dimanche 31 mai 2015

Echange à propos de la réforme du collège

Ecrit le 20 mai à une amie remontée comme un coucou contre la réforme: 
Allez, un peu de provoc pour rigoler, maintenant que la messe est dite.
Mon expérience du grec au Lycée Cézanne – souvenirs vivaces. Au premier trimestre d’une année scolaire assez tendue, services chargés. Une collègue de lettres classiques, bien sous tous rapports, agrégée et tout, arpentait les couloirs à la recherche d’élèves de grec. Il ne lui en restait que deux, peut-être même en partance, la pauvre, et il lui en fallait au moins quelques autres pour justifier ses heures. Elle a dû trouver.
Car l’enjeu était là. Pas pour l’amour du grec (Venez que je vous embrasse !!) mais pour avoir un service complet et léger. Car sinon c’était une classe de plus en français, trois au lieu de deux, et ça change la vie pendant l’année (moi qui avec quelques manants de certifiés en avions quatre -ce qui est une horreur de corrections - apprécions la situation). Parlons franc. Derrière les cris d’orfraie sur les humanités s’écroulent, il y a aussi des considérations de niches confortables, et de coûts exorbitants, qui pour être triviaux doivent aussi être pris en compte avec des solutions idoines.
Je me souviens avoir évoqué la possibilité, pour ce peu d’élèves dont il fallait en effet satisfaire l’attente, de recours au CNED – un service public très performant, qui, additionné d’un peu de répétition, peut jouer parfaitement son office.
J’avais aussi horrifié en suggérant que par exemple on pouvait mettre ensemble les élèves de grec de plusieurs établissements aixois, et rendre ainsi plus acceptables des heures d’agrégé(e)s.
Geneviève avait même rappelée qu’elle-même, dans les années 60, élève alors d’un établissement on ne peut plus catho de jeunes filles, recevait alors, avec ses camarades de cours de grec, quelques garçons du lycée public  voisin (enfer et damnation !) pour faire un groupe « soutenable ». Les deux établissements avaient pu s’entendre sur cela, surprising isn’t it ? Mais je ne suis pas dupe, l’enjeu est bien ailleurs.
Encore une fois, à force de ne vouloir rien changer, de protéger des niches, de refuser des accommodements, de ne vouloir trouver des solutions adaptées et satisfaisantes pour tous, on se prend une réforme en pleine poire, et ne reste qu’à pleurer. La prochaine viendra de la droite, on peut faire confiance, mais on trouvera normal d'être un peu décoiffé.
Alors la réforme du collège ? du petit braquet tout ça, beaucoup de bruit pour rien. On commencera à en parler le jour où, au collège comme au lycée d’ailleurs : 
1. Toutes les matières et tous les niveaux ne seront pas égaux par ailleurs, en termes de service
2. On instituera une mobilité obligatoire au bout d’un certain temps dans un poste, pour casser les situations de niche et les effets de queue – y compris avec des temps hors de l’enseignement
3. Les établissements jouiront d'une GRANDE autonomie, y compris en termes de recrutement, sur des projets pédagogiques (gouvernance à définir)
4. Les services seront définis en termes de tâches et pas seulement d’heures de cours (quelqu’un avait parlé de 35h, pas si con, si c'est bien négocié)
5. Les vacances scolaires seront pour les élèves, les profs quant à eux, fonctionnaires, bénéficiant du statut de la fonction publique et de 35 jours ouvrables, ou quelque chose comme ça
6. On utilisera pleinement les ressources de l’informatique et des logiciels interactifs pour transmettre des connaissances, concentrant le face à face pédagogique sur l’acquisition des savoir-faire, les travaux pratiques, l’encadrement rapproché des élèves en difficulté – ainsi que le coaching des meilleurs – ce qui ferait éclater la notion de classe, et la notion d’année scolaire, au passage, pour une pratique bien plus large de groupes de niveaux et d’évaluation des compétences.
7. On va en trouver d’autres, j'en ai encore sous le coude.
J’avais dit provoc ? Finalement, c’est assez sérieux tout ça ! Et de gauche, en plus.
A disposition pour argumenter chaque point.

