samedi 16 juin 2012

Mort au trimestre !!!


L’actualité bruit –presque autant que des législatives ou de la crise de l’euro – du débat sur la longueur des vacances de Toussaint. Deux jours de plus, de moins l‘été, rentrée la veille... Le changement serait de s’interroger sur la survie du bon vieux trimestre, sur sa pertinence actuelle.
D’où sort-il ? Mes bons vieux souvenirs, les vacances de Noël et de Pâques découpaient trois belles tranches. La quatrième, c’était l’été, les vacances, à mordre à pleines dents jusque presque fin septembre. Entre temps, les années bonnes, quelques gros weekends selon comment tombaient les jours fériés.
Tout cela a bien changé. Les travaux des champs avaient déjà cessé d’imposer leur rythme au calendrier scolaire. Septembre est devenu studieux. Il est apparu plus sain de faire alterner des périodes de sept semaines de travail avec si possible deux de repos, tout en jonglant avec les grandes fêtes, Noël et Jour de l’An. Exit Pâques, qui tombe ou non pendant des vacances qui ne portent plus ce nom, devenues plutôt et d’hiver et de printemps.
Mais cela a perturbé un équilibre, qu’il a fallu retrouver. Du coup, le premier trimestre se termine fin novembre, le second quelque part fin mars ou début avril. C’est bancal !
En effet, une fois les notes arrêtées pour les conseils de classe, qui se tiennent courant décembre, chacun, sans se l’avouer, attend en roue libre ou presque les vacances de Noël. Difficile de se remotiver pour se dire que c’est déjà le second trimestre qui court. Trois semaines molles. De ce second trimestre, il ne reste donc en janvier qu’au mieux six bonnes semaines, interrompues par des vacances d’hiver parfois fort précoces. Ca casse le rythme, et les jambes.
Il se termine, le second, au milieu de nulle part, limite tout aussi abstraite que les 45° de latitude ou le méridien de Greenwich, pourtant décisifs. Là encore, rien qui le marque, on passe au dernier trimestre pendant que des conseils de classe arrivent à se coincer entre des vacances, et quand on revient de celles de printemps, on sent bien que les carottes sont cuites : quelques semaines et c’est la débandade des examens, des révisions, des bouclages hâtifs de programmes, entre deux voyages à l’étranger, présentation des pièces de théâtre et œuvres de l’année, au milieu des semaines de mai à trous et à ponts. Bref sauf pour ceux qui bachotent, on n’est pas dans la concentration absolue.
Ma proposition : vive le semestre (ou un autre nom à trouver, car ils ne font pas six mois, mais qu’importe). Le premier se clorait aux incontournables fêtes de fin d’année. Le second reprendrait en janvier jusqu’aux grandes vacances.
Les objections déjà pleuvent. Voyons-en quelques unes.
Longueurs différentes. Certes. Mais le second doit inclure toute cette partie en demi-teinte d’examens et d’activités diverses et variées, période de clôture, queue de comète, qu’il faut intégrer, et qui rétablit de l’équilibre dans la durée effective de travail concentré.
Les vacances  intermédiaires ? Pareil. L’alternance sept/deux fait ses preuves. Le premier semestre comprendrait ainsi deux séquences de sept ou huit semaines effectives, l’échéance de fin de semestre en décembre conserverait les muscles bandés. Les deux périodes de vacances d’hiver et de printemps ponctueraient le second trimestre en trois séquences plus brèves.
Les conseils de classe. Ils sont en effet essentiels pour une appréhension globale de l’élève, pour le conseiller, lui envoyer des messages. Il y en a trois aujourd’hui, et ce n’est pas de trop, à chaque fin de trimestre. Mais sont-ils bien placés ? Le premier, courant décembre, arrive bien tard. Combien d’élèves découvre-t-on sous un jour nouveau à cette occasion ? Combien de fois où, quand l’équipe pédagogique se réunit pour parler de chacun, un point est soulevé, une facette de la personnalité d’un élève apparaît, qui change le point de vue. Mais il est déjà bien tard. L’année est très largement entamée, les plis sont pris, le paquebot est lancé … Le second conseil, en mars ou avril, envisage les décisions d’orientation à venir, et ne peut souvent aller au-delà d’incantatoires « doit se ressaisir si …», ou « doit améliorer ses notes en … s’il veut… ». Mais quand arrivent ces exhortations avec le bulletin, il ne reste plus rien ou presque pour changer le cours des choses.
Le rythme du semestre permettrait une première réunion de l’équipe  pédagogique vers la Toussaint. Une première concertation, en format plus léger qu’un conseil. Le premier vrai conseil, avec notes et moyennes, en janvier, pourrait déjà se prononcer sur un parcours, et donc sur des perspectives, des rectifications de trajectoires qui apparaîtraient à l’élève comme des objectifs possibles. Faut-il un autre point à mi parcours du second semestre, avant le conseil de fin juin ? Ce n‘est pas à exclure.
Le semestre – largement pratiqué dans l’enseignement supérieur – semble donc s’adapter mieux aux rythmes qui au fil des ans ont remodelé le temps scolaire de la IIIème République. Il aurait aussi un autre avantage – ici provocation – il permettrait l’introduction d’enseignements semestriels qu’il serait bon de réenvisager, jetés qu’ils ont été avec l’eau du bain de la réforme Darcos.

