lundi 25 avril 2022

REPARTIR A GAUCHE 3 : les valeurs, pas la doxa

PREALABLE A UN REDEPART FECOND

 Qu’il faille reconstruire un mouvement politique à gauche, sur les ruines de l’existant, rassemblant toutes les sensibilités, une fois dissipées les impasses, blocages et archaïsmes fussent-ils somptueux, sur une base républicaine, sociale, écologique et réaliste, est un truisme. Tout un chacun à gauche le proclame.

Mais peu semblent avoir pris la mesure de la refondation nécessaire, d’une remise à plat complète, fondée sur une analyse d’une réalité nouvelle qui a muté par rapport aux situations qui ont fait les représentations et les imaginaires de la gauche depuis un siècle.

Non pas faire table rase, mais revenir aux racines, aux fondamentaux. Marx ne dit pas autre chose : lors qu’il propose des solutions, c’est à partir de l’analyse faite de la situation – et qui ne valent que par rapport à cette situation. Qui, si elle change, exige remise à plat et élaboration d’autres solutions. Hors tout dogmatisme, en élaguant tout ce qui est devenu obsolète, fût-il glorieux et sujet à nostalgie, voire rassurant.

Remettre à plat, déconstruire de fausses certitudes, rebâtir un corpus théorique apte à permettre le changement, l’évolution des rapports de force, est un impératif, bien avant la réflexion sur la stratégie et les appareils politiques.

La doxa

J’entends par là ce dont, quand on se dit de gauche, quand on se sent de gauche, on a la tête pleine.

Ce sont les grands moments de notre histoire, les luttes passées, victorieuses et dramatiques, soulèvements, grandes grèves, avancées sociales majeures, 1789, la Commune, le Front Populaire, les braves soldats du 17ème, les martyrs de la Résistance, le CNR, 1968 aussi, et toutes les libérations qui ont suivi, qui sont en cours. De quoi nous exalter, et il y en a besoin. Se sentir héritier, et obligé.

Cela va avec des jugements, des appréciations, liées à la mise en acte des valeurs de gauche. Largement partagés, pas toujours identiques. Méfiance à l’égard des religions, qui peut aller jusqu’à l’anticléricalisme, du fait de l’histoire de notre République. Rejet du riche et culpabilisation de l’enrichissement, car associés à bon titre à l’exploitation et la misère. Hostilité au marché et désir de régulation politique. Héroïsation de la grève, et mépris du compromis, que l’on préfère se voir imposer qu’accepter. Rejet du licenciement, dans l’absolu. Peu de considération pour les contraintes économiques – l’argent est là, ça fera l’affaire. Valorisation de la stabilité, le changement étant menace, et dénoncé comme précarité. Etc. Pour ne mentionner que ce qui me vient sur l’instant à l’idée.

Ces jugements, devenus réflexes, ont leur histoire, et ainsi leur valeur. Mais, s’ils ont pu avoir leur justesse, ou leur efficacité, à une époque, ils peuvent se révéler contre-productifs lorsque la réalité a changé. Ils pèsent néanmoins sur les représentations, et les actions menées.

On en revient au poison du « c’est de gauche », abordé plus haut, qui fixe et entretient une doxa en retard d’une guerre. Et donc stérilisante pour une action victorieuse. Elle a même instruit des procès, coupé-court des tentatives de modernisation et de dépassement : Mendès n’a pu mettre en œuvre ses vues, Rocard a été ligoté, les Frondeurs ont largement contribué à faire tourner le quinquennat Hollande en eau de boudin.

Tout remettre à plat

Il faut donc, hardiment, faire l’inventaire de ces a priori et représentations, eussent-elles fait notre identité, notre univers mental et social. Les questionner. Les revisiter.

Non pas en tant que telles, mais APRES l’indispensable analyse approfondie de la réalité, dont le produit décidera des grandes orientations des luttes à mener, des stratégies à adopter, et du corpus idéologique adapté au contexte nouveau, où des éléments de la doxa ancienne pourront être repris, recyclés, revisités, adaptés, modifiés, ou renvoyés à l’Histoire.

Ce n’est donc pas table rase du passé, mais recréation en adéquation avec la réalité advenue, ou en voie de l’être.

J’ai la conviction que c’est faute d’avoir effectué ce travail depuis si longtemps, faute de s’être donné une théorie adéquate face à un monde qui a changé, que nos gauches, communiste et socialiste, se sont abîmées, dans le dogmatisme et le rabachage de leur doxa obsolète.

Résultat : le champ de ruines actuel, où prétend représenter la gauche un mouvement démagogue, attrape-tout mécontentement, purement protestataire, ce que la tradition de gauche, depuis la Révolution, a toujours combattu.

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