Et peu de jours après ( à lire in extenso sur/leblogdelapresidente)
En forme de réponse, lettre ouverte à un ami pédago
« Phosphorons maintenant ! On pense mieux à plusieurs que tout seul ! », ainsi concluais-je mon précédent article consacré à la réforme du collège.
Mon excellent ami Joël B., joyeux compagnon, fin gastronome, gentil garçon, « pédago » devant l’Eternel (comme quoi ni lui ni moi ne sommes sectaires…) , au demeurant le meilleur fils du monde, a rédigé en commentaire une série de propositions à ce point dignes d’intérêt que j’entreprends de lui répondre ici publiquement et « en grand ».
Pour ceux qui auraient la flemme d’entreprendre une petite marche arrière pour retrouver l’exact intitulé de son propos, je le reproduis in extenso (à une nuance près, sur laquelle je m’expliquerai dans le corps de ma réponse en forme de lettre ouverte.)
N.B. J’ai d’ores et déjà supprimé, sur ce sujet, des commentaires grossiers, et j’en censurerai d’autres s’il le faut, sans états d’âme. Essayons de répondre à Joël de manière constructive et courtoise, sans céder à la facilité de déverser des insanités sur un discours dont l’aspect provocateur, effectivement, peut ressusciter en nous d’ataviques instincts belliqueux pour ne pas dire de dommageables réflexes d’entartage.
LE PROPOS DE JOËL, DONC - cité ici
Reprenons donc à présent point par point
« Allez, un peu de provoc pour rigoler, maintenant que la messe est dite.
Cher Joël, rien ne garantit que « la messe (soit) dite », tout d’abord. Je crois que tu as mal évalué le degré de mécontentement des collègues – et des parents d’élèves, comme le montrent les récents déboires du cher Raoult de la FCPE ; je ne pense pas que les professeurs de collèges (et ceux des lycées, qui les soutiennent) se laisseront imposer sans réagir une réforme qui va à l’encontre de leurs convictions les plus profondes.
Et pour ce qui est de « rigoler », je crois qu’on attendra une autre occasion…
Quant à cette manière expéditive et ingénument brutale de t’exprimer, « la messe est dite », avec ses inflexions manuelvallsesques, elle relève sans doute du dernier chic socialo dans la manière de gérer le dialogue avec les personnels. Mais comme captatio benevolentiae, tu avoueras que ce n’est pas top.
Certes, tu ne cherches pas la bienveillance, puisque tu reconnais toi-même faire « un peu (sic) de provoc ». Tu ne seras donc pas étonné du ton parfois un peu raide sur lequel, en toute amitié, je vais te répondre.
Mon expérience du grec au Lycée *** – souvenirs vivaces. (...) doivent aussi être pris en compte avec des solutions idoines.
Compte tenu de la manière peu amène et pour tout dire indélicate dont tu parles de la collègue de lettres classiques, la désignant quasiment à la vindicte publique en sous-entendant que c’est ni plus ni moins qu’une grosse fainéantasse (encore le vrai chic socialo, j’imagine, mais ça devient un peu lourd, même en tenant compte du registre polémique), tu comprendras volontiers que j’aie anonymé le nom du lycée.
Puisqu’il faut « parl(er) franc », comme tu dis, dans ce même lycée et à propos de « niches confortables », j’ai connu pire en termes de situation : par exemple des gens qui partaient en cours d’année sous le ciel enchanté des bureaux rectoraux loin bien loin des élèves, en laissant en guise d’adieu à leur remplaçant quelques dizaines de dissertations, justement, à corriger.
Bref, le type de sous-entendu auquel tu procèdes, provoc ou pas provoc, est juste
dégueu insultant pour la personne à laquelle tu fais allusion. Prétendre que les professeurs de grec s’accrochent à leur option pour ne pas travailler, c’est aller trop loin, c’est inadmissible, je te le dis gentiment mais fermement.
Je me souviens avoir évoqué la possibilité (...) Les deux établissements avaient pu s’entendre sur cela, surprising isn’t it ?
La solution du regroupement des heures de grec sur un seul lycée, ou même de la constitution d’un seul « pôle lettres classiques » par ville ne date effectivement pas d’hier. J’ai moi-même expérimenté, en classe de 1ere (1968-1969), ce type de configuration, puisqu’une demi-douzaine de jeunes filles hellénistes (c’était avant la mixité) avaient eu la joie, la chance et l’inestimable avantage d’aller traduire Homère et Euripide au lycée de garçons – tous ces beaux jeunes gens à nos pieds, et le prof de lett. class. aux petits soins, aaaah, c’était un vrai bonheur (soupir nostalgique).
Tout ceci marchait très bien, pédagogiquement parlant, et ne posait aucun problème il y a quarante-cinq ans, dans un contexte où les établissements n’étaient pas encore mis en concurrence. Depuis, on a connu les palmarès du meilleur lycée (dans divers magazines), le classement IPES, l’affichage triomphant des résultats du bac, la danse des sept voiles pour recruter, et j’en passe.
Concurrence entre public et privé, bien sûr (j’ai vécu vingt et un ans en Vendée, je connais…), mais aussi entre public et public. Dans ce sens, perdre une option de grec, pour un établissement, c’est toujours grave -- comme perdre l’allemand, le russe, l’option musique ou toute option rare, un BTS, une prépa, bref, tout ce qui peut constituer un « plus » pour la boîte non seulement en termes de résultats (il ne s’agit pas forcément de « bons » élèves) mais d’image et de faire-savoir, puisque, hélas, c’est à présent ainsi que l’on nous impose de raisonner.
Quant à interdire de classer les lycées, inutile de rêver : la tendance générale vers l’autonomisation (j’y reviendrai, d’autant que tu la prônes) ne va pas dans ce sens, bien au contraire.
Mais je ne suis pas dupe, l’enjeu est bien ailleurs.
Encore une fois, à force de ne vouloir rien changer, de protéger des niches, de refuser des accommodements, de trouver des solutions adaptées et satisfaisantes pour tous, on se prend une réforme en pleine poire, et ne reste qu’à pleurer. La prochaine viendra de la droite, on peut faire confiance, mais on trouvera normal d'être un peu décoiffé.
Parce qu’on ne l’est pas, « décoiffé » ? Tondu, oui, et même scalpé !
Etre malmené par la droite, ça a l’apparence de la logique. La droite ne peut plus nous décevoir. Par la « gauche » (enfin, cette gauche-là), on a beau avoir l’habitude depuis Allègre, ça fait toujours quelque chose : nous nous sommes tant aimés, on avait tellement envie de faire confiance, même après avoir été cocufiés tant de fois. On se disait : « Ils vont bien comprendre, quand même, ils vont bien finir par nous écouter »… Ben non. Toujours persuadés de détenir la vérité, contre le cours même du réel.
Oui, l’UMP revenue au pouvoir fera sans doute pire, aucune illusion là-dessus – ou plutôt elle parachèvera le sale boulot que le PS a commencé. L’ultra-libéral Madelin est à fond pour la réforme du collège : ça ne te trouble pas ?
Mais revenons au reste de tes propositions.
Alors la réforme du collège ? (...) A disposition pour argumenter chaque point. »
Tout ceci est peut-être « de gauche », Joël, mais d’une gauche qui n’est pas la mienne et pour laquelle, je l’écris solennellement en pesant chacun de mes mots, je ne voterai plus JAMAIS : déréguler, déréglementer, déconcentrer, autonomiser, tout cela présenté, bien sûr, comme un « plus » pour les professeurs, les élèves et les établissements, c’est instaurer le règne de la concurrence perpétuelle, non seulement entre les collèges et les lycées (ça existe déjà, nihil novi), mais à l’intérieur de l’établissement, entre collègues, entre équipes, entre projets. Non merci.
Ce que tu proposes, de facto, c’est la fin du cadre national, des programmes, des examens nationaux, et tout le pouvoir aux féodalités locales, aux groupes de pression économiques ou idéologiques, aux petits et grands chefs, aux géniaux concepteurs de projets innovants avec beaucoup de mousse, au meilleur VRP susceptible de vendre ses salades, au plus habile danseur de claquettes, au plus fin joueur de pipeau, aux coordonnateurs de discipline promus mini-inspecteurs de leurs collègues, au conseil pédagogique érigé en instance de flicage. Caporalisation accrue du métier. Non merci.
Ce que tu nommes poétiquement « gouvernance à définir », ce sont les méthodes du privé. Non merci.
La seule autonomie qui vaille d’être valorisée, c’est (à l’intérieur de programmes et d’horaires nationaux précisément définis) la liberté pédagogique des professeurs : on enseigne comme on veut, on bidouille, on expérimente, avec ou sans informatique, avec ou sans tableau noir (ou blanc, interactif ou pas), avec livre ou avec tablette, comme en 1950 ou comme en 2050, on s’en fiche : l’essentiel est qu’à la fin de l’année les élèves aient appris et travaillé.
Curieusement, cette liberté pédagogique, cette confiance accordée aux professeurs, tu n’en parles pas, les socialistes n’en parlent pas – parce que ce qui les anime, c’est tout le contraire, un ressentiment outrancier, une espèce de haine rance, une suspicion permanente vis-à-vis des enseignants, à qui l’on impose faute de les convaincre, et qu’il faut, comme le montre le passage en force sur la réforme, absolument mater pour que « la messe (soit) dite ».
Qu’on ne compte pas sur nous pour dire DEO GRATIAS
Joël, mon cher Joël, tu es un ami, mais en ce qui concerne l’Ecole nos positions, je ne t’apprends rien, sont, à quelques points de détail près, complètement incompatibles. Je crains fort que dans les conflits qui s’annoncent nous ne nous trouvions une fois de plus, de part et d’autre de la barricade.
Ce qui ne nous empêchera pas de déguster ensemble l’excellent vin de mon fils, naturellement. Ce sera sans doute le seul élément de synthèse possible entre nous dans ce débat…

MA SECONDE REPONSE, en deux temps : 

Du débat ! enfin, et en franche camaraderie. Ou je ne retiendrai que cela de ta longue réponse, laissant de côté l’ad hominem car bas, digne d’être traité entre soi, tant l’histoire s’écrit de plusieurs façons. Restons-en à l’essentiel, qui seul intéresse.

A propos du service de grec : tu l’appréhendes de façon personnelle. Tu m’as mal lu, et à sa place, j’aurais agi de même. J’y vois seulement des effets de systèmes, et c’est ceux-là que je dénonce. Le reste serait insignifiant. Double logique systémique, d’ailleurs.