dimanche 10 juin 2012

Réaction à la mort de Saitoti


Accident d'hélicoptère au Kenya : un ministre parmi les victimes
Le Monde.fr avec AFP | 10.06.2012 à 12h01 • Mis à jour le 10.06.2012 à 12h01
Six personnes sont mortes brûlées vives, dont le ministre de la sécurité intérieure kenyan, George Saitoti, dimanche 10 juin dans l'accident de leur appareil près de la capitale Nairobi, selon des informations communiquées par une source policière sur place.
"Nous avons malheureusement perdu M. Saitoti et le ministre délégué Orwa Ojode", a confirmé le vice-président du pays Stephen Kalonzo Musyoka. Parmi les victimes se trouvent également les deux pilotes de l'appareil et les deux gardes du corps des responsables gouvernementaux
George Saitoti, ministre de l'intérieur kenyan,.
AFP/SIMON MAINA
L'hélicoptère de police, muni de petites ailes fixes, est fabriqué par la société Eurocopter. Cet appareil s'est écrasé à 08 h 30 locales dans la forêt de Kibiku, dans les collines de Ngong proches de Nairobi, peu après avoir décollé de l'aéroport Wilson à Nairobi.
Le Kenya a subi ces derniers mois une série d'attentats, attribués systématiquement par le gouvernement aux islamistes somaliens shebab, et en tant que ministre de la sécurité intérieure, M. Saitoti était impliqué dans les mesures de sécurité prises à l'encontre de ces derniers. Mais rien à ce stade ne permet d'accréditer la thèse d'un attentat plutôt que celle d'un accident

RIP, selon  l'expression désormais consacrée sur Facebook.

Bien entendu, la question se pose immédiatement de l'accident ou de l'attentat. L’article évoque la piste Shebab, Ils sont les responsables de bien des attentats récents. Ce n’est donc pas à exclure.  Mais il faut aussi se souvenir de qui était Saitoti.

Avant d'intégrer le gouvernement de Kibaki et Odinga, il a été pendant la présidence d'Arap Moi l'éminence grise, voire noire du régime. D'origines mêlées, il s'est posé en leader agressif des Kalenjin (l'ethnie de Moi, pour simplifier, la troisième composante majeure de la société kényane avec les Kikuyu et les Luo). Son nom a été cité dans chaque affaire trouble, de corruption ou criminelle de ces années-là (scandale Goldenberg, assassinat d'Ouko par exemple) sans qu'on ait pu jamais le mettre en cause directement. Force politique incontournable, il avait réussi sa reconversion à l'arrivée au pouvoir de Kibaki. Ou plus certainement à s'imposer. Il ne manquait donc pas d'ennemis.

samedi 9 juin 2012

Comment un accident d'avion devient l'occasion de meubler le vide avec des généralités dénigrantes



Le journalisme à deux balles a encore frappé. Mais d’abord l’article.
A Lagos, le crash d'un Boeing ajoute au chaos ambiant
Le Monde.fr | 05.06.2012 à 15h02 • Mis à jour le 05.06.2012 à 15h02

Le chaos régnait à Lagos dimanche 3 juin au soir, après le crash d'un avion de ligne qui a heurté de plein fouet un immeuble du quartier pauvre et surpeuplé d'Iju Ishaga Agege. Aucune des 153 personnes à bord de ce Boeing de Dana Air - dont le journal Nigerian Tribune publie la liste - n'aura survécu à l'accident. A terre, d'autres victimes ont succombé au choc, à l'incendie et à la confusion qui ont suivi- les corps de quatre premières victimes ont été découverts mardi. 

Les habitants tentent d'aider les pompiers sur le site du crash, le 3 juin.
AP/Sunday Alamba 
Images et témoignages sur place laissent entrevoir une foule de milliers d'habitants qui n'a pas tardé à s'amasser autour de la scène du crash, bloquant l'accès aux équipes de secours. Des militaires ont tenté de les disperser à coup de gourdins en caoutchouc et de jets de planche. Ils ont reçu en retour des jets de pierre, tandis qu'un hélicoptère avait les plus grandes difficultés à atterrir. Seuls quelques véhicules de secours ont réussi à se frayer un chemin jusqu'au site, où gisaient au milieu des décombres en feu une aile détachée de la carlingue et un réacteur déchiqueté.
Dans ce décor encore fumant, les pillages ont immédiatement suivi l'accident, relate à l'AFP un commerçant d'Iju Ishaga, qui n'a pas attendu une seconde, quand il a pris connaissance de la nouvelle, avant de fermer son bar. Car ces scènes font partie de la norme, dans cette ville considérée comme l'une des plus dangereuses du monde, explique Maud Gauquelin, chercheuse associée à l'IFRA (Institut français de recherche en Afrique) et au Cemaf de Paris (Centre d'études des mondes africains) : "Comme dans le cas des camions citernes ou des oléoducs qui explosent fréquemment, par manque de vigilance et de maintenance, les pillages sont monnaie courante. Car le pays est très riche, mais la grande majorité de la population vit avec moins de un euro par jour."
"Quand un cadavre est sur la chaussée, on ne le ramasse pas, principalement pour ne pas être suspecté de meurtre. Le dépouiller est 'naturel', les gens ont tout simplement faim, très faim. Ils jeûnent fréquemment par manque de moyens, surtout dans ces quartiers", poursuit-elle. Ainsi se dessine, derrière ces scènes pour le moins chaotiques, le visage de la mégapole nigériane - cette ancienne colonie britannique dont l'expansion a largement débordé de la lagune qui lui donna son nom. Et qui atteint aujourd'hui entre 15 et 20 millions d'habitants (les statistiques restent impuissantes à chiffrer avec exactitude sa démographie), dans le pays lui-même le plus peuplé d'Afrique.         
UNE MÉGAPOLE EN GRAND ÉCART
Aux abords de Lagos, la capitale économique du Nigeria, le 21 avril.
REUTERS/AKINTUNDE AKINLEYE
Un habitant français du Nigeria, contacté par le Monde.fr, la décrit comme "une mégapole lagunaire, très particulière, au bâti très dense, à cheval entre le continent et diverses îles reliées entre elles par d'immenses ponts". La ville n'est pas la capitale officielle du Nigeria, mais bien "son cœur économique et industriel, et l'un des plus grands ports d'Afrique", souligne-t-il.
Elle est aussi, dit Maud Gauquelin, un "centre de télécommunications, un aéroport international, un centre financier mondial. C'est par Lagos que transite l'économie du pays, que ce soit vers les autres capitales africaines, les Etats-Unis, l'Europe ou encore la Chine." Bref, c'est un "hub". Et pourtant. Les routes y sont mal entretenues, les bouchons, endémiques, et les coupures d'électricité, très récurrentes. 
Dans Les rues de Lagos, espaces disputés/espaces partégés, l'historien Laurent Fourchard explique ainsi qu'il faut bien se garder d'esthétiser cet art consommé du chaos, qui n'est pas forcément du goût des Lagossiens eux-mêmes : sur l'économie informelle qui envahit l'espace urbain par exemple, "la presse locale n'a pas cessé de critiquer l'incapacité du gouvernement à trouver une solution durable face à la vente ambulante souvent perçue comme une 'menace', qui participe de l'insalubrité générale, qui entrave la circulation et qui représente un danger évident pour des dizaines de milliers d'enfants".
A l'image du morceau du maître de l'afrobeat nigérian Fela Kuti, , Lagos est ainsi la ville du grand écart. Une cité "en état de tension permanente", qui "continue de croître dans une violence qui n'a d'égal que son dynamisme", décrit un article du Monde diplomatique. "Vus d'avion, les gratte-ciel de la marina, sur l'île de Lagos, évoquent une sorte de Manhattan. Vus d'en bas, les abords de Broad Street ressemblent à un Bronx tropical", dépeignent les auteurs. Dans cette ville fébrile où le racket est quotidien, "la vie va, et tout le monde cohabite. Deux cent cinquante ethnies sont ici rassemblées, soit autant de langues, de coutumes, de modes de vie, de valeurs, de croyances", explique un autre article, de Jeune Afrique. Bref, "la vraie vie, c'est Lagos ou New York City, la ville-qui-ne-dort-jamais."

