sombrer à moyen terme, pour conserver un avenir dans
un environnement international très compétitif, il faut tout remettre à plat,
jeter les bases d’un nouveau contrat social qui – si la gauche le veut, si elle
s’en donne les moyens – préserve les valeurs auxquelles nous sommes attachés,
selon des modalités nouvelles.
Il faut mettre de la justice, de l’égalité des chances, de la
solidarité dans un système qui, alors qu’avant on cherchait la stabilité,
favorise la fluidité, le changement, la mobilité et l’adaptation.
C’est tout l’enjeu de cette phase du combat politique.
Des candidats à l’ancienne
A droite, Fillon fait le constat que le modèle social craque de
toutes parts, qu’il ne peut plus être financé, et propose de raboter, de
diminuer, de réduire les prestations, les avantages, mais dans le même cadre,
sans perspective autre que la potion amère. De la réaction pure.
A la gauche de la gauche, Mélanchamon restent aussi dans la
continuité. Ils défendent coûte que coûte l’état ante, qu’ils promettent de
préserver, de conserver tel quel. Comment ? Tout est bon, on emprunte, on
distribue, on « prend aux riches », on se coupe de l’extérieur. Postures,
rodomontades, coups de menton. En fait, ils se cantonnent dans l’ordre du
désir, et le déni du réel. C’est beau comme l’antique, mais ça va dans le mur.
Prenez gaarde ! Prenez gaarde ! Arrière-gaarde !!
Contradiction principale et contradiction secondaire
En fait, ce clivage anciens/modernes traverse toutes les
familles politiques.
Il traverse la droite et le centre dans des nuances entre fieffés
réactionnaires qui veulent tailler dans les avantages sociaux et les avancées
sociétales, et des novateurs qui veulent une adaptation aux nouvelles modalités
de production et d’échanges, mais avec un niveau de protection sociale minimum.
Le clivage est bien plus marqué à gauche, et remonte en fait à
1983, sur deux points : produire pour redistribuer (intégrer l’économie de
marché) et faire le choix de l’Europe (prendre en compte les limites de la
dimension nationale). Corollairement : exerce-t-on le pouvoir, pour
impulser des choix positifs, même limités ? ou se cantonne-t-on indéfiniment
dans la protestation en laissant les choses se faire ?
Le fait, depuis 1983, et surtout pendant ce quinquennat, de ne
pas avoir assumé ce clivage et tranché, aboutit à une situation absurde de
profonde et confuse division.
De fait, la contradiction essentielle droite/gauche, dans cette
phase politique particulière, et dans la perspective de l’exercice du pouvoir,
s’estompe derrière celle entre conservation/adaptation. On reste sur le
logiciel ancien (devenu hors-réel, dogmatique) ou on trouve les formes
politiques adaptées à une réalité nouvelle. Analyse concrète d’une situation
concrète, et non nostalgiques postures et ressassage de mythes glorieux.
Oripaux de discours qui cachent mal un conservatisme foncier et la pure résistance
au changement.
Une démarche de rassemblement
Dans un tel contexte, si on veut peser sur l’organisation
sociale en devenir, – et non la subir en bramant comme des veaux, ou assister
impuissants à son démantèlement anti-républicain – il faut exercer le pouvoir pour
définir la société de la mobilité solidaire, y participer de façon dominante
pour obtenir des solutions qui intègrent les valeurs de gauche. Et dans l’immédiat :
faire élire à la présidence un homme porté par un mouvement qui peut le
permettre.
Macron ratisse large ? Il faut pouvoir réunir une majorité,
et on ne le fait pas en excluant. Il faut pouvoir terminer en tête, ou second
au premier tour. Rassembler suffisamment pour détourner du FN et de ses
tentations nationalistes, anti-démocratiques, périlleuses, et pour battre une
droite réactionnaire économiquement comme socialement, adepte de la souffrance
imposée.
Y a-t-il du mal à recevoir des soutiens venant d’un large horizon
du paysage politique ? L’important sont les axes politiques sur lesquels
se font ces soutiens, et la fermeté avec laquelle ils sont maintenus et
affirmés.
Faut-il rappeler que justement le Conseil National de la
Résistance, qui a jeté les bases de notre société des 70 dernières années,
rassemblait des communistes aux démocrates chrétiens, en passant par les socialistes
et les gaullistes qui comptaient même parmi eux des individus d’extrème droite
qui avaient fait le choix de ne pas collaborer ?
Une démarche de rassemblement n’est pas forcément une horreur
pour quelqu’un de gauche, les exemples historiques sont là. Faut-il forcément
une guerre ou une révolution violente pour s’y résoudre ? Sommes-nous
incapables de négocier et d’opérer des changements structurels profonds – une « révolution »
dit Macron – sans contexte dramatique ? Peut-on donner sa chance à Turgot ?
Les enjeux politiques
Mais rassemblement ne veut pas dire « tout le monde il est
beau ». Car c’est dans le contexte d’une présidence Macron que se
décideront les rapports de force, et les orientations majeures des compromis.
Que reviendra, comme naturellement, le clivage droite/gauche, mais dans une
problématique nouvelle, refondatrice.
Aurait-on oublié ce qu’est la politique ? Serait-on à ce
point imprégné du monarchisme Vème république pour penser que le Président est
tout ? Faisons lui crédit d’une sensibilité personnelle de gauche, et il
vaut mieux que ce soit celle-là qui soit à l’Elysée qu’une autre. Mais quand
bien même, et pour ceux qui seraient méfiants, voire qui penseraient le
contraire : ce qui va compter, c’est la suite. Quels seront les équilibres
de la prochaine majorité présidentielle (si, comme il faut le souhaiter, il y
en a une). Comment s’établiront les équilibres ? de quels poids les forces en
présence ? Les législatives vont être au moins aussi importantes que la
présidentielle. Il est impératif – à mes yeux - que la gauche soit présente et
forte, qu’elle puisse peser, non pas à reculons et par obstruction, comme une
bonne partie l’a fait ces 5 dernières années, mais de façon innovante, portant
des solutions pétries de ses valeurs. Il faut peser sur le centre de gravité du
rassemblement derrière Macron.
En Marche !
Etre de gauche aujourd’hui, surtout pour ceux qui ont été
acteurs des années 70 et 80, c’est regarder la réalité du monde et l’analyser tel
qu’il est : tout a changé, et les certitudes, les recettes, les perceptions,
les a priori doivent être remis à plat, revus, adaptés au nouveau.
Le déni, qui fonde l’approche dogmatique de toute une gauche « radicale »,
faite de postures, d’a priori jamais questionnés, de fantasmes glorieux et
mythologiques, d’anathèmes, de diabolisations, que ce soit sous forme
tribunitienne grandiose ou gentiment illusionniste chez Mélanchamon, ne mène à
rien. Elle isole une bonne partie des forces de gauche, les jette dans une impasse, alors que,
lucides, elles seraient bigrement nécessaires pour contribuer à définir et négocier
le contrat social français du XXIème siècle.