D’abord celle, de plus en plus absurde, du parcours de carrière du prof qui, voué à l’enfer au début, survit de l’espoir qu’il gagnera son purgatoire un jour, voire son paradis à terme – qu’il s’agira alors de ne plus lâcher. C’est toute la logique du « mouvement ». Ce sont toutes les dynamiques informelles aussi au sein des établissements où aux plus anciens vont les meilleures places/classes, les options roboratives ou plus satisfaisantes (intérêt, effectifs, charge de travail, …). Les queues s’installent, et quiconque a progressé ne peut laisser sa place car il se retrouverait derrière, tout ou presque à recommencer. Ce que j’ai appelé un système de niches. 

La conséquence : des situations enkystées, l’impossible rencontre des élèves les plus nécessiteux d’attention avec les profs les plus qualifiés et expérimentés, l’arc-boutage sur les acquis, statutaires, de situation et autres. Ce qui n’exclut pas la franche camaraderie, une fois la répartition des services et les armistices établis. Tout cela aussi devant être nuancé, car les missionnaires existent, pas seulement résiduels (mais quel système durable peut reposer sur la foi ?) et car la situation diffère largement dans les établissements « difficiles » pour des raisons qui peuvent se développer, non la moindre étant que ce sont pour l’essentiel des établissements de passage – et donc de fluidité. 

D’où mon idée de mobilité obligatoire, justement pour fluidifier tout cela, et permettre des parcours utilisant mieux les compétences, sans pour autant pénaliser.
La seconde logique est celle de la bureaucratie, dans l’attribution des moyens. Comme à l’armée où, si on n’a pas épuisé sa dotation en carburant, mieux vaut faire tourner les véhicules à vide, pour ne pas se la voir diminuer l’année suivante.
Cela mériterait grand développement. Mais c’est justement le manque d’autonomie des établissements qui fait que, si telle année telle option ne peut être offerte faute d’effectifs suffisants, elle sera perdue. Alors qu’une répartition des tâches décidée au niveau local pourrait réorienter provisoirement les moyens humains, et les réaffecter ultérieurement si la conjoncture change.
Plutôt que de s’arc-bouter systématiquement sur la préservation de l’existant, mieux vaut développer une culture de l’adaptation et du changement, et faire confiance à l’intelligence des acteurs. Au fait ça existe, je l’ai rencontré.
Voilà où le grec nous a menés. Pour le reste, les idées délibérément iconoclastes, je te réponds dans une seconde partie.

A Françoise (Mes réactions à ta réponse - la suite)

Venons en aux quelques propositions délibérément iconoclastes (on dirait ailleurs thought provoking) que j’énonçais. Je constate d’abord que tu as préféré les traiter non point par point mais en bloc, une fois dûment étiquetées, labellisées, assimilées à une diablerie connue, dès lors aisément 

Je récuse ce procédé, bien connu de nos jeunes années (staliniens, trotskistes, même combat) consistant, pour disqualifier une parole, à y coller une étiquette infâmante, permettant dès lors de décliner les horreurs afférentes et préparer l’autodafé, sans lire. Idem pour disqualifier une personne. Je ne me reconnais pas pédago, et ne sais même ce que cela signifie au fond, si ce n’est qu’ici c’est une des figures de l’abomination. La présentation ainsi faite, le chien se sait noyé. Exit J’ai adoré ton de facto, un moins latiniste aurait pu dire en dernière analyse. Cela permet dans le paragraphe d’accumonceler pêle-mêle toutes sortes d’horreurs, comme autant de fagots au bûcher. L’image que tu me tends n’est pas mon reflet, et la discussion reste à mener.
J’en resterai moi aussi au global, pour te confirmer qu’on diffère en effet sur le fond. Mais encore faut-il l’expliciter, remonter à l’impensé.

Je le vois affleurer quand tu parles de « la liberté pédagogique des professeurs : on enseigne comme on veut, on bidouille, on expérimente, avec ou sans informatique, avec ou sans tableau noir (ou blanc, interactif ou pas), avec livre ou avec tablette ». Que tu associes aussitôt à une question de « confiance ». Je crois que là est le fond, cette représentation du prof comme maître-artisan, voire artisan d’art, maître chez soi, chacun sa spécialité, son tour de main. On n’a plus de compte à rendre, une fois sa compétence certifiée, ou agrégée. Toute évaluation formelle est récusée, sauf très épisodiquement et l’enjeu n’en est que la rapidité de promotion. Il est inconvenant qu’un collègue vienne jeter un œil. Reste, comme pour l’artisan, ou la profession libérale, l’évaluation informelle et sauvage de la cour de récré, des rumeurs entre parents, de la salle des profs – mais qui doit rester tue. Cette façon de se percevoir, ce modèle économique du travailleur indépendant, a sa légitimité – même si elle reste dans le non-dit, et que la posture prise dans la revendication soit volontiers celle du prolétaire. Ce modèle est ce que nous avons connu, il a fonctionné. Son corollaire était aussi que n’arrivait dans le secondaire qu’une partie d’une génération (souvenons nous des classes de fin d’études où restaient ceux qui n’avaient pu passer, ceux souvent qui n’avaient pas l’appétit pour l’étude alors que les autres n’avaient en fait pas besoin de « pédagogie », ils avaient pigé le truc, suffisait de leur transmettre le savoir). Mais la société offrait assez de boulots non qualifiés qui allaient les absorber. L’écrémage, ou la production de déchets, se poursuivait d’ailleurs tout au long du secondaire. Mais une proportion de rebut est admise dans l’artisanat d’art.

Mais le monde a changé. Notre suprématie n’est plus là. Nos sociétés, si elles veulent préserver notre niveau de vie, ne peuvent se permettre de produire chaque année des milliers de jeunes non qualifiés. Cela obère l’avenir et le coût n’est pas supportable. Objectif indispensable : zéro déchet. Cela amène à réviser les processus, à changer les méthodes de travail. Car c’est bien d’un travail et d’un métier qu’il s’agit, auquel on se forme, et qui comme tout au monde change et évolue avec la vie.

L’accent est mis, au-delà d’abreuver de savoirs ceux qui ne demandent qu’à boire (pas besoin de « pédagogie » pour ceux-là, je te l’accorde, ils apprennent de toute façon – on en a peut-être fait partie) sur ceux à qui il faut donner l’envie d’apprendre pour X raisons, afin de les hisser à un niveau minimum, ou mieux déclencher le déclic qui leur fera prendre leur essor. Je te l’accorde aussi, beaucoup, travers bien Français de pseudo-cartésiens binaires, pensent qu’un objectif remplace l’autre et ne voient pas que les deux finalités doivent se prolonger, s’articuler, voire se renforcer l’une l’autre.

Cela implique un changement de modèle économique. On passe de la cueillette à l’agriculture. Du maître-artisan solitaire au travail de groupe, à la communauté éducative. Une large part de l’autonomie se déplace de l’huis-clos de la classe au niveau de l’établissement. Métamorphose, changements essentiels, qui implique une mutation de tous les paradigmes, et au-delà. Et qui implique surtout d’imaginer, de trouver les modalités d’application, les cadres, les pratiques, les pouvoirs et contre-pouvoirs, bref faire du neuf. 

Tout est à inventer, et se contenter de résister, c’est laisser les choses se mettre en place sans y peser, tout au plus les retarder. Combat d’arrière-garde. Dire « c’est le libéralisme ! les petits chefs ! » c’est laisser le champ libre, refuser le combat, s’avouer vaincu d’avance. Il est possible avec des formes de gauche d’effectuer cette mutation, serait-on trop cons pour les imaginer ? Refuser a priori toute réorganisation, l’autonomie au sein des établissements, la coordination du travail, et des remises en cause bien au-delà, est dogmatique et suicidaire. Cela relève de la même intelligence que proscrire tout alcool pour éviter l’ivresse. C’est aussi se complaire dans la posture de la victime.
Cela dit, on peut ne pas aimer, préférer légitimement, à titre personnel, le statu quo ante, où l’on a connu joies et épanouissement. Finie la liberté d’enseigner ? Mais un sportif ne s’épanouit-il que dans les sports individuels, pas dans les sports collectifs ? On peut préférer le tennis au rugby, mais difficilement tenir ce dernier pour lieu d’asservissement. Eternelle question du conflit entre intérêt général et intérêt particulier, du TGV dont on veut bien qu’il passe mais pas chez moi – auquel cas les justifications historiques, écologiques, environnementales – ou pédagogiques - ne manquent jamais. Que l’intérêt des élèves n’aura-t-il pas justifié, depuis trente ans au moins !

Tout dans la situation présente me déplaît. Et surtout son verrouillage par les postures des acteurs. Le(s) gouvernement(s) avance(nt) par petites touches, un pion de-çi, de-là, morceau de puzzle après l’autre, mais sans qu’apparaisse le schéma d’ensemble, l’objectif final et toutes ses implications. Cela crée toutes les peurs possibles, cristallise tous les rejets. Et on assiste à l’hystérie récente, Marianne guidant le peuple en duo d’opérette avec Figaro. Définir, décrire, clarifier l’objectif final, ce serait en permettre la discussion, ouvrir le champ de la négociation sur les modalités, y compris rassurer sur la progressivité et le filé. Mais une telle communication est-elle possible ? Apparemment non, sans mettre le feu aux poudres, tant la culture générale est à la préservation des acquis, à la méfiance contre toute modification, à la haine des déplacements de lignes qui, forcément, ébranlent des équilibres personnels patiemment conquis. Le syndicalisme enseignant n’a pas peu contribué à solidifier ces réflexes depuis 20 ou 30 ans, les parant des discours les plus progressistes. J’en veux encore à Jospin de n’avoir pas fait le boulot quand il avait 5 ans devant lui et à Allègre de ne pas avoir expliqué sa visée mais de s’être posturé en épouvantail.

Au lieu d’une vraie réflexion d’ensemble, sereine et approfondie, ce qui n’exclut pas l’affrontement d’idées et moins encore les vrais clivages entre gauche et droite (justice sociale ou laisser-faire des avantages acquis), on s’enferme dans d’incandescentes conflagrations rhétoriques sur une heure de plus ou de moins ici ou là, bien de chez nous. La notation ? Prononcez le mot et les couteaux sortent, et on se retrouve dans le fameux dessin « Ils en ont parlé ! ». Pourtant, la formation continue, en plusieurs décennies d’expérience, a fait des avancées, trouvé des modes pertinents qui méritent attention. Maos rien de rien n’a été intégré dans l’enseignement initial, non plus que les notions de compétences, d’acquis/non acquis, dont la greffe ne prend pas (je ne me suis pas contenté de bronzer sous les cocotiers, ni d’user le rond-de-cuir du rectorat, j’ai aussi glandé dans la formation continue qui, chacun le sait, n’est que billevesées - n’en déplaise à un commentateur). Pendant ce temps, le monde change. Les enseignants seraient-ils les seuls incapables de se remettre en cause et de s’adapter quand tous les métiers l’ont su, jusqu’aux plus modestes ? Ne me dites pas que c’est parce que les autres risquaient la perte d’emploi à ne pas bouger.

Je rejoins là ce que tu dis, Françoise, dans « Gueule de bois et perspectives », à savoir « réfléchir à des contre-propositions sans se borner à une posture défensive. » Je n’aurai pas forcément dit « contre », mais il importe peu. On n’est pas « contre » la loi de la pesanteur, mais on peut parvenir à voler. PROPOSITIONS, réflexions, remises à plat. Le cycle inauguré en 1945 est terminé, bien des solutions trouvées alors, et qui ont démontré leur efficace, sont devenues contre-productives. Banale dialectique historique. il faut savoir les remettre en question, trouver et surtout négocier les formes nouvelles, originales, qui aillent même vers des améliorations. Impossible ? Pas aisé certes, mais impossible seulement si- arc-boutés dans la conservation, on laisse s’imposer les choses.

J’ai dit remise à plat complète. Je ne voudrais pas finir sans revenir sur les remarques de Pierre-Henri, qui soulève un point central, mais avec lequel je diffère car il réfléchit en termes statiques et non dynamiques. Il est évident que ce chamboulement à venir du métier d’enseignant va aussi avec une renégociation des conditions faites aux enseignants (obligations de service, carrières, temps de travail, et bien entendu rémunération). Le constat fait du manque d’attractivité de la profession est flagrant. La féminisation a un temps masqué le phénomène, mais c’est terminé. Et quand on est repoussoir, les conséquences sont multiples, à terme, et profondes. Là encore, quel est l’état des lieux, en gros, très simplifié. J’y vois un contrat tacite, jamais énoncé. Je te sous-paye largement, certes, tu vas en baver dans un premier temps, dit l’employeur, mais je t’assure la sécurité de l’emploi, beaucoup de temps libre, peu de risques de sanction, et au bout de quelques années, si tu sais y faire, une amélioration progressive de tes conditions de travail. Les inconvénients s’étant petit à petit aggravés, pas étonnant que, d’une part, le « contrat » intéresse de moins en moins les meilleurs, et que, d’autre part, à tout ce qui peut apparaître comme un coup de canif aux avantages les intéressés se sentent volés comme au coin du bois. Et comme on est dans le non dit, le dialogue est difficile. Il faut en sortir. Et revenir au point de départ. Jusqu’ici, les enseignants du secondaire sont des cadres A de la fonction publique (cela peut changer, comme tout, mais faut le dire). En outre, il faudra rendre le job attractif pour bien recruter. Cela peut aussi impliquer une révision de la définition du temps de travail, une modulation des rémunérations selon les tâches, les évaluations, voire les résultats (mais oui ! et là encore, ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain : cadrages, concertations, instances de régulation et surtout formation des acteurs peuvent éviter seigneuries, arbitraires et abus).Le changement du métier d’enseignant doit aller avec une revalorisation sérieuse de ce métier. Mais soyons réalistes : cela n’ira pas non plus sans poser la question du coût et donc des effectifs. Qui peut prendre ce risque ? En tout cas mieux vaut en parler, que feindre de ne pas voir en tonitruant sur des points annexes.

Tiens, encore un paragraphe. Comment se fait-il que beaucoup qui prônent la démocratie participative se révulsent à l’idée d’une autonomie des établissements ? Dans tout changement, c’est celui qui fait qui prend le pouvoir, car ce qu’il met en place le privilégie. Plutôt que d’être seulement défensifs, pourquoi ne pas peser pour une gouvernance des établissements qui assure l’efficacité tout en se prémunissant de l’autoritarisme, de l’arbitraire et d’autres maux ? Faire de l’établissement un espace productif démocratique. Intéressant non ?

Une suite ?

