PREALABLE A UN REDEPART FECOND
Qu’il faille reconstruire un mouvement politique à gauche, sur les ruines de l’existant, rassemblant toutes les sensibilités, une fois dissipées les impasses, blocages et archaïsmes fussent-ils somptueux, sur une base républicaine, sociale, écologique et réaliste, est un truisme. Tout un chacun à gauche le proclame.
Mais peu semblent avoir pris
la mesure de la refondation nécessaire, d’une remise à plat complète, fondée sur une analyse d’une réalité
nouvelle qui a muté par rapport aux situations qui ont fait les représentations
et les imaginaires de la gauche depuis un siècle.
Non pas faire table rase,
mais revenir aux racines, aux
fondamentaux. Marx ne dit pas autre chose : lors qu’il propose des
solutions, c’est à partir de l’analyse faite de la situation – et qui ne valent
que par rapport à cette situation. Qui, si elle change, exige remise à plat et
élaboration d’autres solutions. Hors tout dogmatisme, en élaguant tout ce qui
est devenu obsolète, fût-il glorieux et sujet à nostalgie, voire rassurant.
Remettre à plat, déconstruire
de fausses certitudes, rebâtir un corpus théorique apte à permettre le
changement, l’évolution des rapports de force, est un impératif, bien avant la
réflexion sur la stratégie et les appareils politiques.
La doxa
J’entends par là ce dont,
quand on se dit de gauche, quand on se sent de gauche, on a la tête pleine.
Ce sont les grands moments de
notre histoire, les luttes passées, victorieuses et dramatiques, soulèvements,
grandes grèves, avancées sociales majeures, 1789, la Commune, le Front
Populaire, les braves soldats du 17ème, les martyrs de la
Résistance, le CNR, 1968 aussi, et toutes les libérations qui ont suivi, qui
sont en cours. De quoi nous exalter, et il y en a besoin. Se sentir héritier,
et obligé.
Cela va avec des jugements,
des appréciations, liées à la mise en acte des valeurs de gauche. Largement
partagés, pas toujours identiques. Méfiance à l’égard des religions, qui peut
aller jusqu’à l’anticléricalisme, du fait de l’histoire de notre République.
Rejet du riche et culpabilisation de l’enrichissement, car associés à bon titre
à l’exploitation et la misère. Hostilité au marché et désir de régulation
politique. Héroïsation de la grève, et mépris du compromis, que l’on préfère se
voir imposer qu’accepter. Rejet du licenciement, dans l’absolu. Peu de
considération pour les contraintes économiques – l’argent est là, ça fera
l’affaire. Valorisation de la stabilité, le changement étant menace, et dénoncé
comme précarité. Etc. Pour ne mentionner que ce qui me vient sur l’instant à
l’idée.
Ces jugements, devenus
réflexes, ont leur histoire, et ainsi leur valeur. Mais, s’ils ont pu avoir
leur justesse, ou leur efficacité, à une époque, ils peuvent se révéler
contre-productifs lorsque la réalité a changé. Ils pèsent néanmoins sur les
représentations, et les actions menées.
On en revient au poison du
« c’est de gauche », abordé plus haut, qui fixe et entretient une
doxa en retard d’une guerre. Et donc stérilisante pour une action victorieuse. Elle
a même instruit des procès, coupé-court des tentatives de modernisation et de dépassement :
Mendès n’a pu mettre en œuvre ses vues, Rocard a été ligoté, les Frondeurs ont largement
contribué à faire tourner le quinquennat Hollande en eau de boudin.
Tout remettre à plat
Il faut donc, hardiment,
faire l’inventaire de ces a priori et
représentations, eussent-elles fait notre identité, notre univers mental et
social. Les questionner. Les revisiter.
Non pas en tant que telles,
mais APRES l’indispensable analyse approfondie de la réalité, dont le produit
décidera des grandes orientations des luttes à mener, des stratégies à adopter,
et du corpus idéologique adapté au contexte nouveau, où des éléments de la doxa
ancienne pourront être repris, recyclés, revisités, adaptés, modifiés, ou renvoyés
à l’Histoire.
Ce n’est donc pas table rase du passé, mais recréation
en adéquation avec la réalité advenue, ou en voie de l’être.
J’ai la conviction que c’est
faute d’avoir effectué ce travail depuis si longtemps, faute de s’être donné
une théorie adéquate face à un monde qui a changé, que nos gauches, communiste
et socialiste, se sont abîmées, dans le dogmatisme et le rabachage de leur doxa
obsolète.
Résultat : le champ de ruines
actuel, où prétend représenter la gauche un mouvement démagogue, attrape-tout mécontentement,
purement protestataire, ce que la tradition de gauche, depuis la Révolution, a toujours
combattu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire