vendredi 9 avril 2021

DU FRANC CFA A L'ECO (quel prochain épisode ?)


Kako NABUKPO
Dans son article « Du Franc CFA à l’Eco en Afrique de l’Ouest », publié dans la revue ETUDES de mars 2021, Kako Nabukpo nous propose une  anticipation, dans le cadre d'une remise en perspective historique. Le fouillé de son analyse, la modération de son ton, tout en affirmant des prises de position nettes, dépassent la technique monétaire pour la replacer dans une problématique de société.

« … rompre avec une pratique qui permet d’accroître les bénéfices d’une politique de rente plébiscitée par les élites au bénéfice d’une réinjection des capitaux dans les économies locales… »

« il (le CFA) est devenu un mécanisme d’assurance tout risque vis-à-vis des défaillances multiples et variées de la gouvernance des dirigeants africains de cette zone. »

Pays de l'UEMOA

« … pour éviter de tomber dans les mêmes travers, à savoir la pérennisation de l’extraversion des économies de l’UEMOA … protégées par une monnaie CFA … fortement incitatrice à l’adoption de comportements rentiers. »

«  une communauté de destin, fondée sur le caractère incontournable de l’intégration monétaire, économique et commerciale au sein de la CEDEAO, comme seule voie de développement endogène en Afrique de l’Ouest. »

Tout cela est parler d’or. Kako NABUKPO définit de réelles perspectives, clairement énoncées – avec souvent d’ailleurs pas mal d’habileté – et je m’y reconnais très largement.

                                                      

Ce qui peut-être m’autorise à une remarque. Il évoque quatre « options de transition du franc CFA à l’éco »[i], et je me suis étonné de ne pas en trouver une cinquième, à mes yeux pas totalement improbable : celle d’une monnaie unique de tous les pays de la CEDEAO sans le Nigeria, qui dans un avenir prévisible garderait sa Naira et sa souveraineté monétaire, quitte à avoir des accords de stabilisation entre les deux entités.

J’ai cru percevoir le bout de l’oreille de cette option fin 2019, dans la suite des événements de l’époque. Parmi les acteurs, tout le monde s’accorde sur « il faut que ça bouge ». Mais comment ?

Acte 1.Ouattara, le patriarche respecté de la zone, conservateur en diable sur ce sujet, tient, avec les anciens du club des Chefs d’Etat francophones dont il se fait le porte-parole,  à la « pratique qui permet
d’accroître les bénéfices d’une politique de rente », à savoir l’arrimage à l’Euro et la garantie de change. Il vient à l’Elysée.  Il est tout proche du départ, on l’y accompagne en douceur avec tous les honneurs.

Acte 2. Macron, à qui on a dit le know how avec un Ancien chef d’Etat, doyen du club qui tient encore les rênes, va signer avec Ouattara l’accord du 20 décembre. Remue-ménage à la CEDEAO, mais surprise, un communiqué du Ghana annonce qu’il veut rejoindre ce nouvel Eco, appelle les autres pays à faire de même et tous à « working rapidly towards… adopting a flexible exchange rate regime ».  Ca passe presque inaperçu (qui parmi les Francophones s’intéresse à ce qui se passe chez les voisins, quand la maison est chamboulée ?) mais ça change tout.


Le scenario se dessine : le Ghana rejoint l’ECO (UEMOA), entraîne avec lui les autres petits Etats non-francophones, sauf le Nigeria bien entendu qui ne peut condescendre. Ouattara est parti en majesté. On peut remettre la question sur le tapis, parler des choses sérieuses, notamment avec son remplaçant, et avec un Ghana qui se voit bien en leader. Quelque chose me dit que Paris n’aurait pas vu cela d’un mauvais œil car si, dans notre Etat profond, il est encore des conservateurs ligne Ouattara, les points de vue ont bien changé. N’aurait-ce pas été une opération diplomatique menée de main de maître ?

Acte 3. Le mastodonte Nigeria ouvre un œil et réagit enfin. Il convoque à Abuja tous les non-UEMOA et tonne. Hold-up ! Ingérence ! On ne permettra pas ! Mais rien de concret. On baisse la tête, le Ghana fait résipiscence qui n’engage à rien, d’autant
qu’il doit élire son président très bientôt. On  rentre à la maison, rien n’est joué, les petits balancent.