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Sa réponse, insérée dans mes paragraphes, ce qui m'incite à vous les répéter, sauf à vous obliger à aller voir ci-dessus, on ne sait plus où on en est, lecture encore plus pénible
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Suite du feuilleton, et du grand roman épistolaire en cours…
Devant un ordinateur, c’est tout de suite plus facile, de lire, de répondre et de poster !
Résumé des épisodes précédents : mon excellent ami et collègue Joël B., que je qualifierai volontiers de « pédago » même s’il s’en défend véhémentement, a émis en commentaire ici même toute une série de propositions tellement dignes d’intérêt que j’y ai répondu là (1)
Ci-dessous, la réponse de Joël, et ma réponse à celle-ci.
NB : Pour plus de lisibilité et même si nos points de vue n’ont radicalement rien à voir, le texte de Joël est en italiques

A Françoise (Mes réactions à ta réponse - la suite)

Venons en aux quelques propositions délibérément iconoclastes (on dirait ailleurs thought provoking) que j’énonçais. Je constate d’abord que tu as préféré les traiter non point par point mais en bloc, une fois dûment étiquetées, labellisées, assimilées à une diablerie connue, dès lors aisément

Je récuse ce procédé, bien connu de nos jeunes années (staliniens, trotskistes, même combat) consistant, pour disqualifier une parole, à y coller une étiquette infamante, permettant dès lors de décliner les horreurs afférentes et préparer l’autodafé, sans lire. Idem pour disqualifier une personne. Je ne me reconnais pas pédago, et ne sais même ce que cela signifie au fond, si ce n’est qu’ici c’est une des figures de l’abomination. La présentation ainsi faite, le chien se sait noyé. Exit. J’ai adoré ton de facto, un moins latiniste aurait pu dire en dernière analyse. Cela permet dans le paragraphe d’accumonceler pêle-mêle toutes sortes d’horreurs, comme autant de fagots au bûcher. L’image que tu me tends n’est pas mon reflet, et la discussion reste à mener.

Joël, si j’ai traité tes propositions en bloc et non pas une à une, c’est parce qu’elles constituent un tout, qu’elles sont le fruit d’une même philosophie de l’école, d’une même vision du monde, qui ne sont pas les miennes. Il pourra m’arriver d’être d’accord avec toi sur des points de détail, mais il n’en reste pas moins que, globalement, les présupposés de ton programme, que j’ai lu avec attention, me paraissent très contestables.
Par ailleurs, pour ce qui concerne mes jeunes années, je crois qu’effectivement, si j’ai pris des rides et de l’âge, ce que je n’ai pas perdu, c’est – comment pourrais-je le dire sans te blesser ? – une certaine capacité à flairer les arnaques et à débusquer, sous le discours gogoche et bien-pensant de la social-démocratie, la magouille finale, quelles que soient par ailleurs, parfois, les bonnes intentions (dont l’Enfer est pavé…) de ceux qui portent ledit discours, tout persuadés qu’ils sont de faire le bonheur du peuple malgré lui, et, en l’occurrence, de savoir, mieux que les professeurs, ce qui est bon pour eux et pour des élèves qu’ils n’ont plus vus de près depuis plusieurs lurettes.

J’en resterai moi aussi au global, pour te confirmer qu’on diffère en effet sur le fond. Mais encore faut-il l’expliciter, remonter à l’impensé.

Je le vois affleurer quand tu parles de « la liberté pédagogique des professeurs : on enseigne comme on veut, on bidouille, on expérimente, avec ou sans informatique, avec ou sans tableau noir (ou blanc, interactif ou pas), avec livre ou avec tablette ». Que tu associes aussitôt à une question de « confiance ». Je crois que là est le fond, cette représentation du prof comme maître-artisan, voire artisan d’art, maître chez soi, chacun sa spécialité, son tour de main. On n’a plus de compte à rendre, une fois sa compétence certifiée, ou agrégée. Toute évaluation formelle est récusée, sauf très épisodiquement et l’enjeu n’en est que la rapidité de promotion. Il est inconvenant qu’un collègue vienne jeter un œil. Reste, comme pour l’artisan, ou la profession libérale, l’évaluation informelle et sauvage de la cour de récré, des rumeurs entre parents, de la salle des profs – mais qui doit rester tue. Cette façon de se percevoir, ce modèle économique du travailleur indépendant, a sa légitimité – même si elle reste dans le non-dit, et que la posture prise dans la revendication soit volontiers celle du prolétaire.

Joël, ne mélangeons pas tout et ne caricaturons pas.
La liberté pédagogique des professeurs, ce côté « maître-artisan », comme tu le dis très bien, est effectivement la clé de la confiance et de la créativité des collègues. Il ne s’agit pas de cuisiner tout seul dans sa classe – comme les artisans, les professeurs partagent, mutualisent, donnent un coup d’œil, apportent un regard extérieur. De plus en plus et tu le sais, les « tours de main », comme les recettes de cuisine, s’échangent,(les copies itou), les cours se préparent en commun, et c’est très bien parce que c’est informel. Les enseignants travaillent ensemble par affinités, amitiés, convergence dans la manière de faire et/ou enrichissement par la différence, et c’est parfait. A partir du moment où on va imposer aux gens de bosser en équipe et selon des démarches qui ne seront pas forcément les leurs, ça ne marchera pas. A se demander du reste si le but de la manœuvre est vraiment que « ça marche », ou de contraindre les professeurs à passer définitivement sous les fourches caudines de la pédagogie officielle unique.
Quant à l’inspection, parlons-en : les IPR aux ordres venus imposer à de bons professeurs de travailler en séquence et par méthode inductive, alors même que les résultats obtenus par ces collègues étaient excellents, nous les avons bien connus naguère dans l’Académie de Nantes, où le corps des IPR semblait devenu l’annexe du catalogue Bertrand-Lacoste.
Tout comme on ne peut pas imposer le travail en équipes, on ne peut davantage imposer la séquence didactique comme le schibboleth, l’alpha et l’oméga de la pédagogie du français. Il y a des programmes, à respecter impérativement, car le bac est encore, jusqu’à plus ample informé, un examen national, et puis des méthodes, des procédures, un savoir-faire, qu’il faut laisser se développer, que les collègues choisissent ou non de travailler ensemble. La créativité est à ce prix : n’oublions pas que Célestin Freinet a dû quitter l’Education Nationale et ouvrir une école privée (certes « prolétarienne », mais privée) pour pouvoir continuer à enseigner comme il l’entendait.
Quant à la « posture du prolétaire », si les salaires des professeurs n’étaient pas aussi ridiculement bas et si le point d’indice n’était pas bloqué depuis quelques lurettes, elle n’aurait pas lieu d’être.

Ce modèle est ce que nous avons connu, il a fonctionné. Son corollaire était aussi que n’arrivait dans le secondaire qu’une partie d’une génération (souvenons nous des classes de fin d’études où restaient ceux qui n’avaient pu passer, ceux souvent qui n’avaient pas l’appétit pour l’étude alors que les autres n’avaient en fait pas besoin de « pédagogie », ils avaient pigé le truc, suffisait de leur transmettre le savoir). Mais la société offrait assez de boulots non qualifiés qui allaient les absorber. L’écrémage, ou la production de déchets, se poursuivait d’ailleurs tout au long du secondaire. Mais une proportion de rebut est admise dans l’artisanat d’art.