Angela Bolis



A lire l'article, on perçoit la personne qui s'est trouvée fort dépourvue à devoir parler d'une ville dont - cela n'a rien de coupable - elle ignorait tout, quelles idées reçues et images toutes faites exceptées, à l'occasion de l'événement dramatique du crash d'un avion sur un quartier de la ville.

Réflexe, au-delà de la dépêche AFP, relire quelques articles ou ouvrages, téléphoner à la chercheuse sur place ou presque, parole d'autorité, et aussi à un résident anonyme donc autorisé.

Je me suis trouvé occasionnellement, plusieurs fois, dans le cas de la personne interrogée, parce qu'on avait donné mon contact, à travers l'homme qui connait l'homme qui .... J’ai souvent peu reconnu l’essentiel de ce que j’ai dit, plutôt une ou deux phrases hors contexte.

Jusque là, péché véniel. Mais deux remarques.

Point, jamais, de référence à la presse locale. Pardon, un lien, pour la liste des victimes, avec le Nigerian Tribune. Il y a à Lagos d'excellents journaux, une presse abondante, qui sont en ligne. S'il s'agissait de rendre compte de l'événement, et eux l'ont fait, ils auraient pu être une source d'information. Ils auraient pu nourrir une analyse du crash - parler de la vétusté de certains avions, mais aussi de l'hypothèse loin d'être exclue d'un attentat de Boko Haram. Mais rien de tel !! Quel mépris! Faute d'informations sur le crash lui-même, que les sources téléphoniques ou d’archives étaient bien en peine de donner, l'article en vient à porter sur la ville de Lagos elle-même, en général, occasion à saisir pour faire du papier.

Et là, on abonde dans le cliché, la généralisation hâtive et le dénigrement à sensation. On choisit dans les sources ce qui sert le propos. Les pillages - en effet, dès que l'occasion se présente, un camion qui se renverse, les gens se précipitent ; à Lagos, mais ailleurs aussi en Afrique, et même il y a eu quelques émeutes à Londres, ou une histoire de billets distribués au Champ de Mars voilà quelque temps. Les badauds qui freinent les secours - idem -, la recommandation de ne pas secourir un blessé de crainte de se voir prendre à parti - hélas réflexe à avoir partout en Afrique et dans d'autres continents. Lieux communs qui traînassent sur les pays du Sud.

J'exagère? il n'y a pas dénigrement gratuit dans le seul but de sensationnel? Prenez la phrase " Dans cette ville fébrile où le racket est quotidien, la vie va...". C'est quoi ce racket? De quoi est-il question? De RIEN, pas de développement, mais cela en remet une couche, ajoute du noir au tableau.

On n'a pas peur des contradictions entre l'article et la légende d'une photo montrant "Les habitants tentent d'aider les pompiers sur le site du crash, le 3 juin". Ou du n'importe quoi : il aurait fallu deux jours pour "découvrir" les corps des "quatre premières victimes" ? On n'a pas confondu avec "identifié" ? 

Lagos est une grande ville de près de 20 millions d'habitants. Certes, il y a des misérables, des gens qui luttent pour survivre au quotidien, qui sont souvent prêts à tout pour cela, à risquer leur vie inconsidérément, allez disons un million, à l'énorme louche. Mais il en reste 19 autres, qui travaillent, qui étudient, qui produisent, qui créent, qui grandissent. Dans un immense dynamisme comme on en voit peu en Afrique. Dans un pays qui ne vit pas de l'aide internationale. Qui peut aussi dans son ébullition époustoufler d'ordre et de discipline : allez prendre un bus rouge à Oshodi, vous verrez des gens faire des queues de plus d'une centaine de mètres, attendre leur tour pour monter un par un dans le bus qui arrive. Ca m'a époustouflé. On est loin d'en être capables en France. C'était en février dernier à Lagos. Mais foin de tout cela, mieux valent les clichés et les chromos d'Epinal. Quitte à jeter l'opprobre sur toute une population.

Et pas un mot d'intérêt pour les victimes, à bord ou au sol. Du journalisme à deux balles je vous dis.

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