vendredi 1 avril 2011

Les Ivoiriens l’ont fait

Il y a des moments où il ne faut pas bouder son plaisir, et faire la fine bouche.
D'abord, chapeau l'artiste ! De main de maître. La stratégie Ouattara fera date.
Il a rejeté l'affrontement direct, la conflagration qui fait des milliers de victimes, des dégâts considérables, des déchirures irréversibles dans un pays, pour des générations. Il a su, apparemment, tempérer la fougue de ceux qui voulaient le rentre dedans. Rappelons nous certaines déclarations de Soro, en janvier dernier. Il a mis quatre mois ? et alors? Tant pis pour les impatients. Pour les agités de la résolution vite vite. Certes, il y a eu au moins 500 victimes rien qu'à Abidjan pendant ce temps du fait des exactions des partisans de Gbagbo. Hommage à ces victimes ! Au peuple ivoirien de s'en souvenir. Mais combien auraient fait des combats directs, plus tôt, prématurés ?
Richard Banegas (que je salue au passage) disait ce matin sur France Culture que Ouattara avait successivement essayé l'isolement diplomatique et l'étouffement économique et que ça n'avait pas marché. Non ! bien au contraire ! Ca a payé, on le voit aujourd’hui, mais qui a jamais cru que cela suffirait ? Le travail de sape, ça prend du temps, des souffrances en attendant. Il lui faut la durée. Plus le harcèlement dans les quartiers, la mort sélective portée à Abobo contre les gens en uniforme par les forces invisibles. Les miliciens qui paradaient et terrorisaient les civils, tuaient, ne s’entraînaient plus ces derniers jours, me disait-on, ils n’avaient plus le moral. Peur et rumeur pour inciter les populations à quitter la ville, à dégager le terrain. Les tractations, l'isolement des plus irréductibles, la main tendue aux adversaires raisonnables ... Et l'offensive décisive, quand le moment est venu. L’estocade. Qu'il tombe, avait annoncé Ouattara, "comme un fruit pourri."  Du grand art.

Un grand bravo aussi au peuple ivoirien. Il a souffert, il a enduré, il a tenu bon. Et surtout, il a résolu lui-même son problème, sans laisser les autres le faire à sa place.
Ni les Occidentaux. Qu'auraient-ils fait sans casse, concrète et surtout symbolique ? Ni les troupes de l'Union Africaine. Pour quelle offensive? Avec quels dommages? et surtout, que serait-il resté après, économiquement, politiquement? Pas de militaires nigérians dans le pays. Ils l’auraient mis dans quel état ? Remember Liberia. Il faudra rendre grâce à Ouattara d'avoir évité ça.
Il y a eu de grands moments de doute, de découragement, d’angoisse, quand les miliciens passaient la nuit, enlevaient ou tuaient. - Mais vous les Blancs, qu’est-ce que vous faites, nous on meurt. - Courage !
Les Ivoiriens ont pris leur destin en main. Avec sagesse : finalement, n’était l’obstination personnelle du clan Gbagbo et d’une poignée d’irréductibles, l’essentiel de la résolution du conflit aura été politique. Les militaires n’ont plus été payés, ils ont suspendu leur soutien, ne se sont pas battus. Le pays a subi un minimum de dégâts. Il n’y aura que peu à reconstruire. En revanche, la tâche de reconstruction nationale est immense.

Alors les médias n'ont pas aimé. Trop lent, pas visible. Pas en accord avec leur temporalité. J’y ai reconnu une manière bien africaine de traiter un problème, en donnant le temps au temps. Mais que filmer alors ?
Sans non plus les images attendues. La ville s’est vidée d’une grande partie de ses habitants, mais rien à se mettre sous la dent pour les humanitaires : pas d’exode, de théories de gens le long des routes avec leur baluchon. Les populations se sont organisées, ont trouvé des véhicules, sont rentrées au village. Pas de famine non plus à filmer. Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas dur pour les gens, qu’il n’y a pas pénurie aux villages soudain surpeuplés, mais on y endure, rivé à la radio et à la télévision pour suivre l’évolution de la situation. J’en ai, au téléphone, l’image d’un peuple digne, acteur de son destin. Tant pis pour les médias. Ou plutôt, pourquoi ne peuvent-ils nous rendre compte de cette réalité ? La Côte d’Ivoire avait disparu des écrans, elle n’y est revenue que lorsque la poudre a parlé.
Chez d'autres, leur attitude pincée relèverait-elle du fait que ce qui s’est passé ne rentre pas dans leurs schémas de lecture habituels, ne correspond pas à ce qu’ils avaient prévu ? On ne dit pas que la majorité sortie des urnes, contre toute attente, a su s’imposer à un usurpateur, que cela se fait sans partition du pays comme ils l’évoquaient, sans guerre civile à outrance, tribale, religieuse, comme ils l’annonçaient. Que des Africains l’ont fait. Alors pourquoi, tel le renard, dire que les raisins sont trop verts ?

Bien sûr, je ne suis pas naïf, les écueils sont nombreux, immenses. Tout reste à faire! Mais bravo pour le premier acte.

PS : Au risque de faire preuve de forfanterie, ce scénario était celui que j’avais cru discerner, que j’ai proposé à mes amis au téléphone quand le moral était bas, dont j’ai discuté avec plusieurs, qui a fait l’objet de quelques réactions à des articles ces trois derniers mois. Alors je me permets ce petit auto satisfecit : c’est pas toujours qu’on peut se targuer d’avoir deviné juste.

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