Je ne vois pas le rapport entre le modèle « artisanal » et le fait que, « de notre temps », seule une partie de notre génération « montait » au lycée , comme si c’était cet « artisanat d’art » qui avait produit « l’écrémage », pour reprendre ta métaphore. « De notre temps », les instituteurs formés à l’Ecole Normale pratiquaient, justement, cette pédagogie artisanale qui te fait un peu sourire – avec les « leçons de choses », par exemple, où le maître bidouillait avec les moyens du bord un système solaire ou la digestion du pain blanc par la salive in vitro… Et toute la classe était bouche bée, y compris ceux qui n’avaient « pas d’appétit pour l’étude », certes, mais de l’intérêt pour le concret et le vivant.
Ton terme de « Corollaire » suppose que c’est le modèle artisanal qui était l’obstacle à la démocratisation scolaire, alors même que dans les campagnes bas-alpines ou autres, devant une « classe unique », les instituteurs inventaient des solutions pédagogiques au cas par cas et qui fonctionnaient. Ceux qui n’allaient pas au lycée reprenaient la ferme familiale, par exemple, ou l’atelier paternel : boulots qualifiés, certes, et même hautement qualifiés (un bon vigneron, un bon charcutier, c’est du vrai savoir et du vrai savoir-faire) mais d’une qualification non scolaire en ces temps-là : on apprenait avec son père ou sa mère, et avec des taloches éventuellement.
L’écrémage, comme tu le dis, tient à tout autre chose : toujours moins d’école à l’école, toujours moins de savoirs transmis, et la sensation, chez ceux qui décrochent, que rien de ce qu’on fait dans les classes n’a de sens.

Mais le monde a changé. Notre suprématie n’est plus là. Nos sociétés, si elles veulent préserver notre niveau de vie, ne peuvent se permettre de produire chaque année des milliers de jeunes non qualifiés. Cela obère l’avenir et le coût n’est pas supportable. Objectif indispensable : zéro déchet. Cela amène à réviser les processus, à changer les méthodes de travail. Car c’est bien d’un travail et d’un métier qu’il s’agit, auquel on se forme, et qui comme tout au monde change et évolue avec la vie.

La question que tu ne poses pas, c’est celle du « pourquoi » : pourquoi ces jeunes non qualifiés, pourquoi les « décrocheurs », pourquoi les désolantes statistiques de l’illettrisme lors des journées APD.
Tu n’es du reste pas le seul à refuser de la poser, mais ce n’est pas une raison. A partir du moment où l’Ecole n’instruit plus les élèves, où elle renonce à les instruire, où une IG constructiviste et Bertrand-Lacostienne explique sans rire que si un petit sixième ne sait pas lire, ce n’est pas grave, vu qu’il n’a pas terminé ses études, il ne faut plus s’étonner de rien.
Un enfant s’ennuie à l’école (au collège, au lycée) quand il a l’impression d’y perdre son temps, quand il n’en sort pas enrichi, quand il n’y apprend rien, quand, je le répète, les apprentissages ne font pas sens. Tu noteras que sur ce point je partage l’opinion de Meirieu – même si les conclusions que j’en tire ne sont pas exactement les mêmes :-)

L’accent est mis, au-delà d’abreuver de savoirs ceux qui ne demandent qu’à boire (pas besoin de « pédagogie » pour ceux-là, je te l’accorde, ils apprennent de toute façon – on en a peut-être fait partie) sur ceux à qui il faut donner l’envie d’apprendre pour X raisons, afin de les hisser à un niveau minimum, ou mieux déclencher le déclic qui leur fera prendre leur essor. Je te l’accorde aussi, beaucoup, travers bien Français de pseudo-cartésiens binaires, pensent qu’un objectif remplace l’autre et ne voient pas que les deux finalités doivent se prolonger, s’articuler, voire se renforcer l’une l’autre.

Sur ce point, je vais être d’accord avec toi : ce qu’il faut donner ou re-donner, c’est l’envie d’apprendre.
Mais pour cela, il faut… apprendre ! Je vais utiliser une métaphore gourmande, pour éclairer mon propos : faire découvrir à un enfant des nourritures un peu difficiles comme le foie gras, le roquefort ou les huîtres, suppose que l’enfant ait goûté le foie gras, les huîtres, le roquefort, qu’il puisse expérimenter les bonheurs gustatifs de ces plats. On ne peut pas gaver un gosse de jambon blanc-coquillettes et attendre qu’il ait le déclic pour une gastronomie un peu plus pointue.
Il y a un plaisir d’apprendre, qu’il faut effectivement susciter. Mais comme le dit Samy Joshua, un pseudozintellectuel de droite bien connu, « ce n’est pas parce qu’on fera faire aux élèves des choses rigolotes qu’ils apprendront mieux » (2). Les élèves, y compris et peut-être même surtout les décrocheurs, ne sont pas stupides : si ce qu’on leur apprend ne fait pas sens pour eux, ils ne voient pas les raisons de s’y accrocher, surtout quand le monde hors les murs paraît si gai, si drôle, si « plein de nègres et de négresses », si rentable, si plein de possibilités magiques (le football, le trafic, les « roots », la chansonnette, le mannequinat) tellement plus désirables que l’école, qui, à vouloir rivaliser en attractivité avec l’extérieur, sera toujours moins « sexy », comme le dit à propos du latin une des conseillères de NVB (3).

Cela implique un changement de modèle économique. On passe de la cueillette à l’agriculture. Du maître-artisan solitaire au travail de groupe, à la communauté éducative. Une large part de l’autonomie se déplace de l’huis-clos de la classe au niveau de l’établissement. Métamorphose, changements essentiels, qui implique une mutation de tous les paradigmes, et au-delà. Et qui implique surtout d’imaginer, de trouver les modalités d’application, les cadres, les pratiques, les pouvoirs et contre-pouvoirs, bref faire du neuf. Tout est à inventer, et se contenter de résister, c’est laisser les choses se mettre en place sans y peser, tout au plus les retarder. Combat d’arrière-garde. Dire « c’est le libéralisme ! les petits chefs ! » c’est laisser le champ libre, refuser le combat, s’avouer vaincu d’avance.

Si ce que tu appelles « la communauté éducative », c’était juste de rassembler les enseignants, de les laisser enseigner et de leur donner carte blanche pour, en mettant en commun leur créativité, créer une synergie profitable pour tous, profs comme élèves, je crois que tout le monde ou presque serait d’accord.
Mais soyons sérieux, Joël : tu connais l’institution aussi bien que moi (et même mieux, au sens où tu as été, toi, de l’autre côté des bureaux…), tu sais très bien comment ça se passe et comment ça se passera : des projets mousse-paillettes, parce ce qui compte, surtout dans un contexte de mise en concurrence des établissements (et des professeurs !), c’est le « faire-savoir » -- parfois même des projets Potemkine, très beaux sur le papier, intenables dans la pratique ; ou encore des projets chronophages, fatigants pour les collègues, et avec sur les élèves des résultats tout aussi aléatoires que ceux des approches plus conventionnelles. Je n’aurai pas la cruauté de revenir sur le tract ( !) en espagnol ( !!) à destination des floriculteurs kenyans, présenté sur F2 (reportage au collège Clisthène, où, ne l’oublions pas, l’on expérimenta la réforme) comme le nec plus ultra de la pédagogie innovante (4).

Il est possible avec des formes de gauche d’effectuer cette mutation, serait-on trop cons pour les imaginer ? Refuser a priori toute réorganisation, l’autonomie au sein des établissements, la coordination du travail, et des remises en cause bien au-delà, est dogmatique et suicidaire. Cela relève de la même intelligence que proscrire tout alcool pour éviter l’ivresse. C’est aussi se complaire dans la posture de la victime.