Acte 4. Patatras ! Le destin a frappé. Le Premier ministre candidat à la succession de Ouattara décède. Personne – même Paris – ne peut dissuader Ouattara de se représenter. Peut-être justement a-t-il perçu que SON Eco, son grand-œuvre final, était en péril, et avec lui tout le système peinard francophone ? Qu’on l’avait roulé dans la farine (spécialité ivoirienne) ?
Le scénario billard à trois bandes s’écroule, ou est remis à la Saint Glinglin. Tout s’est soudain figé,

Muhammadu BUHARI
avec la double glaciation Ouattara-Covid. Le Nigeria a sonné le rassemblement, et c’est, à l’heure actuelle, pour ce qu’on peut en percevoir de l’extérieur, bloc contre bloc. L’option 3 de Kako Nabukpo. Catastrophique.
On attend le dénouement à l’Acte V.

Même si j’en parle de façon plaisante, cette option 5 ne me semble pas à négliger. Plusieurs arguments.

·         Pas besoin de relire La Fontaine. Une union monétaire où un seul membre pèse 70% du PIB et 52% de la population est une union autour de ce membre, les autres se rangeant sous son hégémonie. Penser qu’il peut jouer le rôle de locomotive de la CEDEAO, de « prêteur en dernier ressort » si cela ne correspond pas strictement à ses propres intérêts est se faire des illusions. Chacun le sait. Les voisins le savent, qui ont été témoins du comportement « solidaire » lors des expéditions militaires nigérianes dans la sous-région – réalisées ou soigneusement évitées.

       

UEMOA, ZMAO et CEMAC

·  A l’inverse, un regroupement CEDEAO minus Nigeria aurait l’avantage de rééquilibrer tant soit peu les choses (PIB 30/70, population 48/52), de créer un ensemble sinon homogène, du moins assez cohérent, avec des membres prééminents de poids comparables (Côte d’Ivoire-Ghana), la conscience qu’on ne peut rien faire seul et qu’une entente est essentielle.

·         · Les deux entités (ECO/NAIRA) pourraient ne pas être opposées, et même pourraient coopérer – régulation des taux de change, convertibilité garantie, etc. - pour faciliter les échanges et le développement des activités de transformation. La CEDEAO garderait – ou trouverait - à ce titre tout son sens.

·         · Encore faut-il que le Nigeria accepte de renoncer à des ambitions de suprématie régionale. Est-il déjà en mesure d’assurer cette suprématie, tout occupé qu’il est encore à renforcer sa cohérence intérieure et à développer son marché intérieur ? Attend-il le retrait de la France dont les petits voisins se font un bouclier pour se protéger du géant, avant de ne faire qu’une bouchée de toute la région ?
Ou ne trouverait-il pas son intérêt, au moins temporaire, à une ECOopération avec ses 14 partenaires engagés dans une politique économique dynamique, une stabilité financière et politique, structurant un vaste  marché où le Nigéria pourrait écouler ses produits, investir ses capitaux, trouver des débouchés pour ses jeunes élites ?

Pas pour demain, certes, mais une telle option ne serait pas la moins équilibrée, la moins attentive aux intérêts  bien compris des uns et des autres.
Peut-être aussi une option qu’il n’est pas aisé même d’évoquer publiquement quand on occupe un poste de responsabilité, au milieu des enjeux de pouvoir et des subtilités diplomatiques. Mais quand on ne parle comme moi qu’en son nom, sans rien d’officiel ?



[i] A savoir : (1) « L’ECO, simple avatar du Franc CFA, parie sur l’élargissement progressif de l’UEMOA » ; (2) « celle d’un ECO réel fondé sur la convergence (…) du PIB par tête », convergence vers le trio de tête Cap-Vert, Nigeria, Ghana ; (3) une autre zone monétaire ZMAO, à côté de l’UEMOA ; (4) l’ECO monnaie commune et non monnaie unique (accords  de taux de change, résorption des déséquilibres, processus d’intégration).

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