Si « l’autonomie au sein de l’établissement » se traduit, comme il est probable, par une réorganisation où chaque enseignant sera son propre flic, chapeauté de surcroît par son coordonnateur de discipline, devenu de facto (eh oui, j’insiste…) son supérieur hiérarchique, puis par le conseil pédagogique, instance de contrôle et, dans de mauvaises mains, de flicage, puis par le chef d’établissement, et éventuellement par le CA, je crains que le remède que tu proposes soit encore pire que le mal. Et je ne vois pas en quoi l’intérêt des élèves, là-dedans, s’en portera mieux.

Cela dit, on peut ne pas aimer, préférer légitimement, à titre personnel, le statu quo ante, où l’on a connu joies et épanouissement. Finie la liberté d’enseigner ? Mais un sportif ne s’épanouit-il que dans les sports individuels, pas dans les sports collectifs ? On peut préférer le tennis au rugby, mais difficilement tenir ce dernier pour lieu d’asservissement. Eternelle question du conflit entre intérêt général et intérêt particulier, du TGV dont on veut bien qu’il passe mais pas chez moi – auquel cas les justifications historiques, écologiques, environnementales – ou pédagogiques - ne manquent jamais. Que l’intérêt des élèves n’aura-t-il pas justifié, depuis trente ans au moins !

Là encore, tu déplaces les problèmes. Le rugby est un sport merveilleux, mais tu sais parfaitement que les équipes qui gagnent sont celles dont la dynamique de groupe est positive ; on peut dire la même chose à propos du football – si les Bleus ont été champions en 1998, c’est parce qu’ils jouaient très bien, certes, mais aussi parce qu’Aimé Jacquet avait sélectionné des joueurs dont il considérait qu’ils pourraient travailler efficacement ensemble (d'où l'éviction de Cantona).
Or d’une part tous les chefs d’établissement (même s'ils en rêvent) ne sont pas Aimé Jacquet, tant s’en faut. D’autre part, le recrutement des enseignants par lesdits chefs d’établissement (tout comme leur évaluation, du reste, si le corps d’inspection venait à disparaître) ouvre grand l’espace du copinage (au mieux) et du favoritisme, surtout dans des contextes de féodalités locales un peu... pesantes.
C’est ce qui se passe dans les institutions privées, certes, mais nous ne sommes pas, du moins pas encore, dans cette configuration-là.

Tout dans la situation présente me déplaît. Et surtout son verrouillage par les postures des acteurs. Le(s) gouvernement(s) avance(nt) par petites touches, un pion de-ci, de-là, morceau de puzzle après l’autre, mais sans qu’apparaisse le schéma d’ensemble, l’objectif final et toutes ses implications. Cela crée toutes les peurs possibles, cristallise tous les rejets. Et on assiste à l’hystérie récente, Marianne guidant le peuple en duo d’opérette avec Figaro.

L’intention des gouvernements est parfaitement claire, et le schéma d’ensemble tout autant : par petites touches, effectivement, mais comme le navire Argo ou la grenouille cuite, déconstruire l’existant, c’est à dire au premier chef le cadre national, et importer dans l’enseignement public les méthodes de gestion du privé. L’objectif final, du PS comme de l’UMP pardon de LR, c’est, sous les jolis mots et les généreuses intentions (adaptation aux urgences de l’heure, autonomie, libération des initiatives, intérêt des apprenants, sauvetage des décrocheurs, égalité républicaine ), de mettre en place un modèle d’Ecole où l’objectif final ne sera plus d’instruire mais de donner une sorte de bagage de compétences minimum (le fameux socle commun de F. Fillon) – un peu comme une médecine, qui, au lieu de soigner, se contenterait de réparer.

Définir, décrire, clarifier l’objectif final, ce serait en permettre la discussion, ouvrir le champ de la négociation sur les modalités, y compris rassurer sur la progressivité et le filé. Mais une telle communication est-elle possible ? Apparemment non, sans mettre le feu aux poudres, tant la culture générale est à la préservation des acquis, à la méfiance contre toute modification, à la haine des déplacements de lignes qui, forcément, ébranlent des équilibres personnels patiemment conquis. Le syndicalisme enseignant n’a pas peu contribué à solidifier ces réflexes depuis 20 ou 30 ans, les parant des discours les plus progressistes.

« La préservation des acquis » et l’attaque contre le syndicalisme enseignant, ce pelé, ce galeux, ce casse-pieds… Joël, mon cher Joël, on sait d’où tu parles. Ne deviens pas ta propre caricature, je t’en supplie : tu vaux mieux que ces désolants raccourcis. Et console-toi en te disant qu’il reste le SGEN-CFDT et l’UNSA-FEN pour dire toujours « amen » et sortir le stylo dès qu’il y a une réforme à approuver.
J’en veux encore à Jospin de n’avoir pas fait le boulot quand il avait 5 ans devant lui et à Allègre de ne pas avoir expliqué sa visée mais de s’être posturé en épouvantail.

Toutes mes excuses pour la photo : c'est BAS, je le reconnais, mais je n'ai pas pu y résister ! J'ai honte -- mais c'est BON, la honte....
« Fait le boulot », j’adore l’expression… Pourtant il l’a fait, le boulot, avec son acolyte Allègre, il l’a fait salement (et il l’a salement payé, faut reconnaître !), avec la loi de 1989 qui a signé le commencement de la fin pour le système scolaire français. Mais j’arrête là car nous perdons de vue le sujet et j’ai déjà été très longue dans ma réponse

Au lieu d’une vraie réflexion d’ensemble, sereine et approfondie, ce qui n’exclut pas l’affrontement d’idées et moins encore les vrais clivages entre gauche et droite (justice sociale ou laisser-faire des avantages acquis,…
Ce que j’aime bien chez toi, Joël, c’est ton sens du raccourci. Un « avantage acquis », c’est de droite. Magnifique, on dirait de l’Emmanuel Macron.

…. on s’enferme dans d’incandescentes conflagrations rhétoriques sur une heure de plus ou de moins ici ou là, bien de chez nous.

Il ne s’agit pas d’une heure de plus ou de moins ici et là, malheureusement, mais de la disparition à court terme d’un enseignement (le latin en tant que langue) ou de filières qui marchaient bien (bilangues).
Quant aux heures de français, rappelons simplement qu’en 1976, un élève qui sortait du collège avait reçu 2088 heures d’enseignement du français depuis son entrée en CP ; En 2004, c’était 800 de moins, soit l’équivalent de deux années et demie : comme si, au milieu de son année de 5eme on le faisait passer en 2nde.
Et après, on se demande pourquoi tant d’élèves sortent de l’Ecole sans qualification…

La notation ? Prononcez le mot et les couteaux sortent, et on se retrouve dans le fameux dessin « Ils en ont parlé ! ». Pourtant, la formation continue, en plusieurs décennies d’expérience, a fait des avancées, trouvé des modes pertinents qui méritent attention. Mais rien de rien n’a été intégré dans l’enseignement initial, non plus que les notions de compétences, d’acquis/non acquis, dont la greffe ne prend pas (je ne me suis pas contenté de bronzer sous les cocotiers, ni d’user le rond-de-cuir du rectorat, j’ai aussi glandé dans la formation continue qui, chacun le sait, n’est que billevesées - n’en déplaise à un commentateur).

Pour ce qui concerne les compétences et afin de ne pas produire une réponse interminable, je te renvoie à un texte que j’ai co-écrit voici quelques années avec Agnès Joste et Michèle Gally, sur le site de SLL, Collectif Sauver les Lettres (5), je crois qu’il te donnera la mesure de l’étendue de notre désaccord

Pendant ce temps, le monde change. Les enseignants seraient-ils les seuls incapables de se remettre en cause et de s’adapter quand tous les métiers l’ont su, jusqu’aux plus modestes ?

Que le monde change, on est tous d’accord ; mais que ce soit le prétexte pour proposer des remèdes qui sont pire que le mal et la pérennisation de pratiques qui ont fait la preuve de leur inefficacité, là je ne comprends plus.

Ne me dites pas que c’est parce que les autres risquaient la perte d’emploi à ne pas bouger.
Je rejoins là ce que tu dis, Françoise, dans « Gueule de bois et perspectives », à savoir « réfléchir à des contre-propositions sans se borner à une posture défensive. » Je n’aurai pas forcément dit « contre », mais il importe peu. On n’est pas « contre » la loi de la pesanteur, mais on peut parvenir à voler. PROPOSITIONS, réflexions, remises à plat. Le cycle inauguré en 1945 est terminé, bien des solutions trouvées alors, et qui ont démontré leur efficace, sont devenues contre-productives. Banale dialectique historique. il faut savoir les remettre en question, trouver et surtout négocier les formes nouvelles, originales, qui aillent même vers des améliorations. Impossible ? Pas aisé certes, mais impossible seulement si- arc-boutés dans la conservation, on laisse s’imposer les choses.

« Conservation », j’aime bien, aussi : c’est presque « conservatisme », non ?
1945, c’est le Programme National de la Résistance, « les jours heureux », etc., clairement dans le viseur. Au moins c’est clair…
Ce n’est pas la première fois que la social-démocratie, derrière un habillage lénifiant (je n’ai pas dit « léninifiant » !) et de bienveillantes proclamations d’intentions, met en place des mesures inefficaces pour ne pas dire nuisibles.

J’ai dit remise à plat complète. Je ne voudrais pas finir sans revenir sur les remarques de Pierre-Henri, qui soulève un point central, mais avec lequel je diffère car il réfléchit en termes statiques et non dynamiques. Il est évident que ce chamboulement à venir du métier d’enseignant va aussi avec une renégociation des conditions faites aux enseignants (obligations de service, carrières, temps de travail, et bien entendu rémunération). Le constat fait du manque d’attractivité de la profession est flagrant. La féminisation a un temps masqué le phénomène, mais c’est terminé. Et quand on est repoussoir, les conséquences sont multiples, à terme, et profondes. Là encore, quel est l’état des lieux, en gros, très simplifié. J’y vois un contrat tacite, jamais énoncé. Je te sous-paye largement, certes, tu vas en baver dans un premier temps, dit l’employeur, mais je t’assure la sécurité de l’emploi, beaucoup de temps libre, peu de risques de sanction, et au bout de quelques années, si tu sais y faire, une amélioration progressive de tes conditions de travail. Les inconvénients s’étant petit à petit aggravés, pas étonnant que, d’une part, le « contrat » intéresse de moins en moins les meilleurs, et que, d’autre part, à tout ce qui peut apparaître comme un coup de canif aux avantages les intéressés se sentent volés comme au coin du bois. Et comme on est dans le non dit, le dialogue est difficile. Il faut en sortir. Et revenir au point de départ. Jusqu’ici, les enseignants du secondaire sont des cadres A de la fonction publique (cela peut changer, comme tout, mais faut le dire). En outre, il faudra rendre le job attractif pour bien recruter. Cela peut aussi impliquer une révision de la définition du temps de travail, une modulation des rémunérations selon les tâches, les évaluations, voire les résultats (mais oui ! et là encore, ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain : cadrages, concertations, instances de régulation et surtout formation des acteurs peuvent éviter seigneuries, arbitraires et abus).Le changement du métier d’enseignant doit aller avec une revalorisation sérieuse de ce métier. Mais soyons réalistes : cela n’ira pas non plus sans poser la question du coût et donc des effectifs. Qui peut prendre ce risque ? En tout cas mieux vaut en parler, que feindre de ne pas voir en tonitruant sur des points annexes.

Si la redéfinition du métier va dans le sens d’une dégradation, vu l’état d’épuisement et de découragement des troupes (comme tu le reconnais toi-même, d’ailleurs), tu n’auras plus personne pour exercer ce boulot de chien. 35 heures hebdo, 5 semaines de congés annuels, des réunions chronophages et des tâches administratives à l’infini, je ne vois pas où est l’attractivité.
Quant à la modulation de la rémunération selon les résultats, je trouve cette proposition absolument insensée : nous travaillons sur du matériel humain, avec une composante aléatoire totalement inquantifiable, par définition. Exemple : l’année X, j’ai quatre admissibles et trois admis à l’ENS, je touche une prime – et l’année suivante, alors que je me suis investie avec la même énergie, un seul alpha et zéro admis : suis-je pour autant devenue un mauvais professeur ?
Pour ce qui concerne l’évaluation par le chef d’établissement, tu sais ce que j’en pense. Mieux vaut encore un corps d’inspection, même très imparfait, même autoritariste, même vérolé par le constructivisme, que la notation par le « patron » (sic, mais beaucoup de collègues emploient ce texte) : l’école n’est pas une entreprise, même si le programme socialiste rêve d’y importer les méthodes du privé.

Tiens, encore un paragraphe. Comment se fait-il que beaucoup qui prônent la démocratie participative se révulsent à l’idée d’une autonomie des établissements ? Dans tout changement, c’est celui qui fait qui prend le pouvoir, car ce qu’il met en place le privilégie. Plutôt que d’être seulement défensifs, pourquoi ne pas peser pour une gouvernance des établissements qui assure l’efficacité tout en se prémunissant de l’autoritarisme, de l’arbitraire et d’autres maux ? Faire de l’établissement un espace productif démocratique. Intéressant non ?

Une « gouvernance des établissements » se prémunissant de l’autoritarisme et de l’arbitraire, tout en accroissant les pouvoirs de l’équipe de direction, ça me paraît relever de la quadrature du cercle ou des antinomies de la raison pure.
La « démocratie participative », que je sache, ce n’est pas un machin où chaque lycée, collège, etc., va œuvrer dans son coin à la recherche du « caractère propre » qui lui permettrait de se faire bien voir des acteurs économiques et politiques locaux, tout en flattant les parents dans le sens du pelage. Si ce que tu appelles la « démocratie participative » (et que je comparerais plutôt aux « cercles de qualité » en entreprise, ce machin venu du Japon où les travailleurs collaborent à l’amélioration de leur propre oppression et à l’optimisation du poids des chaînes) doit aboutir pour l’Ecole à la fin du cadre national, je ne vois pas ce que les acteurs du système, élèves comme enseignants, auront à y gagner. Si la « démocratie participative » officialise les dékhonnages de type Clisthène, je pense que ce n’est vraiment pas la peine.
« Faire de l’établissement un espace productif démocratique », comme tu le dis, ce serait, simplement, commencer par laisser les enseignants enseigner, mettre en place les structures et les procédures de leur choix, se regrouper (ou pas) par affinités sur leurs propres projets – le seul impératif étant le respect de programmes à la fois ambitieux et progressifs. Que la créativité bouillonne et que cent fleurs s’épanouissent, loin des commissaires pédagogiques et des caporaux petits ou gros.
Dans l’état actuel des choses, c’est plutôt vers une extension du domaine de la garderie que l’on s’achemine. Je ne suis pas sûre que les élèves, pas plus que leurs enseignants, n’aient à y gagner quoi que ce soit.